Une Coupe du monde, c’est une sorte de jeu à pile ou face. Pour les Bleus, côté pile, de nombreux arguments qui en font la favorite de l’édition 2022 au Qatar : un sélectionneur ouvert aux changements tactiques, de nouveaux arrivants séduisants, une prestation convaincante en Ligue des Nations, une dynamique victorieuse depuis l’automne et un duo d’attaque éblouissant.
Côté face, quelques signaux d’alerte : une défense pas toujours sereine, une propension à mal démarrer les rencontres importantes, un système avec des pistons qui manque encore de vécu et le souvenir cuisant de l’échec à l’Euro 2020. Et sans doute les premiers signes d’une fin de cycle pour Lloris (treize ans en Bleu), Deschamps (dix ans en août prochain), voire Griezmann, dont l’influence sur le jeu semble moindre qu’en 2018.
Intégration des nouveaux de mars, calendrier décalé avec quatre matchs de compétition en juin, concurrence Maignan-Lloris, place de Giroud, avenir de Deschamps, bienveillance du tirage au sort, obstacles sur la route d’un doublé historique réussi que deux fois dans l’histoire, par l’Italie en 1934 et 1938 et le Brésil en 1958 et 1962 : autant de questions posées aux membres de la rédaction de Chroniques bleues. Voici leurs réponses.
Les deux matchs amicaux du mois de mars, les derniers avant le tournoi mondial, auront permis à Didier Deschamps de faire plusieurs essais. Qu’avez-vous pensé des trois nouveaux ? Peuvent-ils se faire une place dans la liste de la Coupe du monde ?
François da Rocha Carneiro : Il faut sans doute se méfier des matchs, qui ne sont qu’un aspect de l’intégration possible d’un joueur à un groupe. Qu’en est-il de l’accueil réservé par les anciens et les plus jeunes aux petits nouveaux qui peuvent s’avérer devenir des rivaux et non pas seulement des partenaires ? Qu’en est-il de la capacité des trois nouveaux à vivre dans ce groupe, à s’y fondre tout en se faisant remarquer ? Cette remarque préalable faite, chacun a montré des qualités de jeu intéressantes.
Dans un secteur souvent fragile, celui du deuxième défenseur central, William Saliba a apporté une sécurité et une sérénité très prometteuses. Il me semble difficile de s’en passer. Jonathan Clauss a su retourner un Stade Pierre-Mauroy qui lui était hostile (et le supporter lillois que je suis regrette vivement cette attitude inappropriée de quelques foules imbéciles qui ont ainsi donné raison aux insultes lensoises dont elles espéraient se venger). Son jeu est convaincant, mais la concurrence est rude dans un secteur où peu parviennent à s’imposer incontestablement. Christopher Nkunku, enfin, a aussi apporté une fraîcheur agréable, ce qui est de bon augure pour les compétitions ultérieures.
Richard Coudrais : Tous les joueurs sélectionnés cette année peuvent légitimement rêver à la Coupe du monde. Reste à savoir quel projet le sélectionneur a pour eux : un statut de titulaire ou de remplaçant ? On en saura un peu plus avec les prochains matchs.
Pierre Cazal : Je pense que Deschamps a son équipe en tête ; les nouveaux sont promis au banc, sauf cascade de blessures. L’expérience internationale est primordiale, Deschamps le sait bien.
Matthieu Delahais : « Clauss peut donner un peu plus de solidité défensive à l’équipe. »
Matthieu Delahais : J’attendais beaucoup de Nkunku, très performant avec son club, et j’ai été un peu déçu. La situation est très compliquée pour lui, car c’est sans doute aux avants postes que la France a le réservoir le plus riche. Saliba a réussi ses débuts, mais il se trouve aussi dans un secteur assez concurrentiel. Au Bayern, Lucas Hernandez et Pavard jouent parfois en défense centrale avec Upamecano. Deschamps préféra peut-être utiliser une paire qui a ses repères en complément de Varane. Enfin, j’ai beaucoup aimé la prestation de Clauss. Je pense qu’il a une réelle carte à jouer dans le système en 3-4-3 qui semble avoir les préférences du sélectionneur. Il va être en concurrence avec Coman pour le rôle de piston, mais le Munichois a un profil plus offensif. Clauss peut donner un peu plus de solidité défensive à l’équipe.
