Le contexte
La France est en finale de la Coupe du monde. On a beau se le répéter depuis quatre jours, on se pince quand même pour s’en convaincre. Le pari fou d’Aimé Jacquet semble sur le point de prendre forme. Pourtant tout n’a pas été facile depuis le début de cette édition 1998. Le premier tour a donné satisfaction sur le plan comptable (trois matchs, trois victoires), mais pas sur le jeu. D’autant que l’équipe n’a pas été épargnée par les pépins : blessure de Stéphane Guivarc’h contre l’Afrique du Sud, blessure de Christophe Dugarry contre l’Arabie Saoudite puis expulsion de Zinédine Zidane face aux même Saoudiens...
A partir des huitièmes de finale, les rencontres s’enchaînent dans la douleur : victoire au but en or contre le Paraguay, qualification aux tirs au but face à l’Italie, victoire arrachée par un double buteur miraculeux devant la Croatie… Un parcours jonché de souffrances mais méritoire qui a contribué à rassembler le public français autour de son équipe, et effacer le climat de défiance qui empoisonnait quelque peu le début de compétition.
L’équipe de France est donc en finale de sa Coupe du monde, mais ce n’est pas une fin en soi. Il lui reste à battre, au Stade de France le dimanche 12 juillet, l’équipe du Brésil, tenante du titre et peu disposée à le céder. Celle-ci reste la favorite aux yeux du monde entier. Y a-t-il eu d’ailleurs dans l’histoire de la Coupe du monde un match de l’équipe du Brésil où elle n’était pas favorite ?
La formation dirigée par Mario Zagallo et son adjoint Zico a réalisé un tournoi remarquable. Elle dispose d’une poignée de joueurs à la technicité exceptionnelle et surtout d’un phénoménal avant-centre : Ronaldo Luis Nazário de Lima, 22 ans, Ballon d’Or 1997, prototype du footballeur moderne alliant virtuosité technique et puissance physique. Malgré une douleur persistante à un genou, l’avant-centre brésilien a marqué quatre buts depuis le début de la phase finale et la FIFA l’a désigné meilleur joueur du tournoi.
Jacquet doit composer son équipe en tenant compte d’une absence de taille, celle de Laurent Blanc suspendu après un stupide carton rouge récolté en demi-finale contre la Croatie. Le défenseur central français est remplacé poste pour poste par Frank Lebœuf, qui n’a joué que le match des coiffeurs contre le Danemark et les dernières minutes de la demi-finale.
Le sélectionneur français reste fidèle au dispositif qu’il met en place depuis le quart de finale contre l’italie, un robuste 4-3-2-1 avec sept joueurs à vocation défensive. Du côté brésilien, une première feuille de match a été diffusée où le nom de Ronaldo était absent. Mais Il Fenomeno sera bien présent au coup d’envoi.
Le match
Le stade de France affiche complet, comme si toute la France s’y était donné rendez-vous. Même les personnalités people habituellement réfractaires aux choses du ballon rond se sont invitées dans les loges car toutes ont compris la portée historique de cette rencontre : c’est ici dans ce stade qu’il faut être vu ce 12 juillet 1998. Le coup d’envoi est donné par l’arbitre Saïd Belqola, un marocain. C’est la première fois qu’un arbitre africain dirige la finale de la Coupe du Monde. Ses assistants sont anglais et sud-africains.
Très vite, l’équipe de France se trouve en situation de marquer. Guivarc’h est lancé par Youri Djorkaeff sur un long ballon qui arrive dans la surface de Claudio Taffarel. Junior Baiano empêche le Breton de pivoter mais celui-ci tente un retourné qui passe au dessus de la cage (1’). Le début de match s’équilibre ensuite entre deux équipes qui cherchent à progresser en jouant au sol à base de passes courtes. Mais peu à peu les Français vont prendre l’ascendant sur leurs adversaires. Physiquement, techniquement et tactiquement.
Bloquer Roberto Carlos et Cafu dans les couloirs
Comme prévu, sur le côté droit, l’énergique Christian Karembeu se charge d’annihiler les inspirations du talentueux Rivaldo. Il se place également sur le chemin de Roberto Carlos pour briser, en compagnie de Lilian Thuram, les montées dévastatrices du latéral brésilien. Sur la gauche, Emmanuel Petit et Bixente Lizarazu sont assignés à peu près aux mêmes tâches vis-à-vis de Leonardo et Cafu. Djorkaeff quand à lui est tenu de jouer en second attaquant tout en contrariant les tentatives du capitaine Dunga, qui va souvent chercher le ballon à la hauteur de ses défenseurs.
