Qu’est-ce qu’une chronobiographie ?
On connaît surtout Gaston Barreau comme sélectionneur, puisqu’il exerça cette fonction (bénévolement) pendant la bagatelle de 38 ans (1920-1958), seul ou en comité. J’ai déjà suffisamment traité ce sujet dans mon livre Sélectionneurs des Bleus, ainsi que dans un bonus publié sur ce site, pour n’y pas revenir. Mais avant Gaston Barreau sélectionneur, il y eut Gaston Barreau joueur et international — mais pas Bleu, puisque le maillot du CFI, qu’il porta à 12 reprises, était blanc, orné de fines rayures verticales bleues — ce dont on parle peu, et qui va faire l’objet du présent article.
Gaston Barreau est né à Levallois le 7 décembre 1883 et n’est devenu international qu’assez tardivement pour l’époque, dans sa 28ème année, en 1911. A cet âge-là, la plupart des internationaux de l’époque avaient déjà raccroché les crampons, et il n’était pas rare qu’on soit sélectionné à 17 ou 18 ans. Et pourtant, Barreau jouait au FC Levallois dès 1898. Il raconte lui-même (si le lecteur en a la possibilité, je le renvoie aux Mémoires que France-Football a publiés en 1948, mis en forme par Jacques de Ryswick, une mine) avoir été initié à l’école, l’Institut Moucheron : « c’est là que je fis connaissance avec le ballon rond. Un ballon anglais qu’avaient apporté de jeunes londoniens venus à notre école pour apprendre le français. »
Dans les terrains vagues des fortifs parisiennes
Ce devait être vers 1894 ou 1895, et c’est de la même façon que bien des premiers Bleus, des pionniers du football français connurent le football, grâce à l’école et grâce aux Anglais, qui répandaient ce jeu. Ayant pris goût au football dans les préaux, puis les terrains vagues des « fortifs » parisiennes (démolies pour laisser place au périphérique), Barreau, comme tant d’autres, alla s’inscrire dans le club le plus proche de son domicile, et ce fut le FC Levallois.
Il y commença et il y termina sa carrière active, mais non sans quelques infidélités. Fils de tapissier, ayant perdu son père en 1899, le jeune Gaston dut vite gagner sa vie, et s’engagea aux Soieries Raimond, de Levallois, comme commis, dès ses courtes études terminées. Commis voulait dire : employé aux écritures, ou… rond-de-cuir, si l’on préfère. Des soieries, Barreau passa au Conservatoire de Musique en 1910, sans changer de fonction : il y fut commis, puis, belle promotion, premier commis, ayant la signature ! Traduisez, intendant. Barreau resta à ce poste jusqu’à sa retraite, en 1948.
Levallois, le 1er janvier 1913. Gabriel Hanot est debout, le troisième joueur en partant de la gauche, avec le coq de l’international sur la poitrine (photo agence Rol, BNF, Gallica)
Radié à vie, mais pas longtemps
Ayant besoin d’argent, Barreau disputa quelques matchs pour la Société Municipale de Puteaux, en 1906 ou 1907, club affilié à la FSAF, et étiqueté professionnel (versant quelques primes). Barreau y gagna d’être radié à vie, carrément, par l’USFSA. Ce genre de sanction s’amnistie très vite, et Barreau s’en fut jouer pour le Standard AC, le premier club (anglais) affilié à l’USFSA en 1894, puis pour le Club Français, le premier club français affilié à l’USFSA et champion en 1896. Mais, pour Barreau, c’était en 1908-1909.