Raphaël Perry : Des trois nouveaux, celui qui avait le plus à gagner était Clauss, du fait d’un déficit de pistons droit de valeur en France, si Deschamps conserve bien ce système lors des échéances futures. La faible adversité sud-africaine a aidé le Lensois, à voir en compétition officielle mais il a une vraie carte à jouer. Comme beaucoup, j’attendais Nkunku en l’absence de Benzema mais je ne l’ai pas trouvé tranchant comme à Leipzig où il est un acteur clé du jeu. Je le vois davantage comme un suppléant de Griezmann avec plus de vitesse mais s’il conserve ses stats actuelles, il ira au Qatar. Pour Saliba, ce n’est pas le premier central à faire bonne impression pour ses débuts mais là aussi, à voir contre adversaire plus huppé. Mais en aura-t-il l’occasion avec le retour des tauliers ou polyvalents de Deschamps des campagnes de Russie ou de Ligue des nations ? Son choix de club cet été sera déterminant et sûrement scruté par Deschamps, il ne faut pas qu’il se trompe.
Le programme du mois de juin est chargé, avec 4 matchs en 10 jours contre le Danemark, la Croatie deux fois et l’Autriche. C’est une période habituellement très défavorable à la France, hors phase finale. Comment les Bleus, qui remettent leur titre en jeu, doivent-ils l’aborder ? Comme une préparation compétitive à la Coupe du monde, ou comme une phase de qualification classique ?
François da Rocha Carneiro : C’est un choix qui relève d’un sélectionneur, poste que je ne saurais pas occuper ! Néanmoins, il semble difficile de ne pas se saisir de ces quatre matchs pour quelques réglages, mais aussi, encore, quelques essais, avec, en particulier, le retour ou l’arrivée de deux ou trois nouveaux à qui il faut faire découvrir la vie de groupe à l’issue d’une saison qu’ils auraient bien réussie. On peut ainsi penser à Alban Lafont ou à Illan Meslier comme troisième gardien, à Benoît Badiashile en défense, à Boubakary Soumaré ou Boubacar Kamara au milieu, ou Martin Terrier en attaque. Ce sera sans doute trop court pour Hugo Ekitike, malheureusement.
Richard Coudrais : C’est le sélectionneur qui indiquera aux joueurs comment ils doivent aborder ces rencontres. C’est lui qui décide de l’importance du match. Et connaissant Didier Deschamps, on l’imagine mal dire aux joueurs que tel match n’est pas important. Il leur demandera de le jouer à fond, sachant que leur participation à la Coupe du monde en dépend. Je n’ai aucun souci sur ce plan.
Pierre Cazal : La Ligue des nations est une compétition, les Bleus sont même les tenants ! La Coupe du monde est loin, et il n’y a rien à préparer, l’équipe est prête, il faut juste rôder le système. Mais le mois de juin est effectivement souvent problématique.
Raphaël Perry : « ces Bleus semblent de nouveau faire peur à l’adversaire »
Matthieu Delahais : Je pense que les Bleus vont attaquer ces matches avec sérieux, d’autant plus que nous sommes tenants de la Ligue des Nations. Je crois que les joueurs auront à cœur de défendre avec brio leur trophée. Cette année 2022 est particulière, puisqu’en cette période on aurait dû avoir une phase finale. J’espère que la sélection abordera ces matches avec l’esprit de jouer comme en phase finale et d’aller défendre le titre en 2023 !
Hugo Colombari : les 4 matchs serviront sûrement de répétition grandeur nature pour la Coupe du monde, avec l’enjeu de la compétition (tout secondaire puisse-t-elle être) mais surtout un onze à rôder, avec notamment le retour de Benzema.