Rapidement, on s’aperçoit que Zidane est dans un grand soir. Sa vista donne le tournis à ses opposants, chacune de ses passes décale idéalement un coéquipier et met le jeu dans le bon sens. On le voit à la réception des relances défensives, porter le ballon, défier les défenseurs, combiner avec Djorkaeff, avancer aux abords de la surface, décaler idéalement Guivarc’h seul vers le but. Mais le Breton manque son contrôle, trébuche et finalement, bousculé par Junior Baiano, rate son tir (4’).
L’équipe de France occupe souvent le camp brésilien. Rarement elle a démontré une telle maîtrise collective, ce sentiment d’être une et indivisible. Elle repose certes sur une base défensive solide, mais démontre de réelles capacités d’animation sur le plan offensif. Elle obtient un coup-franc excentré que frappe Zidane. Dans la surface, Djorkaeff et Guivarc’h se jettent sur la ballon. Le premier nommé reprend de la tête mais envoie au-dessus (6’).
Domination française, réaction brésilienne
Le Brésil semble surpris par la confiance manifestée par les Français. Il s’en remet, comme souvent, au talent individuel de ses joueurs. Roberto Carlos déborde sur son aile gauche et tire très fort en direction de la cage. On ne sait jamais avec lui s’il s’agit d’un tir spontané ou d’un centre raté. Toujours est-il que le ballon passe juste au-dessus de la barre de Fabien Barthez (21’). Ensuite c’est Ronaldo qui imite son coéquipier à partir du même endroit, avec un tir beaucoup plus précis. Barthez intervient sur sa ligne mais doit s’y reprendre à deux fois pour maîtriser le ballon, alors qu’il est sous la menace de Bebeto (22’). Plus tard, sur un corner de Leonardo, c’est Rivaldo qui reprend d’un puissant coup de tête et que Barthez bloque sur sa ligne en réalisant une parade très spectaculaire (24’).
A ce moment-là, on se demande si les tetracampeão ne sont pas en train de prendre le dessus. Sans un Barthez hyper-concentré, peut-être même auraient-ils ouvert le score. Mais les Français sont loin de céder à l’affolement. Ils perdent peu de ballons et font souffrir leurs adversaires. Sur l’aile droite, bien lancé par Thuram, Karembeu cherche à déborder Roberto Carlos. Ce dernier semble prendre le dessus, mais dans son élan, il sort du terrain avec le ballon. L’arbitre de touche signale un corner, ce qui met le latéral brésilien en colère.
21h27, Zidane jaillit
Le corner va être frappé par Petit. Il est 21h27 heure française ce dimanche 12 juillet 1998. Le temps est doux. La nuit n’est pas encore tombée sur Saint-Denis, même si les puissants projecteurs du Stade de France semblent donner l’impression que le match se joue en nocturne. Devant la cage, les Brésiliens s’agitent et s’octroient chacun un joueur en bleu, mais ils semblent oublier Zidane positionné à l’entrée de la surface. Lorsque le corner est frappé, le numéro 10 français s’avance vers le premier poteau. Leonardo est le seul à comprendre ce qu’il va se passer. L’ancien joueur du PSG cherche à s’interposer mais c’est trop tard. Zidane frappe le ballon de la tête et l’envoie dans la cage de Taffarel (28’).
Zidane vient d’inscrire le premier but de la finale. Il saute par-dessus les panneaux de publicité et envoie un poing rageur vers le public. Lorsqu’il revient vers le terrain, il y a ce curieux geste de Desailly qui semble le provoquer, puis le coup de poitrine viril de Lebœuf. Zidane n’oublie pas d’aller congratuler Petit, l’homme du corner.
Pour le Brésil, le coup est rude. Il s’agit maintenant de lancer des attaques et de faire plier cette forteresse bleue avant la mi-temps. Le capitaine Dunga donne l’exemple et envoie un long ballon loin devant dans la course de Ronaldo (31’). Celui-ci entre au sprint dans la surface de réparation mais n’a pas vu arriver Barthez. Les deux hommes se percutent violemment sans que l’on puisse déterminer si l’un des deux a commis une faute. Le gardien français se relève assez vite, l’attaquant brésilien met plus de temps. L’arbitre n’a rien sifflé.
