Naître en décembre 1998 à Bondy est un bon début pour qui souhaite vivre un destin exceptionnel. Randal Kolo Muani est né quinze jours avant Kylian Mbappé dans la même commune de Seine-Saint-Denis [1]. Vingt-quatre ans plus tard, sans une intervention décisive du gardien argentin dans le temps additionnel des prolongations de la finale de la Coupe du monde, les noms des deux natifs bondynois auraient brillé au firmament du football français.
Osgood-Schlatter
Randal Kolo Muani n’est toutefois pas à proprement parler un Bondynois. S’il est né dans la ville que KMB a rendu célèbre, c’est à Villepinte, une dizaine de kilomètres plus loin, qu’il a grandi au sein de sa famille originaire du Congo-Kinshasa. Il frappe ses premiers ballons au FC local et s’y montre tellement doué qu’il évolue ensuite à Tremblay puis à l’US Torcy.
En Seine-et-Marne, le Villepintois joue aux côtés de coéquipiers qu’il voit partir dans des clubs professionnels (notamment Alexis Claude-Maurice et Lamine Ghezali) alors que lui est confronté à de récurrentes douleurs au genou. Les spécialistes diagnostiquent la maladie dite d’Osgood-Schlatter, qui nécessite un repos absolu. Lorsqu’il peut reprendre la compétition, il est appelé pour un test à l’INF Clairefontaine mais il n’est pas retenu.
Le jeune attaquant tente sa chance en Italie, où deux clubs, Cremonese et Vicenza, lui ont proposé un essai. Faute d’obtenir une réponse claire, il revient en région parisienne et signe au club de Neuilly-sur-Marne, là où vingt-cinq ans plus tôt un certain Sylvain Wiltord, futur buteur de dernière minute, avait joué ses premières parties de football.
École nantaise
En 2015, Randal Kolo Muani rejoint enfin le centre de formation d’un club professionnel, celui du FC Nantes. Malgré le déclin du club nantais, son école jouit toujours d’une bonne réputation. Elle a récemment fourni au football français quelques internationaux comme Dimitri Payet, Léo Dubois ou Jordan Veretout. Malgré son âge avancé de 18 ans, le stagiaire rattrape son retard sur les pelouses de la Jonelière et intègre rapidement l’équipe réserve du club, en National.
En décembre 2016, Randal Kolo Muani approche l’équipe première. L’entraîneur Sergio Conceiçao l’appelle pour l’entraînement, puis l’invite à faire le nombre sur le banc de touche. C’est toutefois Vahid Halilhodzic qui le fait jouer son premier match de Ligue 1, en novembre 2018, où il entre en jeu à l’occasion d’un Nantes-Saint-Etienne.
Malgré des débuts encourageants, le jeune attaquant tarde à s’imposer. On lui reproche d’être inconstant, de ne jouer que par fulgurances et de manquer de lucidité face au but. Après seulement six rencontres avec l’équipe pro du FC Nantes, il est prêté pour la saison 2019-2020 à Boulogne-sur-Mer, alors en National, équivalent de la troisième division. On craint le pire lors de ses premiers matchs avec le club boulonnais : Il est expulsé en deux occasions, à la suite de mauvaises réactions, et écope de huit matchs de suspension.
Boulogne et Covid
Le joueur garde toutefois la confiance de l’entraîneur Laurent Guyot, un ancien Nantais. Il réalise aussi qu’il lui reste beaucoup de travail à faire s’il veut devenir un joueur d’élite. Le dilettante devient alors un bosseur et l’inconstant reste concentré durant quatre-vingt-dix minutes. Après quatorze rencontres, le nouveau Kolo Muani inscrit trois buts et donne cinq passes décisives. Le club de Boulogne occupe la troisième place de son championnat et vise clairement la Ligue 2. Mais la crise du Covid-19 met un terme prématuré à la saison. Boulogne reste bloqué aux portes de l’accession après vingt-cinq journées.