Raphaël Perry : Nous sommes dans une année très particulière avec ce Mondial automnal, avec une équipe qui semble sûre d’elle, prête à tout conquérir. Par certains aspects, elle ressemble à celle de 2000-2003 et si les cadres n’arrivent pas rincés en juin (comme Benzema avec Liga et Ligue des Champions au programme d’ici là) ou la tête un peu ailleurs (choix de carrière de Mbappé, Pogba, Tchouaméni, Koundé), les qualifications de juin devraient bien se passer.
Période défavorable ? Pas le souvenir de quatre matches organisés à cette période hors Euro ou Mondial, sauf les Coupes des Confédérations gagnées en 2001 et 2003. Deschamps est un grand compétiteur, il sait motiver ses joueurs qui pour certains auront un billet à aller chercher pour le Qatar. Surtout ces Bleus semblent de nouveau faire peur à l’adversaire et les scénarios de la phase finale de la dernière Ligue des nations prouvent qu’ils ne lâcheront rien.
L’attaque de l’équipe de France semble au moins aussi forte, sinon plus, que celle de la période 2000-2003. Pour autant, le niveau atteint par Benzema et Mbappé ne masque-t-il pas un relatif déclin de Griezmann ? Et que penser du retour de Giroud ?
Richard Coudrais : Certes, Griezmann est un peu plus en retrait depuis le retour de Benzema, mais nous n’en sommes pas encore au point de demander son remplacement. Si cette situation permet de faire briller les deux autres, et à l’équipe d’être performante offensivement, on garde. Quant à Giroud, tant qu’il marque des buts et qu’il en fait marquer, tant qu’il affiche cet état d’esprit et cette forme physique, il faut le rappeler. Même s’il devra sans doute accepter d’être plus souvent remplaçant.
Pierre Cazal : « ça me rappelle 1982. Abondance de biens ne nuit pas ! »
François da Rocha Carneiro : Que Griezmann soit moins en réussite, c’est probable. Didier Deschamps doit donc trouver un plan B, bien plus qu’un successeur, pour les matchs où il se montre moins à son aise, car l’équipe de France a besoin d’un animateur en attaque. C’est un compétiteur et la concurrence peut aussi réveiller une flamme qui ne brille guère ces derniers temps. On peut aussi imaginer, sans changer grand-chose aux plans de jeu habituels, un retour réussi de Dimitri Payet.
Pour ce qui est de Giroud, son retour fait indéniablement du bien. Il ne fait aucune ombre à un Karim Benzema au sommet et garantit le doublement du poste. Ses performances, comme celles de Karim Benzema ou d’autres joueurs en club, obligent d’ailleurs à réfléchir sur la notion d’âge, mais c’est un autre débat.
Pierre Cazal : Il n’y a pas à s’inquiéter pour Griezmann, je pense même qu’il saura profiter du fait que Mbappé et Benzema seront marqués de plus près que lui. Giroud est un modèle de joueur, guerrier, altruiste, il a des automatismes avec Griezmann et Mbappé. Moins avec Benzema, bien qu’ils aient déjà joué ensemble, ils n’ont qu’un an d’écart, ce sont des vieux ! Giroud est comme Ronaldo, l’âge n’a pas de prise sur lui. Franchement, cela me rappelle 1982 : il vaut mieux avoir et Platini, et Giresse, plus Genghini… Abondance de biens ne nuit pas !
Matthieu Delahais : Griezmann est clairement en retrait depuis son passage raté à Barcelone. Jusqu’ici, ça ne s’était pas trop vu sur ses performances en Bleu. Mais en mars, je l’ai senti moins dans le coup. Les excellentes prestations de Benzema et Mbappé ont peut-être masqué cette baisse de niveau. Mais le réel souci, à mon sens, est que le profil de Griezmann est assez unique. Je ne vois pas d’autres joueurs ayant, comme lui, cette capacité à garder le ballon.