Djorkaeff se prend pour Maradona
Les contacts deviennent un peu plus rudes. Au milieu de terrain, Djorkaeff est fauché par Junior Baiano, qui prend le premier carton jaune de la soirée (34’). Peu après, le même Djorkaeff tente un exploit à la Maradona en partant du milieu de terrain et en slalomant parmi les Brésiliens sur le côté droit. Mais il échoue à l’entrée des seize mètres, en bout de course, sa frappe manquant de puissance pour inquiéter Taffarel (36’).
Rivaldo fait étalage de sa technique à Karembeu et Deschamps près de la ligne de touche. Le capitaine français emploie la méthode forte et fait chuter le Brésilien qui roule au sol. Deschamps écope à son tour d’un avertissement (38’). Peu de temps après, le capitaine français est percuté par son vis-à-vis Dunga et reste longtemps au sol. Les soigneurs accourent et parviennent à le relever (39’). Le capitaine brésilien envoie ses excuses mais Deschamps fait savoir d’un hochement de tête réprobateur qu’il apprécie modérément. Il reprend la partie après avoir ingurgité une dose d’Arnica.
L’équipe du Brésil poursuit ses efforts. Les rares ballons qu’elle parvient à maîtriser se transforment en attaque mais celles-ci manquent toujours un peu de coordination, de détermination ou de choix pertinent. Sur un centre de Leonardo, Bebeto reprend de la tête, mais trop mollement pour inquiéter Barthez (40’).
Petit, première tentative
Coté français, la confiance reste culminante. On voit Karembeu tenter une frappe à ras de terre de quarante mètres. Le ballon est repoussé par Junior Baiano au niveau du point de pénalty mais arrive dans les pieds de Petit qui contrôle et frappe du pied droit (son mauvais pied). Junior Baiano encore lui s’interpose et dévie juste ce qu’il faut la trajectoire pour faire passer le ballon à côté (41’).
On reste subjugué par le nombre d’occasions très nettes que l’équipe de France parvient à se créer. La défense brésilienne est aux abois. Thuram, de sa position d’arrière droit, envoie un très long ballon aérien qui arrive aux abords de la surface de Taffarel. Guivarc’h se retrouve seul mais manque un peu de lucidité : il tire sur le gardien, qui dévie en corner (45’).
Petit se charge une nouvelle fois de ce coup de pied de coin. La ballon parvient à Guivarc’h qui, un peu excentré, est contré par Aldaïr lequel concède un nouveau corner. Celui-ci est tiré par Djorkaeff alors que l’on vient de dépasser la quarante-cinquième minute. Zidane retente le même coup. Positionné aux abords de la surface, il est à nouveau oublié par la défense brésilienne. Il s’avance au premier poteau pour reprendre le tir de Djorkaeff. Le capitaine Dunga cherche à s’interposer mais s’écroule sous le poids du Français qui reprend de la tête. Le ballon passe entre les jambes de Roberto Carlos puis s’en va claquer dans les filets.
C’est le deuxième but de Zidane, quasiment le même que le premier. Le numéro 10 français prend son maillot à pleines mains et l’embrasse symboliquement avant de rejoindre Djorkaeff qui l’attend à genoux les poings serrés. L’image fera la une de L’Equipe le lendemain. Puis avant de se replacer, il s’approche du banc de touche pour donner l’accolade à Dugarry.
Roberto Carlos et sa course d’élan gênée par Djorkaeff
La France mène 2-0 mais la première période n’est pas terminée. Saïd Belqola accorde un coup-franc aux Brésiliens à une quarantaine de mètres des buts gardés par Barthez. C’est Roberto Carlos qui s’apprête à le tirer, et l’on ne peut s’empêcher de se souvenir de ce but phénoménal qu’il avait inscrit un an plus tôt à Gerland, lors du France-Brésil amical du Tournoi de France. Mais cette fois, la frappe est plus rectiligne et sa trajectoire est déviée en corner par la tête de Deschamps (45’+3). Le Brésilien semble avoir été déconcentré par Djorkaeff qui est ostensiblement resté à ses côtés quand il a pris son élan. Le Français reproduira ce positionnement quand l’occasion se présentera, imitant une trouvaille des Danois lors du quart de finale à Nantes.