RKM revient à Nantes au cours de l’été 2020. Christian Gourcuff l’intègre dans son groupe et en fait son avant-centre titulaire dès la deuxième journée. Malgré une tendance à manquer de précision dans le dernier geste, l’attaquant nantais réalise une saison satisfaisante en dépit d’une ambiance chaotique où le club, au bord de la relégation, change trois fois d’entraîneur au cours de la saison. Le joueur s’illustre notamment dans un Parc des Princes vide en mars 2021 lors d’une rencontre où un FC Nantes méconnaissable vient s’imposer face à l’immense Paris Saint-Germain de Kylian Mbappé. L’attaquant nantais signe un but et donne une passe décisive à Moses Simon pour le but de la victoire.
Rouge olympique
Depuis octobre 2020, le Nantais est appelé au sein de l’équipe de France espoirs. Mais il ne peut participer à la phase finale de l’Euro U21, étant retenu par les barrages que le FC Nantes dispute (et remporte) face à Toulouse. Toutefois, le sélectionneur Sylvain Ripoll ne l’oublie pas en août 2021 quand il doit composer une équipe pour les Jeux olympiques de Tokyo. Kolo Muani devient le premier buteur de cette équipe composée de bric et de broc [2]. A l’occasion du seul match de préparation à Séoul face à la Corée du Sud, le Nantais entre en jeu à la 70e minute à la place d’André-Pierre Gignac et marque à six minutes du coup de sifflet final. Les Français l’emportent 2-1.
Le tournoi olympique à proprement parler est un fiasco. Les Tricolores s’inclinent d’entrée 4-1 contre le Mexique, mais le but des Français est marqué sur un penalty obtenu par Kolo Muani dix minutes après son entrée en jeu. Titularisé contre l’Afrique du Sud, RKM donne une passe décisive à Gignac et participe à la victoire miraculeuse (4-3) des Tricolores. Le dernier match contre l’hôte japonais tourne à la déroute complète, avec une défaite 4-0 et… un carton rouge pour le Nantais, auteur d’un méchant coup de pied sur la cheville d’un adversaire.
La Coupe à Nantes
Cette aventure olympique donne toutefois le goût de l’ambition à Randal Kolo Muani. Il devient un élément-clé du FC Nantes qui retrouve des couleurs en 2021-2022, terminant dans la première moitié du classement et en remportant la Coupe de France. Mais quelques jours avant la finale (disputée au Stade de France, à une vingtaine de kilomètres de Villepinte), les supporters du club canari ont appris que leur joueur ne restera pas en Loire-Atlantique. En fin de contrat, RKM signe à l’Eintracht Francfort, qui vient alors de se qualifier pour la finale de l’Europa League.
Les bonnes prestations nantaises attirent l’attention du sélectionneur de l’équipe de France. Didier Deschamps convoque Randal Kolo Muani et le gardien Alban Lafont pour une série de quatre rencontres de Ligue des nations placées en toute fin de saison. Aucun des deux toutefois ne joue le moindre match. Kolo Muani ne connaît sa première sélection que trois mois plus tard, en septembre 2022 au Stade de France contre l’Autriche (2-0). Il remplace Kylian Mbappé durant le temps additionnel. Trois jours plus tard contre le Danemark (0-2), il bénéficie d’un tout petit plus de temps de jeu en remplacement d’Antoine Griezmann à dix minutes du coup de sifflet final.
Appelé de dernière minute
A Francfort, Randal Kolo Muani se montre performant. Il inscrit de nombreux buts décisifs tant en Bundesliga qu’en Ligue des Champions. Didier Deschamps ne le rappelle pourtant pas. RKM ne fait pas partie de la liste des 25 joueurs appelés à disputer la Coupe du monde au Qatar, en plein milieu de la saison. Mais cinq jours avant le début de la compétition, l’attaquant de Leipzig Christopher Nkunku déclare forfait. C’est alors que Deschamps se souvient du buteur de l’Eintracht, alors que celui-ci dispute un tournoi au Japon.