Giroud a montré qu’il avait sa place en équipe de France. Et qu’il se situe dans la hiérarchie devant Ben Yedder. J’ai du mal à comprendre Deschamps sur ce dossier. Soit il pense que le Milanais n’a plus sa place en Bleu (pour des raisons sportives ou autres) et il ne faut plus le rappeler, soit il compte sur lui, mais dans ce cas, il ne devrait le sélectionner que lorsque Benzema est forfait. Il y a sans doute des éléments que nous ne connaissons pas, mais dans tous les cas, je trouve la gestion de ce joueur assez étrange.
Hugo Colombari : le retour de Giroud reste à confirmer vu qu’il était conditionné à l’absence de Benzema. Avoir les deux options serait sûrement un plus, notamment avec un Giroud en supersub. C’est indéniable que Griezmann était moins bien lors du dernier rassemblement, mais à mon avis pas de là à remettre en cause sa place de titulaire pour les prochains matchs. Il a souvent fonctionné par phase, en espérant que celle-ci ne dure pas.
Raphaël Perry : La complicité de Benzema avec Mbappé est évidente, elle le sera encore plus si le Parisien rejoint le Real l’an prochain. Griezmann a perdu un peu de son aura mais pas la confiance de Deschamps. Il a pour lui sa patte gauche inégalable pour l’heure et sa faculté à jouer collectif, intelligent même si cela le met en retrait en termes de leadership par rapport aux deux phénomènes précités. Pour Giroud, s’il conserve la même efficacité en début de saison prochaine, il sera au Qatar car il n’a pas d’équivalent comme finisseur dans les 10 m adverses ou comme remiseur dans le paysage actuel. Et comme il a le record de Henry en tête...
Alors qu’il n’a jamais été mis en concurrence par Didier Deschamps, Hugo Lloris voit arriver avec Mike Maignan un gardien de haut niveau, meilleur que lui dans certains domaines, notamment le jeu au pied. La Coupe du monde marquera-t-elle le terme de sa carrière selon vous ?
Richard Coudrais : C’est le sélectionneur qui décidera si le joueur poursuit sa carrière internationale. Et au joueur de répondre présent s’il souhaite continuer. Mais désormais, avec Mike Maignan, Lloris sait que sa marge d’erreur s’est réduite. Il ne pourra plus se permettre les petites bourdes qui ont émaillé sa belle carrière. Toutefois, il reste important de ne pas le fragiliser. La concurrence ne stimule jamais les gardiens de but, contrairement aux autres postes.
François da Rocha Carneiro : « En raison de son talent, Mike Maignan ne peut pas rester très longtemps numéro 2 »
François da Rocha Carneiro : Didier Deschamps ou son successeur décidera, là encore, et c’est normal. La concurrence n’a jamais empêché Hugo Lloris d’être performant et il le montre encore aisément. Sa place dans le vestiaire est très particulière, une autorité discrète et réelle dont le sélectionneur ne peut guère se passer dans un groupe aux très grosses personnalités. Néanmoins, Mike Maignan a aussi montré en club qu’il avait ces talents de leadership de vestiaire en même temps que ses très grandes qualités de jeu.
A mon sens, le poste de n°1 ne pose guère de problème, c’est bien plus celui de n°2. Mike Maignan, en raison de son talent, ne peut pas le rester très longtemps, et je vois difficilement Hugo Lloris pouvoir jouer ce rôle essentiel. Parions donc que ce dernier, une fois la Coupe du monde achevée et le record de sélections battu, fasse comprendre qu’il est temps pour lui de passer le relais et… de penser à la reconversion pour prendre un jour la direction de la sélection.
Pierre Cazal : Un gardien peut jouer jusqu’à 40 ans ; Lloris est un compétiteur, il ne lâchera pas son poste, et Maignan n’a rien prouvé. Un gardien se teste en haute compétition, et , plus il a d’expérience , mieux c’est . Lloris sera là en 2023 et 2024.