On en reste donc à 2-0 lorsque Saïd Belqola siffle la mi-temps. Il n’y a eu précédemment qu’une seule finale de la Coupe du Monde où une équipe avait fait une telle différence avant la mi-temps, et c’était lors de la première Coupe du monde française, en 1938, quand l’Italie menait 3-1 contre la Hongrie à la pause. Toutes les autres premières mi-temps se sont soldées par un score plus serré.
Denilson en renfort, Desailly averti
Pour la deuxième période, le sélectionneur brésilien fait entrer un attaquant supplémentaire, le jeune Denilson, à la place du milieu de terrain Leonardo. Le Brésil se jette résolument à l’offensive, a-t-il d’ailleurs le choix ? Cafu tente de débloquer la situation sur son aile, mais il est bousculé par Desailly, qui au passage prend un carton jaune (47’). Dunga tente un tir de loin qui passe largement à côté (53’). Denilson tente une incursion dans la défense française mais il est accroché par Karembeu (56’). C’est fait : les trois anciens Nantais de l’équipe de France ont pris un avertissement.
La finale aura révélé chez les Brésiliens un manque de cohésion sur le plan tactique. L’équipe est capable d’écraser un adversaire sous le poids de l’exceptionnelle qualité individuelle de ses joueurs, mais souffre face à une équipe bien organisée et très concentrée. Elle se crée toutefois des occasions. Roberto Carlos centre de son aile gauche. Le ballon est récupéré par Ronaldo sur le côté droit, qui frappe des six mètres, à bout portant. Le but est inévitable et pourtant Barthez bloque impeccablement le ballon (56’). Moralement, le match s’est sans doute gagné à cet instant pour les Bleus.
Quand Barthez sort à l’aventure, sur une touche
Autant la première mi-temps fut un sommet de maîtrise de la part des hommes de Jacquet, autant la deuxième est plus décousue. Beaucoup d’imprécisions se font jour ça et là. Les Tricolores se donnent quelques frayeurs, comme sur cette longue touche de Roberto Carlos, que Barthez tente de capter en s’aventurant loin de sa cage mais où il se loupe complètement. Bebeto récupère et frappe, mais Desailly s’interpose sur la ligne des six mètres et met en corner (61’).
Les Français, un peu plus repliés qu’en première période, réagissent désormais plus qu’ils n’agissent. Les offensives menées par le Brésil laissent quelques boulevards dans sa défense. Lebœuf envoie un long ballon aérien en direction de Guivarc’h, qui se retrouve au milieu de trois Brésiliens. Cafu manque sa tête et place idéalement le Français face à Taffarel. Mais sa frappe manque le cadre (64’).
Guivarc’h, quand ça veut pas...
Rarement dans l’histoire un joueur n’a eu en finale de Coupe du monde autant d’occasions franches que Stéphane Guivarc’h. Et à plus forte raison, rarement un joueur n’en a manqué autant. C’est peut-être cette absence de réussite qui pousse Jacquet à changer son avant-centre. Le Breton cède sa place à Dugarry (66’). C’est le deuxième changement après celui, poste pour poste, de Karembeu par Alain Boghossian (57’).
La Brésil poursuit ses attaques, notamment par le dribbleur Denilson qui cherche toutes les entrées possibles. Un de ces centres est repoussé par Desailly, qui sort très vite le ballon. Il le transmet à Djorkaeff et poursuit sa course. Le défenseur français franchit la ligne médiane lancé par Djorkaeff, mais Cafu intervient pour s’emparer du ballon. Desailly, trahi par son enthousiasme, fauche brutalement le Brésilien. Il se lève, voit l’arbitre mettre la main à la poche et se dirige aux vestiaires sans même regarder la couleur du carton (68’).
Le Brésil finit en 4-2-4 contre dix Français
Il reste encore vingt-deux minutes et la France se retrouve en infériorité numérique. Petit lâche son poste de milieu de terrain pour occuper celui laissé vacant par Desailly au centre de la défense. Côté brésilien, on en profite pour renforcer le secteur offensif avec l’entrée de l’attaquant Edmundo à la place du milieu Cesar Sampaio (74’). Le Brésil joue désormais avec quatre attaquants : Ronaldo, Bebeto, Denilson et Edmundo auxquels on peut associer le très offensif Rivaldo.
