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Rudi Hiden compte parmi les plus grands gardiens de but de l’histoire du football, avec Zamora, Yachine et une poignée d’autres. Son image — chandail noir à col roulé et poignets blancs — est surtout associée au Wunderteam autrichien. Cette équipe reste mythique par delà les années : elle est liée à Matthias Sindelar le maître à jouer, à Hugo Meisl le sélectionneur, au « Scheiberlspiel », ce tourbillon de passes courtes et de démarquages, précurseur du fameux « tiki-taka » du Barça de Guardiola. C’était la même recette : possession, festival de passes jusqu’à trouver une ouverture vers le but adverse.
4-0 avec l’Autriche de Sindelar contre la France
La défense n’était pas le souci majeur, d’où l’importance de compter sur un gardien d’exception. Et Hiden fut celui-là, à 20 reprises de 1930 à 1933. Battre l’Allemagne 6-0 et 5-0, la Belgique 6-1, l’Ecosse 5-0, la Suisse 8-1, la Hongrie 8-2 constitua un exploit qui sidéra l’Europe ; seule l’Angleterre résista, mais en encaissant 3 buts (3-4) en 1932. Le Wunderteam était un épouvantail (la France fut heureuse de n’encaisser qu’un 4-0 le 12 février 1933), et Hiden en était la vedette au même titre que Sindelar.
Grand pour l’époque (1,84 mètre, soit l’équivalent d’au moins 1,90 mètre aujourd’hui), moins théâtral qu’un Zamora mais très sûr, captant les balles hautes alors que la plupart des gardiens de l’époque se contentaient de les boxer du poing, ce qui ne faisait qu’éloigner le danger, Hiden n’avait que 19 ans (il est né le 19 mars 1909 à Graz) lors de sa première sélection en 1928 : une telle précocité est rare.
Refoulé vingt fois par les services de l’immigration anglaise
Le Racing Club de Paris de Jean-Bernard Lévy le récupéra en 1933 à la suite du rocambolesque échec de son transfert à Arsenal. Pas moins de 20 fois Hiden prit le bateau d’Ostende à Douvres, accompagné même par Herbert Chapman, le manager d’Arsenal, quasi inventeur du WM-system : mais les services de l’immigration anglaise le refoulèrent systématiquement ! Découragé, il accepta les offres parisiennes. C’est ainsi qu’il garda les buts du Racing de 1933 à 1943. Il y réalisa le doublé Coupe-Championnat en 1936, et remporta encore la Coupe de France en 1939 et 1940. Très « dandy », il séduisait beaucoup.
A l’époque, on ne « rappelait » pas les internationaux partis jouer à l’étranger ; aussi la carrière de Hiden dans le Wunderteam s’arrêta-t-elle en 1933, et il ne disputa pas la Coupe du monde 1934. L’Anschluss (annexion de l’Autriche par le Reich hitlérien en 1938) conduisit Hiden à solliciter et obtenir la naturalisation française, en juin 1938 : le décret lui attribue les prénoms de Joseph-Rodolphe !
Mobilisé dans l’armée française, sélectionné par Gaston Barreau
Gaston Barreau, alors « sélectionneur unique », comme la presse aimait à le répéter, ne le place pas tout de suite dans les buts de l’équipe de France : il dispose alors avec Julien Darui d’un gardien prometteur. Mais il le fera, peut-être de façon symbolique, en 1940. Hiden est alors mobilisé dans l’armée française, tout comme son ancien coéquipier en équipe d’Autriche Hiltl, comme Jordan, Autrichien encore, comme le Hongrois Koranyi, tant sont nombreux ceux qui ont choisi la France et rejettent le nazisme.
Hiden est donc un des rares « double internationaux » : 20 sélections pour l’Autriche et 2 pour la France. Deux, car outre la sélection comptant officiellement contre le Portugal en janvier 1940 (3-2), Hiden a également joué en février 1940 contre l’Armée Britannique (1-1). Mais c’est un match officieux, car la Grande Bretagne n’existe pas d’un point de vue footballistique : les 4 nations la composant (Angleterre, Ecosse , Galles et Irlande - pas l’Eire -) ayant chacune leur fédération, pour la FIFA. Mais le fait est que c’est exactement la même équipe que celle alignée contre le Portugal qui joua, et l’adversaire comptait des étoiles de première grandeur, comme Lawton ou Matt Busby, légendaire manager de Manchester United plus tard !
Il est en outre à noter que Hiden est le seul à avoir joué contre et pour la France...
Un bar près de l’Opéra qui aurait pu lui coûter cher
A l’Armistice de 1940, Hiden eut maille à partir avec les autorités allemandes qui l’accusèrent dans un premier temps d’être un déserteur et l’enfermèrent pendant six mois à Trèves, avant d’accepter à contre-coeur l’évidence de sa naturalisation française et de le relâcher. Il regagna alors Paris, où il avait déjà ouvert un bar près de l’Opéra. Mais à la Libération ce bar lui valut des ennuis, car il y recevait tous le gratin nazi, Gestapo comprise. Arrêté, il lui fallut convaincre la commission d’épuration qu’il ne pouvait pas refuser l’entrée aux officiers allemands, même aux SS, et surtout qu’il ne « collaborait » pas avec eux. Il y parvint mais fut de nouveau arrêté pour escroquerie en 1946 (une affaire ténébreuse, trop longue à expliquer ici), et , du coup, radié par la FFF, bien qu’il n’ait jamais été condamné.
Sa maison sicilienne détruite par un tremblement de terre
Il partit donc en Italie, où il entraîna diverses équipes de second rang en Sicile (Salernitana, Messina, Palermo), et fut même adjoint au Napoli. Un tremblement de terre consécutif à une éruption de l’Etna ayant détruit sa maison en Sicile, Hiden finit par revenir en Autriche , où il parvint à récupérer sa nationalité autrichienne L’Autriche n’existant plus lorsqu’il avait pris la nationalité française il était donc réputé n’avoir jamais perdu sa nationalité d’origine.
Mais les ennuis ne cessèrent pas pour autant : il acquit un hôtel près du Wörthersee en Carinthie, près de la frontière slovène, mais l’affaire périclita et il fut ruiné. En outre, une vieille blessure au genou qu’il avait tardé à soigner le contraignit à une opération qui tourna mal et en fit un infirme, ne pouvant plus se déplacer qu’avec un déambulateur. Hiden connut la déchéance et la misère. Pire, il lui fallut se résoudre à l’amputation de sa jambe droite en 1972. Il n’y survécut qu’un an, et mourut en 1973.
Il est enterré au Stammersdorferfriedhof de Vienne, non loin de Hugo Meisl et de Matthias Sindelar.