Matthieu Delahais : Lloris reste excellent sur sa ligne et sur les arrêts réflexes, même s’il a à son actif quelques belles gaffes et si son jeu au pied laisse à désirer. A l’issue de la coupe du monde, il ira sur ses 36 ans, ce qui commence à faire, même pour un gardien. Maignan présente toutes les garanties pour être un excellent successeur et devra, je crois, se contenter du rôle du numéro 2 cette année. Mais en 2023, je pense qu’il sera temps pour Lloris de passer la main.
Hugo Colombari : Dur à dire tant le poste de gardien est particulier, encore plus de gardien capitaine. Le niveau de Lloris reste encore satisfaisant et le passer numéro 2 (ce qui signifierait très certainement la fin de sa carrière internationale) sera une grosse décision à prendre, et je pense que Deschamps ne la prendra pas tant qu’il n’y sera pas forcé sportivement.
Raphaël Perry : Lloris est intelligent, il saura passer la main au bon moment, surement après le Qatar, sans fracas. Il sait que sa succession est assurée avec Maignan. Par contre au niveau cohésion de groupe, du poids qu’il a dans le groupe, il faudra lui trouver un successeur, moteur, fédérateur mais pas individualiste, davantage porté sur des valeurs collectives. C’est un autre chantier pour le sélectionneur. Le Pogba de 2016-2018 l’était, Mbappé peut-il l’être ?
Didier Deschamps reste évasif sur son envie de poursuivre son mandat de sélectionneur au-delà de 2022. Devrait-il s’arrêter après la Coupe du monde, ou cette décision devrait-elle dépendre de la performance des Bleus ?
Richard Coudrais : Didier Deschamps est une bête de compétition. Tant qu’on le laissera travailler comme il l’entend, il sera un sélectionneur performant et l’équipe de France restera dans le haut du panier. Après, si l’équipe ne fait pas mieux qu’à l’Euro 2021, à savoir une élimination dès le premier match couperet, on exigera inévitablement son départ. Mais sinon, pourquoi ne pas le laisser continuer ? Ce sera à lui de décider.
François da Rocha Carneiro : Que faire après l’équipe de France ? Didier Deschamps est peut-être le plus grand champion que la France du football ait connu, même s’il n’est pas celui sur qui se portent toujours les lumières. Restera-t-il, ne restera-t-il pas, la réponse lui appartient en grande partie. Mais ce sont les cadres de la fédération qui la lui poseront ou la lui imposeront. Bien que Marc Keller semble être sur les rangs, il serait sans doute un président de la FFF très légitime. A moins que ce ne soit un autre poste qu’on lui propose.
Pierre Cazal : Tout dépendra de la réussite, ou non, lors de la Coupe du monde. Admettons (ce qu’on n’espère surtout pas !) qu’il arrive la même chose qu’à l’Euro, ça sonnera la fin pour Deschamps. Gagnant, il restera. Je pense de toute façon qu’il a envie de continuer.
Richard Coudrais : « un match mal embarqué peut rapidement tourner au désastre. »
Matthieu Delahais : Deschamps est à la tête des Bleus depuis près de 10 ans, ce qui est énorme pour ce genre de poste. Quel que soit le résultat de la coupe du monde, je pense qu’il est temps pour lui de passer la main. L’équipe de France est excellente, le réservoir de joueurs est riche. Son successeur va récupérer un bel héritage, mais il apportera sa touche qui permettra à cette équipe de continuer à grandir. Je ne remets pas en cause les formidables qualités de gagneur de Deschamps, mais aussi bien pour les Bleus, que pour lui, je pense qu’il est important de changer à un moment. L’exemple de Löw, resté sélectionneur de l’Allemagne pendant 15 ans, le montre. Au cours des dernières années de son mandat, il n’y arrivait plus.
