Le contexte historique
La Guerre d’Algérie, déclenchée en novembre 1954, s’intensifie les 20 et 21 août avec les massacres du Constantinois qui font une centaine de morts côté Européens, et deux à trois mille côté Algériens. En Tunisie, un accord d’autonomie interne est signé avec la France en juin, entraînant le retour de Bourguiba. Au Maroc, le protectorat français est terminé, ouvrant la voie à l’indépendance du pays en novembre. Juan Peron est renversé en Argentine par les militaires et doit quitter le pays.
Dans l’Alabama, l’affaire Rosa Parks lance le mouvement de boycott des bus de la ville soutenu par Martin Luther King. En avril en Indonésie, la conférence de Bandung rejette le colonialisme et fédère ce que l’on va appeler les pays non-alignés, autour de la Chine, l’Inde et l’Egypte. Au cinéma sort La nuit du chasseur, de Charles Laughton, ainsi que Nuit et brouillard, d’Alain Resnais.
Le contexte sportif
Alors que Louison Bobet remporte son troisième (et dernier) tour de France, c’est cette année-là que va se mettre en place à l’initiative de Gabriel Hanot, ex-international français, la première coupe d’Europe de l’histoire, celle des clubs champions. Jusqu’alors, il n’y avait que des compétitions un peu baroques comme la coupe latine (regroupant les champions français, italiens, portugais et espagnols) ou la coupe des villes de foire (qui deviendra la coupe de l’UEFA en 1971). Reims, Benfica, Barcelone, le Real Madrid et le Milan AC en sont les principaux protagonistes.
Après une coupe du monde en Suisse complètement ratée (élimination au premier tour), l’équipe de France a du temps pour se reconstruire d’ici la prochaine édition qui aura lieu en Suède en 1958, autour de son stratège Raymond Kopa et de l’ossature rémoise.
Le sélectionneur en poste
Jules Bigot parti, le directeur du comité de sélection, Paul Nicolas, fit venir le meilleur entraîneur français du moment, le Rémois Albert Batteux. International en 1948-1949 alors qu’il avait 29 ans, il a vu sa carrière de joueur tronquée par la guerre. Entraîneur de Reims en 1950, il prône un jeu collectif partant de la défense et basé sur des passes courtes à une touche de balle. Quand il arrive en équipe de France, il vient de remporter son deuxième titre de champion avec Reims. Il en gagnera six autres. France Football le nommera en 2000 deuxième meilleur entraîneur français du siècle derrière Aimé Jacquet et devant Michel Hidalgo.
Le récit de l’année
1955 commence par un coup d’éclat le 17 mars au stade Chamartin, celui du Real Madrid. L’affluence est énorme (125 000 spectateurs) et le spectacle au rendez-vous. La Roja frappe la première par Agustin Gainza (11e) mais les Bleus tiennent bon. Au bout d’une demi-heure, Batteux demande à Kopa de permuter avec René Bliard et d’organiser le jeu dans l’axe. Il égalise à la 35e, marque une deuxième fois à la 66e mais l’arbitre le refuse pour un hors-jeu imaginaire et lance Léon Glovacki qui sert Jean Vincent pour le but de la victoire (2-1, 73e). L’impact est énorme, et quatre mois après avoir gagné à Hanovre contre la RFA championne du monde, les Français se disent qu’il y a peut-être, qui sait, un coup à jouer... Plus tard, Albert Batteux lui-même reconnaîtra que « La Suède a commencé là. »
En attendant, il reste six matches amicaux à disputer en 1955. Le suivant, c’est face à la Suède, justement, à Colombes au mois d’avril. Sans Kopa, mais avec Vincent et Piantoni en attaque, l’équipe de France l’emporte grâce à un beau match de Célestin Oliver, qui fête sa deuxième sélection par un but sur un centre de Vincent (36e) et une passe décisive pour Léon Glovacki (56e, 2-0).
Au mois de mai, c’est l’Angleterre qui débarque à Colombes, une Angleterre encore sous le choc des deux claques assénées par la Hongrie en 1953 et en 1954 (3-6 et 1-7). Une Angleterre qui n’a pas encore renoncé à son WM complètement dépassé et qui aligne un joueur certes de grande classe, mais qui commence à fatiguer (Stanley Matthews, quarante ans). Vincent trouve une première fois le poteau, puis est descendu par Peter Sillett dans la surface. Pénalty que transforme Kopa (37e) et quatrième victoire française contre les Anglais (1-0).
