Qu’est-ce qu’une chronobiographie ?
Simon Sollier constitue un cas supplémentaire d’erreur d’identification à l’état-civil s’ajoutant à une liste déjà longue parmi les premiers Bleus. Je ne reviendrai ici que brièvement sur les causes de ces erreurs, qu’on parvient à rectifier aujourd’hui, au prix d’une investigation chronophage.
Elles sont dues au fait que la presse d’avant 1914 n’avait pas pour coutume de donner les prénoms des joueurs, et qu’il n’existait pas de publication statistique fournissant les données auxquelles le public est habitué aujourd’hui : dates et lieu de naissance, taille et poids, etc. Par conséquent, il a fallu les retrouver a posteriori : j’ai déjà indiqué que le premier dictionnaire biographique des Bleus datait de 1954, et il était extrêmement lacunaire. Exemple, dans le cas qui nous intéresse : Sollier, 6 sélections, CA Vitry, arrière. Voilà tout ce qu’on pouvait y trouver et force était de s’en contenter.
Aujourd’hui, la numérisation des archives d’état-civil et militaire, des journaux sportifs anciens, les sites de généalogie permettent de mener à bien l’investigation évoquée plus haut et de corriger bien des erreurs commises de bonne foi, y compris par moi-même, qui ai en 1992 cru que Sollier se prénommait André, pour avoir trouvé l’information erronée que le joueur était mort en 1914 au front. Or, si un Léon André Sollier, originaire de Pantin, est bien mort en 1914, il ne s’agissait nullement du footballeur international.
Comme quoi je n’ai de leçons à donner à personne ! Mais la présente série des premiers Bleus me procure l’occasion, outre de faire mon mea culpa, d’établir l’état-civil définitif, le plus fiable possible, du plus grand nombre d’anciens internationaux possible. Echaudé, quand je ne suis pas sûr à 100%, je prends désormais le parti de le dire, comme ce fut le cas à propos de Pacot dans un article récent, au lieu de valider une hypothèse incertaine.
Deux preuves certaines
Pour Sollier, la certitude est aujourd’hui totale. La preuve de son identité est apportée par un article du Grand Echo du Nord, du 17 décembre 1911, chroniquant un match opposant le 26e régiment d’Infanterie, basé à Nancy, à L’Olympique Lillois. On y lit, dans la présentation de l’équipe nancéenne : « Sollier, de Vitry, international du CFI ». Or, dans la fiche militaire de Simon Sollier, apparaît son affectation au 26e d’Infanterie de Nancy ! De plus, dans L’Auto du 4 décembre 1910, à propos d’un match de sélection du CFI, on voit écrit : « S .Sollier, CA Vitry ». Le doute n’est donc plus possible, exit André Sollier, bonjour Simon Sollier…
Le CA Vitry le 21 mai 1910. Simon Sollier est debout, le premier en partant de la droite (photo Agence Rol, BNF Gallica).
Venons-en au football, maintenant. Simon Sollier, né le 6 avril 1890 à Paris (5e), a d’abord joué au CA 14ème (Club Athlétique du 14e arrondissement, affilié à l’USFSA), dont il intègre l’équipe première en 1908 ; mais, comme Petel (sans doute pour les mêmes raisons) il devient un « transfuge » et rejoint les rangs de la FCAF, et du CA Vitry en 1909. Au sein de ce club, il sera champion de France 1910 et jouera la finale du Trophée interfédéral la même année (qu’il perdra face au Patronage Olier, 0-2). Il est illico retenu en équipe de France pour le CFI, qui ne dispose pas d’un grand choix, mais ne fait pas le déplacement en Belgique ; par contre il joue contre l’Angleterre.
Au total, il cumule 5 sélections, et non 6 comme indiqué dans le Dictionnaire des Cahiers de L’Equipe 1954, qui ne sait pas que ce sont en réalité Guerre et Tossier qui ont joué contre les Belges, et non la paire Brébion-Sollier (voir l’article consacré à ce sujet). Ces cinq sélections (une en 1909, trois en 1910, une en 1911) se soldent par… 5 défaites, et surtout la bagatelle de 34 buts encaissés, ce qui, pour un arrière, ne peut pas être le signe de la réussite !