C’est le deuxième changement brésilien. Il n’y en aura curieusement pas de troisième.. Jacquet par contre utilise tous ses jokers et renforce le bunker bleu en remplaçant un de ses rares joueurs offensifs, Djorkaeff, par un milieu défensif, le jeune Patrick Vieira (75’), qui n’a joué qu’un seul match, le France-Danemark du premier tour.
Le Brésil poursuit sa domination brouillonne et improductive. Les Français, dès qu’ils récupèrent le ballon, assurent de longues passes pour en priver les Brésiliens. Il reste encore une dizaine de minutes à tenir. Lebœuf tacle Denilson puis donne le ballon droit devant à Dugarry. Celui-ci relaie avec Zidane qui le lance plein champ, la défense brésilienne étant à nouveau prise à défaut. “J’ai marqué le premier but, je marquerais le dernier” avait clamé Dugarry qui se retrouve seul devant Taffarel… mais frappe à côté (83’). L’attaquant français se met alors à boiter, comme pour donner une excuse à sa maladresse.
Près du banc de touche français, les remplaçants et les membres du staff sont tous debout. Ils trépignent, ils encouragent, ils se congratulent, certains sont sur le point de pleurer. Tout là-haut, la tribune présidentielle est dans un état d’excitation comparable, entre Michel Platini qui serre les poings en signe de victoire et Jacques Chirac qui sent bien de quelque chose va se passer. On joue la dernière minute réglementaire. Une frayeur parcoure à nouveau l’échine des français. Une action brésilienne décale Denilson sur la gauche qui frappe à bout portant. Le ballon tape le haut de la transversale avant de sortir (90’).
Petit dans le mille
Trois minutes de temps additionnel sont données à l’arbitre. Le score est toujours de 2-0 et le Brésil continue d’attaquer. Un tir lointain de Rivaldo est dévié par une jambe française et Barthez ne parvient pas à empêcher le ballon de sortir. Ultime corner pour le Brésil. Roberto Carlos le frappe. Au niveau du point de penalty, aucun brésilien ne s’impose et le ballon atterrit dans les pieds de Dugarry.
Le Bordelais sort de la surface, semble dans un premier temps ne pas trop savoir quoi faire du ballon. Puis il se met à remonter le terrain, accompagné dans son effort par Vieira et Petit. Au sortir du rond central, Dugarry transmet à Vieira sur la gauche, lequel aussitôt, sans contrôle, lance le ballon dans la course de Petit. D’un coup de patte du pied gauche, le blond français mystifie Taffarel, bloqué sur ses appuis. Le ballon roule doucement dans la cage brésilienne (90’+3).
Le but de Petit entérine pour de bon la victoire (3-0) des Tricolores. Un but d’autant plus symbolique qu’il s’agit du millième de l’histoire de l’équipe de France. Les Brésiliens engagent mais l’arbitre siffle aussitôt la fin du match.
L’équipe de France est championne du monde. “Vous le croyez ça ?” hurle Thierry Roland d’une voix légèrement cassée : “Je crois qu’après avoir vu ça, on peut mourir tranquille. Enfin, le plus tard possible…” Et tandis que les joueurs se congratulent, le commentateur vedette ne se contient plus : “Quel pied ! Quel pied ! Oh p…”. La télévision s’attarde sur Aimé Jacquet qui s’en va faire l’accolade à Mario Zagallo, un image qui donne la pleine mesure de l’événement qui se produit sous nos yeux.
La séquence souvenir
Lors d’une finale, le match se prolonge avec la célébration du titre. Après les scènes de joie et de tristesse, le capitaine de l’équipe gagnante se voit remettre le trophée par la personnalité qui préside la soirée, souvent un homme politique en vue. Didier Deschamps s’apprête donc à soulever le célèbre trophée que lui remettra Jacques Chirac, et voir son image succéder aux clichés historiques de Maradona, Beckenbauer, Zoff, Matthäus, Passarella et son vis-à-vis Dunga.
C’est en grimpant marche après marche vers la tribune présidentielle que les joueurs français vont aller chercher le trophée. Mais avant eux, ce sont les Brésiliens qui vont chercher leurs médailles. Mais quel esprit pervers a pu imaginer ce protocole obscène qui force les malheureux à passer devant le trophée convoité et à serrer plusieurs mains en affichant leur pire visage, celui de la défaite ? Et alors qu’ils n’ont qu’une envie, celle de rentrer aux vestiaires, on les force ensuite à rester sur les lieux pour assister au triomphe de leurs vainqueurs avec injonction d’applaudir...