Le match de Bâle contre la Suisse en octobre aligne pour la première fois ensemble trois des quatre acteurs du carré magique offensif de 1958 : Jean Vincent, Roger Piantoni et Raymond Kopa. Et ça marche : comme face à l’Angleterre, Vincent obtient un pénalty que Kopa transforme (24e). Après l’heure de jeu, Piantoni est à la conclusion d’une percée de Léon Glovacki (69e). Le but tardif de Marcel Mauron (87e, 2-1) ne changera rien à l’efficacité française. Quatre victoires en quatre matches, pour l’instant le bilan d’Albert Batteux est parfait.
Deux semaines plus tard, la série allait s’arrêter à Moscou, face à une équipe soviétique inconnue que les Bleus rencontraient pour la première fois de leur histoire. Batteux aligne une formation défensive (avec Piantoni en récupérateur) qui ouvre le score par l’inévitable Kopa (29e) après que l’acteur Gérard Philipe ait donné le coup d’envoi. Les Russes reviennent juste avant la mi-temps et prennent l’avantage au retour des vestiaires, mais Roger Piantoni décide alors de monter et égalise (69e, 2-2).
L’année se termine par des rencontres contre nos adversaires préférés, en commençant par les inévitables Yougoslaves. Le 11 novembre, à Colombes, l’équipe de France est chahutée, bousculée, dominée par les visiteurs qui ouvrent le score (Veselinovic, 29e), alors que Remetter est sauvé deux fois par ses poteaux. Comme en Russie, c’est Piantoni qui sauve le match nul à deux minutes de la fin après que le gardien Beara ait relâché une tête de Jean-Jacques Marcel (1-1).
Le dernier match, joué au Heysel de Bruxelles contre la Belgique le jour de Noël était celui de trop. Sans Jean Vincent, les Français dominent mais gâchent tout ce qu’ils peuvent, alors que les Belges jouent en contre. Et c’est ainsi qu’ils ouvrent le score juste avant la mi-temps (43e) et qu’ils reprennent l’avantage à l’entrée du dernier quart d’heure alors que Piantoni, toujours lui, avait égalisé de près sur un centre de René Bliard (1-2).
La révélation de l’année
René Bliard. Né en 1932, l’attaquant du Stade de Reims débute en Bleu contre l’Espagne, à 22 ans. Il va jouer quatre fois en 1955, et deviendra meilleur buteur du championnat de France (30 buts). Il ne connaîtra pas la même réussite en sélection, où il ne jouera que trois autres matches entre 1956 et 1958. Il sera appelé dans le groupe qui ira en Suède, mais devra déclarer forfait suite à une entorse à la cheville à l’entraînement. Une blessure qui assura une place de titulaire à Just Fontaine...
Les joueurs de l’année
Vingt joueurs seulement sont appelés par Albert Batteux en 1955, ce qui pour sept matches disputés est très peu. Marche, Jonquet, Remetter et Glovacki n’en ratent aucun, alors que Kopa, Penverne et Louis en jouent six. Il n’y a que quatre débutants : René Bliard donc, Maryan Wisnieski (qui complètera le carré magique en 1958), Joseph Tellechea et Simon Zimny (qui ne sera plus rappelé). Outre ce dernier, deux Bleus quittent la sélection en 1955 : Léon Glovacki et Abderrahman Mahjoub.
Les buteurs de l’année
Kopa et Piantoni ont marqué quatre buts chacun, loin devant le trio Glovacki-Vincent-Oliver. Avec 11 buts, ce n’est pas une année très prolifique pour l’équipe de France. Entre 1957 et 1960, avec à peu près les mêmes joueurs offensifs (plus Just Fontaine quand même), elle inscrira 94 buts en 35 matches.
Carnet bleu
1955 est une année incroyablement prolifique pour les Bleus : il y a presque de quoi monter une équipe entière, avec dix internationaux dont deux gardiens. Voyez plutôt, et notez bien la dernière décade de juin prodigieuse : Dominique Rocheteau (14 janvier), Albert Gemmrich (13 février), Pierrick Hiard (27 avril), Michel Platini (21 juin), Jean Tigana (23 juin), Maxime Bossis (26 juin), Jean-Luc Ettori (29 juillet), Omar Sahnoun (18 août), Olivier Rouyer (1er décembre) et Roland Wagner (22 décembre).