Au Qatar, l’ancien Nantais semble voué à un rôle de remplaçant. Il n’est titularisé que lors du troisième match, celui des coiffeurs, perdu 1-0 contre la Tunisie. RKM réapparaît toutefois en demi-finale contre le Maroc, où il entre en jeu pour les dix dernières minutes à la place de Ousmane Dembélé. Son premier ballon, il le touche après 44 secondes et l’envoie dans la cage marocaine, assurant la qualification des Bleus pour la finale. Son premier but en équipe de France.
RKM s’assoit de nouveau sur le banc de touche le 18 décembre 2022 pour la finale à Lusail. Il voit ses coéquipiers prendre l’eau face à une Argentine très au point. Cinq minutes avant la pause, Didier Deschamps procède à un double changement : Dembélé et Giroud sont remplacés par Kolo Muani et Marcus Thuram, tous deux évoluant en Bundesliga.
L’homme de la finale
L’attaquant de Francfort bouscule quelque peu la léthargie française. Il se montre combatif et inquiète les défenseurs argentins. C’est lui qui sonne la révolte. A dix minutes de la fin du temps réglementaire, alors que tout semblait définitivement perdu, il obtient le penalty qui permet aux Bleus de revenir à 2-1. Le reste appartient à l’histoire.
C’est à la 123e minute de la rencontre, c’est-à-dire dans le temps additionnel de la prolongation, que Randal Kolo Muani, idéalement lancé par Ibrahima Konaté, aurait pu devenir un héros du football français. Mais la frappe que toute la France célébrait déjà est repoussée par Emiliano Martinez. La décision se fera aux tirs au but. Kylian Mbappé ouvre le bal, mais deux Français manquent ensuite leur tentative. Kolo Muani s’élance à son tour pour transformer un tir qui entretient l’espoir. Mais l’Argentine ne gâche pas l’occasion de remporter le trophée.
La déception est énorme côté français. Elle s’atténuera peu à peu devant la satisfaction d’avoir participé à l’un des plus beaux matchs de l’histoire, du moins l’une des tentatives de renversement les plus improbables. Randal Kolo Muani, l’ancien Nantais, boucle une année incroyable où il a vu sa carrière s’accélérer après avoir longtemps stagné.
Buteur malgré tout
Le plus difficile reste de confirmer. Il poursuit sa saison allemande sur des bases élevées, terminant deuxième au classement des buteurs (15 buts), mais aussi à celui des passeurs (14 assists). Didier Deschamps lui maintient sa confiance. Il le convoque régulièrement et le titularise en plusieurs occasions, même si c’est pour le remplacer au cours de la deuxième mi-temps.
Malgré une belle saison en Bundesliga, le Français ne résiste pas aux sirènes du PSG qui entreprennent de monter une attaque trois étoiles avec RKM, Kylian Mbappé et Ousmane Dembélé. La réussite de l’opération est discutable et Kolo Muani lui-même voit son statut vaciller. Il n’en reste pas moins régulièrement appelé par Didier Deschamps, il marque de plus en plus souvent et se retrouve embarqué dans le groupe pour l’Euro 2024 en Allemagne.
Comme au Qatar, RKM est voué à un statut de remplaçant. Il entre en jeu lors de deux rencontres du premier tour (en fin de match contre l’Autriche et la Pologne) puis en huitième de finale à Düsseldorf contre la Belgique. C’est lui qui, à cinq minutes de la fin du temps réglementaire, débloque la situation en trompant le gardien belge sur un tir détourné par Jan Vertonghen (l’UEFA enregistrera le but comme un CSC du défenseur belge).
RKM devient titulaire à l’occasion du quart de finale contre le Portugal (victoire aux tirs au but) puis la demi-finale contre l’Espagne. C’est lui qui ouvre le score en début de rencontre d’une reprise de la tête sur un centre de Kylian Mbappé. Mais les vice-champions du monde sont rapidement rattrapés par une équipe espagnole largement supérieure (2-1) et qui remportera l’épreuve quelques jours plus tard.
Alors qu’il compte 22 sélections à l’issue de l’Euro 2024, Randal Kolo Muani n’a pas encore gagné ses galons de titulaire indiscutable en équipe de France. Sa régularité au plus haut niveau reste encore un questionnement, malgré une efficacité qui s’améliore au fil des années. Son nom restera associé à la balle de match qu’il a manqué à Doha. Ou plutôt à l’exploit du gardien argentin Emiliano Martinez.