Pendant que les Brésiliens défilent tristement dans la tribune présidentielle, on voit Michel Platini s’adresser à Deschamps avec un geste des mains pour dire à peu près ceci : “Prends ton temps. Profite de ce moment avec tes coéquipiers, ces instants de bonheur absolu qui n’appartiennent qu’à vous. Lorsque le trophée vous sera remis, cette victoire ne vous appartiendra plus. Elle sera celle de vos supporters, de votre pays. Alors prends ton temps, Didier, prends ton temps et savoure”.
Alors Deschamps prend son temps. Il précède ses coéquipiers dans la longue montée des marches entouré par la foule. Les Bleus tapent quelques mains anonymes qui se tendent et profitent du bain de foule. Arrivé dans la tribune, le capitaine français commence la ronde des hommages. Il reçoit l’accolade de Marie-George Buffet, ministre des Sports, la bise de Claude Simonet, président de la FFF, la poignée de main de Lionel Jospin, premier ministre, la congratulation de Michel Platini, le grand frère, puis celle de Jacques Chirac, le président de la République, qui semble avoir un paquet de choses à lui dire.
Pendant que le président tient la grappe au capitaine, on observe chez les joueurs français un curieux manège où Laurent Blanc, le grand absent de cette finale, a doublé tout le monde pour se positionner aux côtés de Deschamps. Les Bleus ont tenus à ce que leur vice-capitaine, bien que suspendu pour la finale, soit aux premières loges (et sur la photo) au moment historique où les joueurs soulèveront le trophée.
Pour Deschamps, il reste encore à saluer les sommités sportives. Joao Havelange, le président (brésilien) de la FIFA, remet les médailles aidé comme il se doit par son adjoint Sepp Blatter. Un peu plus à gauche, Juan Antonio Samaranch, président du CIO, applaudit avec le sourire. Tous les joueurs prennent le même chemin, serrent les mêmes mains, embrassent les mêmes visages et reçoivent la même médaille. Ils sont suivis par les membres du staff. Cela fait une bonne quarantaine d’hommes qui s’entassent à qui mieux-mieux dans un petit espace en attendant le grand moment.
Il est temps, enfin, de remettre le trophée. Jacques Chirac s’empare de la Coupe. Au milieu de ses coéquipiers, Didier Deschamps a peur de ne pas être vu. Alors il monte sur la bordure en béton drapée de vert qui servait de table aux officiels. Il est imité par quelques coéquipiers. Le président lui remet le trophée qu’il peut enfin brandir au ciel. Les appareils photo crépitent, l’instant est figé pour l’éternité. La France est championne du monde. Le trophée passe ensuite de mains en mains alors que le stade diffuse la musique de Star Wars.
Les joueurs descendent ensuite sur la pelouse pour quelques tours d’honneurs désordonnés, poseront pour la photo historique non sans avoir enfilé par dessus le maillot un tee-shirt de leur équipementier.
Le bleu du match : Zinédine Zidane
Jusqu’à cette rencontre face au Brésil, le cas Zidane restait un point d’interrogation. Son talent ne faisait aucun doute, mais le grand joueur n’était pas passé au stade de super-joueur. Après l’Euro 1996 qu’il avait disputé mal remis d’un accident de voiture, la Coupe du monde 1998 laissait planer un doute sur sa capacité à se surpasser lors des grands rendez-vous. Pire, son exclusion dès le deuxième match pour un mauvais geste laissait croire qu’il sombrait facilement sous la pression. Il avait forcé l’équipe de France à se dispenser de ses talents durant deux rencontres puis était revenu en quarts de finale aiguillant le jeu d’une équipe qui gagnait dans la douleur. Au matin de la finale, Zidane n’avait toujours pas marqué le moindre but.
En club, son expérience des finales était on ne peut plus déficitaire : la Coupe de l’UEFA avec Bordeaux, puis la Coupe des Champions, deux fois consécutivement avec la Juventus, s’étaient soldées par autant de défaites. Pourtant, dès les premières minutes face au Brésil, on s’est mis à comprendre que Zidane serait l’homme de cette finale. Il illumine le jeu de son équipe avec son sens du dribble, combine admirablement avec son pote Lizarazu, l’autre ex-Bordelais.