Hugo Colombari : Je suis d’accord qu’en cas d’échec à la Coupe du monde, Deschamps laissera probablement sa place. Mais si la compétition est une réussite (il reste à définir ce qu’est une Coupe du monde réussie ou ratée), la question semble plus complexe. Le fait que le prochain Euro, seul titre lui manquant, sera dans seulement 18 mois peut jouer en faveur d’une prolongation. Dans tous les cas je pense que la décision sera sienne, je ne vois pas Le Graët lui forcer la main.
Raphaël Perry : Deschamps a été contesté lors du dernier Euro mais a remis quasiment tout le monde d’accord avec le gain de la Ligue des Nations. Évidemment que le parcours des Bleus au Qatar peut influencer sa décision. Peut-il résister médiatiquement à une nouvelle élimination précoce, surtout avec Zidane dans les starting-blocks derrière ? Rêve-t-il de quitter la scène sur une troisième étoile ? Ou peut-il voir encore plus loin avec cette jeune génération portée par Mbappé qui se renouvelle sans cesse ? Au final, personne ne sait et c’est tant mieux.
Le tirage au sort semble avoir été une nouvelle fois favorable aux Bleus, comme lors des 4 dernières éditions. Voyez-vous toutefois des raisons d’être prudent, compte tenu de la déconvenue de l’Euro avec les matchs nuls contre la Hongrie et la Suisse ?
Richard Coudrais : La notion de “tirage favorable” ne veut plus dire grand chose. De par sa position désormais, et tenant compte du large nombre d’équipes présentes en phase finale, l’équipe de France aura toujours des adversaires a priori abordables, mais seulement a priori. Sur un match, la différence de niveau entre deux sélections est très serré, surtout en phase finale. Et un match mal embarqué peut rapidement tourner au désastre. Et comme nos Bleus encaissent souvent les premiers…
François da Rocha Carneiro : En 2002 ou en 2010, l’équipe de France n’avait pas non plus trop à se plaindre du tirage au sort. La prudence s’impose, tant de données sont à prendre en compte.
Pierre Cazal : Non, les choses sérieuses commencent aux phases éliminatoires. La France y sera , mais la suite est imprévisible , le précédent suisse le dit assez !
Matthieu Delahais : Le Danemark était quand même une des équipes les plus coriaces du second chapeau. Et on se rappelle qu’en 2018, les rencontres face au Pérou et l’Australie, tous deux troisième adversaire potentiel des Bleus, n’avaient pas été une partie de plaisir. Enfin, la Tunisie a un peu le profil du Sénégal en 2002, avec beaucoup de ses joueurs ayant des racines communes avec la France. Donc, le groupe reste délicat.
Ceci-dit, sur le papier, la France ne doit pas craindre ses équipes et devrait même pouvoir utiliser ces rencontres pour parfaire ses réglages et monter doucement en puissance avant la phase à élimination directe.
Raphaël Perry : Un tirage est favorable si tu atteins la phase éliminatoire. Après, phrase bateau ou passe-partout, ça se joue sur des détails. Il faut se servir des nuls contre la Hongrie ou la Suisse comme des alertes et se dire que rien ne sera simple.
Pour conclure, cette équipe peut-elle faire aussi bien que l’Italie en 1938 et le Brésil en 1962, les seuls champions du monde sortant ayant conservé leur titre ? Qu’est-ce qui pourrait l’en empêcher ? Le calendrier, les conditions climatiques, un statut trop difficile à assumer ?
Richard Coudrais : Nous ne devons pas faire la même erreur qu’en 2002. Pour l’instant, il faut surtout penser à se qualifier pour les huitièmes de finale. Depuis le début du XXIe siècle, et hormis le Brésil en 2006, les tenants du titre ont la fâcheuse habitude de se faire sortir au premier tour. Cela ne tient pas seulement du hasard. On parlera d’un éventuel doublé quand on arrivera dans le dernier carré.