Et c’est seulement à ce moment-là qu’il fut repéré. Il fut même sélectionné pour jouer contre l’Angleterre en 1909, mais c’était l’équipe de l’AFA, fédération anglaise dissidente, et quant à l’USFSA (qui avait oublié la radiation à vie !), elle avait démissionné de la FIFA et ses équipes ne représentaient donc plus officiellement la France. Barreau resigna (pour de bon, cette fois-ci) au FC Levallois, et bénéficia de la chance que ce club quitte l’USFSA, comme d’autres grands clubs parisiens lassés de la politique de l’Union, pour aller s’affilier à la concurrence, c’est-à-dire au CFI, dans le but d’accéder de nouveau à l’équipe de France. Car les joueurs des clubs de l’USFSA en avaient plus qu’assez d’être interdits d’équipe nationale et de laisser cet honneur aux autres, qu’ils estimaient inférieurs ; les autres, c’étaient les joueurs des Patronages FGSPF, et de la FCAF…
Une première sélection blessé et exilé à l’aile
C’est comme ça qu’à bientôt 28 ans, Gaston Barreau eut enfin l’honneur, en avril 1911, d’accéder à l’équipe nationale. Mais pour ça, il fallut que le titulaire du poste de demi-centre, Jean Ducret, soit blessé, ce qui advint contre la Suisse et libéra donc la place pour Barreau contre la Belgique le 30 avril 1911 ; hélas, Barreau fut lui-même blessé rapidement, et termina le match « exilé », comme on disait alors, à l’aile, boitillant et incapable d’aider ses coéquipiers. Le score fut sans appel : 1-7 ! D’autres que Barreau n’auraient pas « survécu » à un tel fiasco, mais lui, si… à condition d’accepter de changer de poste.
En octobre 1911, on le vit donc, aux côtés d’un Ducret rétabli lui aussi, au poste de demi-aile droit (alors que Barreau était gaucher), puis demi-aile gauche à partir de 1912. Il ne récupéra son poste de demi-centre que pour sa dernière sélection, en 1914, Ducret n’ayant pas voulu faire le voyage en Hongrie, mais, poursuivi par le sort, Barreau se fractura l’épaule au cours de ce match (disputé sur un terrain sans herbe), et cela coûta une défaite 1-5 à l’équipe de France, trois buts ayant alourdi le score après la sortie de Barreau !
Saint-Ouen, le 20 avril 1913, l’équipe de France avant son match contre le Luxembourg. Gabriel Hanot est debout, le deuxième joueur en partant de la gauche (photo agence Rol, BNF, Gallica)
Une association fructueuse avec Ducret
Demi-aile ou demi-centre, ce n’était pas du tout la même chose. Le poste de demi-centre était prestigieux, c’était celui du meneur de jeu, toutes les balles passaient par lui. Au contraire, le demi-aile n’était qu’une utilité, chargé de contrôler l’ailier adverse et de relancer vers son ailier ou son inter. L’équipe de France a donc évolué, de 1911 à 1914, avec deux demi-centres, ce qui lui a fait du bien : sept victoires et un match nul, sur dix rencontres, en des temps où les victoires étaient rares !
L’association Ducret-Barreau a permis de « tenir le ballon » au centre du terrain, et de bien le distribuer, en passes précises, au sol, et non en ballons aériens sans direction. Défensivement, Barreau était à la peine, en raison de sa lenteur et de son gabarit frêle, mais il y avait Gabriel Hanot derrière lui, qui se chargeait de l’ailier adverse, et les deux hommes coordonnaient bien leur effort, Barreau se rabattant quand Hanot « sortait » sur l’ailier adverse.
« Pour le shoot, c’était un bas vide »
Voici la description (ironique) du jeu de Gaston Barreau, faite par son ex-coéquipier Lucien Gamblin : « c’était un ennemi irréductible du jeu de volée, un partisan religieux de la passe à terre. Toujours bien placé, il allait trottinant sur le terrain. Il n’effectuait aucun effort inutile, son action était sobre, empreinte d’une certaine mièvrerie athlétique ; pour le shoot, c’était un bas vide. L’hiver, il jouait avec un foulard autour du cou, une flanelle sous son maillot, car il était frileux… » On a compris que Barreau était l’antithèse de Gamblin, qui ne craignait pas les duels et au contraire les cherchait (on ne le surnommait pas Lulu la Matraque pour rien …), et qui affectionnait le jeu de volée, tapant comme un sourd… n’importe où.
Par ailleurs, Barreau était capitaine dans son club, et avait donc le sens du commandement et une vision stratégique du jeu (le capitaine tenait alors le rôle aujourd’hui dévolu au coach), de même que Ducret : les deux hommes auraient pu se marcher sur les pieds, mais ce ne fut pas le cas ; Barreau, au caractère plus effacé, et respectueux du choix de ses partenaires (le capitaine était élu), ne chercha jamais à tirer la couverture à lui et Ducret, pour sa part, fit confiance au sens du jeu de Barreau.