Il tient le choc face à l’Anglais Vivian Woodward
Quel type d’arrière est donc Simon Sollier ? Il mesure 1,71 m (8 centimètres au-dessus de la moyenne de l’époque), n’est guère athlétique ; il est réputé avoir « un bon coup de pied, joue avec sang-froid, vite ». Opposé en 1909 au meilleur joueur du monde, l’anglais Vivian Woodward, il ne se débrouille pas si mal, bien qu’il ait sans doute marqué contre son camp (le but, le premier, est le plus souvent accordé à Woodward, mais il ne semble pas que ce soit le cas), car Woodward ne marque pas… contrairement à ses coéquipiers.
En 1910, on relève que Sollier « a des arrêts très sûrs » et même qu’il « a été à la hauteur de sa réputation et sauvé des situations difficiles », qui n’ont cependant pas empêché dix ballons de finir au fond des filets défendus vaillamment par Tessier. Disons que Sollier fait ce qu’il peut… Sa dernière sélection, début 1911, contre la Hongrie, est critiquée par les journalistes, qui laissent entendre qu’il a fallu faire un cadeau aux dirigeants de la FCAF, les frères Henri et Louis Chailloux, dont c’est le seul représentant. Les journalistes, eux, préféraient Verlet : « Entre le joueur de Vitry et celui de Charentonneau, il y a une différence de classe », grogne l’un d’entre eux… Touché à la cheville, il sort à vingt minutes de la fin.
Prisonnier de guerre pendant quatre ans
De toutes façons, fin 1911, Sollier, jeune marié, est envoyé à Nancy accomplir son service militaire, comme évoqué plus haut, et Nancy se situe trop loin de Paris pour pouvoir revenir jouer à Vitry. Il disparaît donc des compte-rendus des journaux, ainsi que de l’équipe de France. Il ne réapparaît que fin 1913, mais alors il a opté pour le modeste club de l’Etoile du XIIIème ; il exerce alors la profession d’ouvrier typographe dans une imprimerie, et le football est alors devenu secondaire dans sa vie. Par contre, ce qui l’est moins, c’est qu’il restera prisonnier de guerre pendant 4 ans.
Certes, c’est mieux que son homonyme André Sollier, avec lequel il a été confondu pendant un siècle, car ce dernier est effectivement mort des suites des blessures reçues en 1914 ; et c’est aussi en 1914, dès les premières hostilités, qui sont extrêmement meurtrières, que Simon Sollier est capturé le 22 août à Ethé, en Wallonnie, lors de la bataille dite des Frontières. Il a la chance de n’être pas blessé, alors que les Allemands se livrent à des atrocités, tant à Dinant qu’à Ethé, fusillant des civils (218 à Ethé, près de 5000 au total), rasant des maisons, incendiant des villages ; il sera retenu à Cassel, libéré le 20 juillet 1918 (donc bien avant l’Armistice), pour raisons de santé (on suspecte une tuberculose, les Allemands ne tiennent pas à la garder !).
Il se remettra, heureusement pour lui, se retirera, comme le dit l’Armée, à Savigny sur Orge, et on ne sait plus rien de lui jusqu’à son décès, survenu le 1er juillet 1955 à Villers sur Coudun, dans l’Oise.
Les cinq matchs de Simon Sollier avec l’équipe de France
Sel. | Genre | Date | Lieu | Adversaire | Score | Tps Jeu | Notes |
---|---|---|---|---|---|---|---|
1 | Amical | 22/05/1909 | Gentilly | Angleterre | 0-11 | 90 | |
2 | Amical | 03/04/1910 | Gentilly | Belgique | 0-4 | 90 | |
3 | Amical | 16/04/1910 | Brighton | Angleterre | 1-10 | 90 | |
4 | Amical | 15/05/1910 | Milan | Italie | 2-6 | 90 | |
5 | Amical | 01/01/1911 | Charentonneau | Hongrie | 0-3 | 70 |
Vos commentaires
# Le 7 février à 09:45, par Olivierinho En réponse à : Les premiers Bleus : Simon Sollier, le prénom retrouvé
Merci pour cet article de qualité et l’engagement qu’il a nécessité en termes de recherche.
Pourquoi n’a t-il joué que 70 ’ contre la Hongrie ?
Merci
# Le 10 février à 14:30, par Bruno Colombari En réponse à : Les premiers Bleus : Simon Sollier, le prénom retrouvé
Il est sorti sur blessure.