François da Rocha Carneiro : C’est aller vite en besogne que d’espérer le doublé. C’est possible comme c’est possible que l’équipe de France soit éliminée dès le premier tour. Il suffit d’une mauvaise ambiance soudaine dans le groupe, de blessures ou de coups de mou inattendus à un moment particulier de la saison, laquelle vient clore deux années très particulières pour les organismes, d’événements extérieurs au groupe le plaçant dans une situation inconfortable, pour que cela tourne mal.
Il suffit aussi, tout simplement, d’un fait de jeu : un but encaissé à la 3e minute du premier match, sur un pénalty doublé d’un carton rouge pour un des joueurs de l’équipe de France, l’impossibilité de revenir au score, une blessure importante pour un joueur-cadre et un vestiaire désorienté après une telle entrée en scène, et l’équipe de France peut disparaître bien vite de la compétition. Alors, prudence !
Hugo Colombari : « Sur le papier ce sera sûrement la meilleure équipe si les dynamiques actuelles perdurent. »
Pierre Cazal : Le doublé est l’objectif, ce serait historique, pour l’équipe et pour Deschamps personnellement. L’erreur de 2002 ne sera pas reproduite, j’en suis sûr. Ce serait fabuleux ! Alors, rêvons-y…
MD : L’équipe de France fait partie des favoris, tout comme le Brésil, l’Argentine, l’Angleterre et quelques autres pays. Le doublé est possible, mais il y a encore beaucoup d’inconnues. D’abord, la compétition n’aura lieu que dans six mois, au cours desquels beaucoup de choses peuvent arriver : il peut y avoir des blessés, des transferts qui font perdre confiance à des joueurs… Les plus gros éléments d’interrogation sont la période et le lieu où se déroulera l’épreuve. Dans quel état de forme les joueurs des clubs majeurs vont arriver ? Seront-ils usés par leur début de saison et cela ne profitera-t-il pas à de plus petits pays ? Comment vont réagir les organismes aux conditions climatiques, avec rappelons-le des stades climatisés pour les rencontres (ce qui ne sera certainement pas le cas des lieux d’entraînement) ?
En 2002, la coupe du monde avait eu lieu une bonne semaine en avance par rapport au calendrier traditionnel, la préparation des équipes s’en était ressentie, et à l’arrivée, il y a eu quelques drôles de surprises (Corée du Sud en demi, élimination au premier tour de la France, de l’Argentine et du Portugal…). Il y aura des surprises au Qatar ! Mais la France a les armes pour décrocher un nouveau titre.
Hugo Colombari : Le potentiel de faire le doublé, c’est sûr que cette équipe l’a. Sur le papier ce sera même sûrement la meilleure si les dynamiques actuelles perdurent. Par rapport à 2002, je pense que l’échec du dernier Euro permettra à l’équipe de France d’arriver à la Coupe du monde sans avoir ce sentiment de toute puissance, en connaissant ses limites et en ayant les pieds un peu plus sur terre. Mais évidemment il faut sa part de chance et de réussite pour gagner une Coupe du monde, et là-dessus, seul le terrain nous apportera des réponses en novembre.
Raphaël Perry : Si les joueurs ont encore faim, je ne vois pas ce qui pourrait les priver d’un nouveau titre. La manière dont ils ont digéré l’Euro est également un signe de leur compétitivité et de leur détermination. Après, pour arriver au bout d’une compétition, il faut plein d’ingrédients : un peu de chance, une grosse solidité (la France est-elle encore si forte que ça défensivement ?), un froid réalisme avec un (ou plusieurs) talent(s) brut.
Je ne sais pas quels impacts auront le climat, la tenue de la compétition en novembre-décembre, la préparation minimaliste d’une semaine ? On va découvrir tout ça. La différence avec 2002, c’est qu’elle avait déjà réalisé le doublé (1998-2000), puis la confédération (2001) et qu’elle arrivait trop confiante sans sélectionneur pour alerter. Deschamps connaît l’histoire, son groupe, a surtout vécu les deux derniers Euros qui, selon moi, est une compétition plus dure à gagner qu’un Mondial.