Versé dans l’intendance pendant la guerre
Sa fracture de l’épaule, mal consolidée, valut à Barreau d’être réformé temporairement et de n’être pas envoyé au front ; en 1915, il fut versé dans l’intendance (« commis ouvrier »), et, à ce titre, participa à l’expédition de Salonique et en Serbie, mais sans se battre ; L’Auto nous informe, en novembre 1915 : « parti avec la 15ème section de marche de COA à l’Armée d’Orient. Sa dernière carte est datée de Salonique où il est en instance de départ pour le front serbe ». COA voulant dire : commis et ouvriers d’Administration, chargés du ravitaillement, en munitions et en vivres, des troupes.
Avant son départ, il avait pu participer en avril 1915 au premier des France-Belgique de Guerre, demeurés officieux, qui constitue donc sa dernière sélection (0-3). Il revint en septembre 1917 et joua pour l’AS Française, puis le Red Star (pendant la durée de la Guerre, il était possible d’évoluer temporairement avec des clubs différents de celui où le joueur était affilié en 1914), avant de revenir, à la démobilisation (été 1919, l’Armistice de novembre 1918 laissant les soldats mobilisés, mais sans combat), au FEC Levallois, pour lequel Barreau joua encore jusqu’en 1922 !
Manager de l’équipe de France, à 35 ans
Mais dès août 1919, Gaston Barreau avait été désigné manager de l’équipe de France, qui était allée disputer trois matchs (demeurés eux aussi officieux pour la FFF) en Suède, et fut reconduit dans cette fonction en novembre 1919, dans la perspective des Jeux olympiques d’Anvers, en 1920. Déjà introduit dans les sphères dirigeantes (il était vice-président de la Ligue de Paris), Barreau, sans avoir mis fin à sa carrière en club, se vit confier une mission voisine de celle de coach, celle de manager : Clément Robert-Guérin, le fondateur de la FIFA, avait inauguré cette fonction, supérieure à celle d’accompagnateur, en ce qu’elle conférait une certaine autorité à celui qui la détenait, dès 1905.
Cette fonction convenait à Barreau, en ce qu’elle reposait sur une proximité, une complicité, même, avec les joueurs (« Toujours conciliant, il ne faisait jamais une observation désagréable à un joueur », peut-on lire sur Sporting et « il a une qualité dont on ne saurait trop le complimenter, c’est de commander son équipe par des ordres brefs, sans jamais élever la voix ») : elle déboucha, à terme, sur son inclusion au comité de sélection… mais là s’arrête cet article.
Gaston Barreau est mort le 11 juin 1958 à 74 ans, à Levallois, le jour où l’équipe de France de Paul Nicolas et Albert Batteux affrontait la Yougoslavie lors de la Coupe du monde en Suède.
Les 12 matchs de Gaston Barreau avec l’équipe de France
Sel. | Genre | Date | Lieu | Adversaire | Score | Tps Jeu | Note |
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1 | Amical | 20/04/1911 | Bruxelles | Belgique | 1-7 | 90 | capitaine |
2 | Amical | 29/10/1911 | Luxembourg | Luxembourg | 4-1 | 90 | |
3 | Amical | 28/01/1912 | Saint-Ouen | Belgique | 1-1 | 90 | |
4 | Amical | 18/02/1912 | Saint-Ouen | Suisse | 4-1 | 90 | |
5 | Amical | 17/03/1912 | Turin | Italie | 4-3 | 90 | |
6 | Amical | 12/01/1913 | Saint-Ouen | Italie | 1-0 | 90 | |
7 | Amical | 16/02/1913 | Bruxelles | Belgique | 3-0 | 90 | |
8 | Amical | 27/02/1913 | Colombes | Angleterre | 1-4 | 90 | |
9 | Amical | 09/03/1913 | Genève | Suisse | 1-4 | 90 | |
10 | Amical | 20/04/1913 | Saint-Ouen | Luxembourg | 8-0 | 90 | |
11 | Amical | 25/01/1914 | Lille | Belgique | 4-3 | 90 | |
12 | Amical | 31/05/1914 | Budapest | Hongrie | 1-5 | 90 | capitaine |