25 sélections, 8 buts, 1 CSC provoqué et une occasion manquée
Sel. | Match | Date | Lieu | Adversaire | Score | TpsJeu | Note |
---|---|---|---|---|---|---|---|
- | France Ol | 16/07/2021 | Séoul | Corée du Sud (O) | 2-1 | > 21 | 1 but |
- | JO | 22/07/2021 | Tokyo | Mexique (O) | 1-4 | > 30 | |
- | JO | 25/07/2021 | Tokyo | Afrique du Sud (O) | 4-3 | 90 | |
- | JO | 28/07/2021 | Tokyo | Japon (O) | 0-4 | 74 > | Carton rouge |
1 | qLN 2023 [5] | 22/09/2022 | Saint-Denis | Autriche | 2-0 | > 1 | |
2 | qLN 2023 [6]d | 25/09/2022 | Copenhague | Danemark | 0-2 | > 9 | |
3 | CM 2022 3t1 | 30/11/2022 | Al Rayyan* | Tunisie | 0-1 | 90 | |
4 | CM 2022 df | 14/12/2022 | Al-Khor* | Maroc | 2-0 | > 11 | 1 but |
5 | CM 2022 fn | 18/12/2022 | Lusail* | Argentine | 3-3 (2-4 tab) | > 79 | |
6 | qEuro 2024 [1] | 24/03/2023 | Saint-Denis | Pays-Bas | 4-0 | 77 > | |
7 | qEuro 2024 [2] | 27/03/2023 | Dublin | Rep. d’Irlande | 1-0 | 90 | |
8 | qEuro 2024 [3] | 16/06/2023 | Faro | Gibraltar | 3-0 | > 66 | |
9 | qEuro 2024 [4] | 19/06/2023 | Saint-Denis | Grèce | 1-0 | 86 > | |
10 | amical | 12/09/2023 | Dortmund | Allemagne | 1-2 | 65 > | |
11 | qEuro 2024 [6] | 13/10/2023 | Amsterdam | Pays-Bas | 2-1 | 80 > | |
12 | amical | 17/10/2023 | Villeneuve d’Ascq | Ecosse | 4-1 | > 3 | |
13 | qEuro 2024 [8]d | 21/11/2023 | Athènes | Grèce | 2-2 | 65 > | 1 but |
14 | Amical | 23/03/2024 | Lyon | Allemagne | 0-2 | > 7 | |
15 | Amical | 26/03/2024 | Marseille | Chili | 3-2 | 83 > | 1 but |
16 | Amical | 05/06/2024 | Metz | Luxembourg | 3-0 | 90 | 1 but |
17 | Amical | 09/06/2024 | Bordeaux | Canada | 0-0 | > 3 | |
18 | Euro 2024 1t1 | 17/06/2024 | Düsseldorf* | Autriche | 1-0 | > 19 | |
19 | Euro 2024 3t1 | 25/06/2024 | Dortmund* | Pologne | 1-1 | > 4 | |
20 | Euro 2024 hf | 01/07/2024 | Düsseldorf* | Belgique | 1-0 | > 28 | |
21 | Euro 2024 qf | 05/07/2024 | Hambourg* | Portugal | 0-0 (5-3 tab) | 86 > | |
22 | Euro 2024 df | 09/07/2024 | Munich* | Espagne | 1-2 | 62 > | 1 but |
23 | qLN 2025 | 09/09/2024 | Lyon | Belgique | 2-0 | 67 > | 1 but |
24 | qLN 2025 | 10/10/2024 | Budapest | Israël | 4-1 | 90 | |
25 | qLN 2025 | 14/10/2024 | Bruxelles | Belgique | 2-1 | 89 > | 2 buts |
26 | qLN 2025 | 14/11/2024 | Saint-Denis | Israël | 0-0 | 90 | |
27 | qLN 2025 | 17/11/2024 | Milan | Italie | 3-1 | 90 |