Gaston Barreau est nommé officiellement sélectionneur unique en 1936, unique rescapé en fait d’un comité de sélection à géométrie variable depuis 1919. Officieusement, il est assisté de Gabriel Hanot, qui supplée aux carences tactiques de son ami et qu’à son indécision chronique, ainsi brocardée par le journaliste Jacques de Ryswick : « Des changements dans l’équipe de France ? Bah ! Vous croyez ? Enfin, peut-être. A propos, qu’est-ce que vous pensez de Brusseaux ? »
Mais avec la « drôle de guerre » sans combat qui s’étire de septembre 1939 à mai 1940, le duo est dissocié pour cinq années. Barreau se retrouve seul, mais a priori sans rien à faire. Sauf que l’absence de combats pousse la FFFA (elle a encore son A final) à inviter le Portugal à jouer en janvier 1940 (malgré un froid de canard, jusqu’à -20° C), puis à accepter les sollicitations des alliés britanniques, désireux de monter une opération de propagande en opposant par trois fois une équipe de Grande-Bretagne (ou plus exactement de la British Army) à l’équipe de France [1].
Le Miroir du 11 février 1940 (source : Gallica).
Gamelin se prend pour le président de la FFFA
Initialement, c’étaient les mêmes équipes qui devaient se rencontrer à Paris le 11 février, puis à Reims (le 15) et enfin à Lille le 18. Mais selon L’Auto ce serait le généralissime Maurice Gamelin en personne qui aurait dit : « Eh quoi ? nous n’avons dans toute la France que 11 joueurs à opposer aux Anglais ? » A partir de là, la commission militaire de la FFFA, sous le contrôle du commandant Maillet (délégué du Ministère de la Guerre), opta pour trois équipes différentes, alors que les Britanniques, eux, déléguaient les 14 mêmes joueurs. Pour l’essentiel, des Anglais (dont la grande vedette Tommy Lawton), flanqués de deux Ecossais (dont le légendaire Matt Busby, futur manager de Manchester United) et un Irlandais.
Gaston Barreau eut donc soudain du pain sur la planche : composer trois équipes avec des joueurs mobilisés au front, donc sans entraînement et sans match dans les jambes. Passe encore pour le premier match : il reconduisit la sélection victorieuse (3-2) du Portugal, composée d’internationaux chevronnés, dont il connaissait parfaitement les qualités et les défauts : Etienne Mattler (46 sélections) et Jules Vandooren (20) derrière, François Bourbotte (15), Gusti Jordan (11) et Raoul Diagne (18) au milieu, Roger Courtois (21), Désiré Koranyi (3), Oscar Heisserer (14) et Emile Veinante (24) devant, et leur adjoignit deux ex-internationaux autrichiens naturalisés : le célèbre Rudi Hiden dans les buts (20 sélections avec le Wunderteam, 1 pour la France face au Portugal) et Henri Hiltl (1 sélection pour l’Autriche seulement, mais il jouait au poste de l’irremplaçable Sindelar et 1 pour la France, toujours contre le Portugal).
L’Auto du 12 février 1940 (source : Gallica).
Une belle équipe de France, renforcée par des Autrichiens naturalisés
De l’avis unanime jamais l’équipe de France, renforcée par ses naturalisés, n’avait été aussi forte. Et elle le démontra, tenant en échec les Britanniques 1-1. Lawton avoua dans sa biographie plus tard : « We were lucky to get away with a draw » (nous fûmes heureux de nous en tirer avec un match nul).
Mais pour les deux autres équipes, voulues par Gamelin, c’était une autre paire de manches ! Comme le dit le journaliste Maurice Pefferkorn, un pionnier du football en France avant 1900, Barreau dut précéder à « un assemblage dont le caractère de fortuité et de génération spontanée ne permettait pas d’attendre la même cohésion » alors que les Britanniques, gardant la même équipe à un ou deux éléments près, s’amélioraient au fil des matches ! Mais Barreau dut s’exécuter : il tenta bien de garder quelques éléments (Hiltl , Bourbotte, puis Darui), fit appel à quelques autres internationaux déjà connus de lui (Jean Nicolas, 25 sélections, Georges Verriest , 14, ou Maurice Dupuis, 3) mais au final il dut varier, et tester des assemblages improvisés.
L’Auto du 16 février 1940 (source : Gallica).
Les équipes B et C s’en sortent honorablement
C’est ainsi qu’à Reims, il aligna Julien Darui (promis à une grande carrière), Robert Mercier, Maurice Dupuis, Roland Schmitt, Franz Odry, Jean Laune, Albert Batteux (le régional de l’étape rémois, futur entraîneur des Bleus de 1955 à 1962), André Simonyi, Jean Nicolas, Ignacz Tax et Emile Weiskopf pour une courte défaite (0-1), tandis qu’à Lille, ce furent Julien Darui, Anton Marek, Lucien Jasseron, François Bourbotte (remplaçant au pied levé Jean Snella, futur entraîneur des Verts et des Bleus) Georges Verriest (encore un futur sélectionneur des Bleus !) Emilien Méresse, Albert Hermant, Henri Hiltl, Stanislas Dembicki dit Stanis, Ladislas Smid dit Siklo, Jules Mathé ; pour une nouvelle défaite 1-2. Avec l’indulgence de Barreau, faisant remarquer : « les Anglais désiraient la victoire , pensez donc : ils jouaient devant leur grand chef » (le généralissime Gort).
Gaston Barreau, qui « coacha » seul les 3 équipes sans l’aide de Hanot, sans celle d’un entraîneur (comme Cottenet, présent lors de la Coupe du monde 1938), ni même d’un masseur, flanqué seulement du directeur sportif Victor Mestre, se montra satisfait de l’expérience : « Nous avons des réserves, de bien belles réserves, et vraiment, c’est une agréable constatation. »
L’Auto du 19 février 1940 (source : Gallica).
Onze naturalisés sur trente joueurs utilisés
Des réserves surtout puisées dans le vivier des naturalisés, puisqu’on en dénombre 11 (sur 30 joueurs au total) : Hiden, Jordan , Hiltl, Koranyi, Odry, Simonyi, Tax, Weiskopf, Marek, Siklo, Mathé (et sans compter Darui, né au Luxembourg d’un père portugais et d’une mère italienne !). Barreau, qui avait publiquement hésité en 1938 à aligner Jordan au motif que l’Autrichien était un naturalisé de trop fraiche date, avait ouvert les vannes. Il était sans doute encouragé dans ce sens par le Ministère de la Guerre, désireux d’afficher à quel point nombreux étaient les étrangers notamment originaires des pays de l’Est, hostiles au nazisme et prêts à se battre pour la France.
Mission accomplie donc pour Gaston Barreau, et avec les honneurs ; mais il devait durement déchanter dans les années suivantes, sous le gouvernement de Vichy, hostile au professionnalisme, et qui faillit anéantir l’équipe de France… mais c’est une autre histoire qu’on trouvera racontée dans le chapitre 10 de « Sélectionneurs des Bleus » !