Traditionnellement affecté au tir des corners, Zidane ne s’en est pas chargé en finale. Jacquet a préféré qu’il soit à la réception des coups de pieds de coin, car il avait détecté un vice caché dans la défense auriverde. C’est pourquoi Zidane a inscrit deux fois le même but, une reprise de la tête sur un corner. L’intuition d’un entraîneur et le talent d’un joueur.
Zidane a finalement été à l’image de l’équipe de France durant cette Coupe du monde 1998 : souvent très bon tout au long du tournoi, mais parfois inquiétant, voire irritant. Et puis soudain, en finale, brillant, réalisant une performance telle qu’on en oublie tout ce qui a précédé. Aussitôt la finale terminée, c’est son nom, ou du moins son surnom qui est clamé par la foule en liesse. En fin d’année, il recevra le Ballon d’Or, censé récompenser le meilleur joueur de l’année. Il aurait dû en recevoir d’autres durant la suite de sa carrière.
L’adversaire à surveiller : Ronaldo
Jamais nous ne pourrons évaluer l’impact réel sur la performance des Brésiliens de l’événement qui a secoué la délégation dans l’après-midi qui a précédé la finale. A l’heure de la sieste à Ozoir-la-Ferrière, lieu de retraite de la seleçao, Ronaldo est victime de convulsions qui le contraignent à une visite d’urgence à la clinique sportive des Lilas.
D’abord annoncé forfait, Ronaldo sera bien présent à la pointe de l’attaque auriverde, en débarquant au Stade de France directement de la clinique. Contrairement aux rencontres précédentes, le Ballon d’Or 1997 pèsera peu sur la défense adverse. Son attitude hagarde et quelques actions manquées poseront des questions sur sa réelle concentration. Lebœuf, son garde du corps, prend le dessus sur lui. Toutefois, en deux occasions, le numéro neuf brésilien met Barthez à contribution comme sur ce tir excentré depuis l’aile gauche en première mi-temps ou cette frappe des six mètres en début de deuxième que le gardien français bloque parfaitement. A la demi-heure de jeu, il avait provoqué une grosse frayeur parmi ses coéquipiers lorsqu’il fut percuté en pleine course par le gardien français, un choc dont il mit longtemps à se relever.
Ronaldo a pourtant été élu meilleur joueur du tournoi en dépit d’une douleur rotulienne qui l’a empêché de livrer à fond. La FIFA élit toujours son meilleur joueur avant la finale, ce qui porte rarement chance à l’intéressé. L’affaire du malaise et la finale ratée fera grand bruit au Brésil où une commission parlementaire sommera Il Fenomeno de s’expliquer. Car au Brésil, une défaite de l’équipe nationale devient vite une affaire d’état.
La fin de l’histoire
C’est une onde de choc qui a parcouru le pays tout entier. On peut sortir la phrase toute faite : plus rien ne sera comme avant. L’équipe de France a changé de statut. D’outsider malheureux dans les années 1980, c’est elle qui termine le millénaire avec le titre de championne du monde en bandoulière. Mieux, elle s’octroie le titre européen en 2000 et figure quelques mois encore comme la meilleure équipe de la planète. Jusqu’au crash de la Coupe du monde 2002 où prise d’un excès de confiance, elle ne parvient ni à franchir le premier tour, ni même à inscrire le moindre but.
Bien des pages ont été noircies pour évaluer l’impact de la finale de la Coupe du monde 1998 sur le sport français, mais aussi sur la société toute entière. Rarement un match n’a été suivi par autant de téléspectateurs devant leur poste ou sur les places publiques où des écrans géants avaient été installés. Rarement un événement a fait sortir autant de foule dans les rues pour faire la fête.
Le pays a vécu une période d’euphorie à tel point que les courbes de popularité du président Jacques Chirac et du premier ministre Lionel Jospin ont connu un pic surprenant. L’équipe de France black-blanc-beur a servi de référence dans différents discours soulignant Zidane le Kabyle succédait à Platini l’Italien et Kopa le Polonais.
Bref, durant quelques jours, c’est comme si tous les problèmes du pays avaient été réglés par deux coups de tête inspirés et un troisième but libérateur. Le peuple de France, si condescendant jusqu’alors vis-à-vis des manifestations populaires qui accompagnaient les victoires de ses adversaires, découvrait ce qu’était gagner une Coupe du monde de football.