« Une défaite par quatre buts serait normale ; un but, un exploit ; le match nul un miracle ; et une victoire n’est pas possible ». C’est par ces mots que Gabriel Hanot annonce aux lecteurs de L’Équipe les enjeux de la rencontre Espagne-France au matin du 17 mars 1955. C’est peu dire que l’ancien international et ancien sélectionneur, devenu patron de la rubrique Football du quotidien sportif, nourrit peu d’espoirs pour cette rencontre amicale.
Mission impossible
Pourtant, l’équipe de France vient de réaliser un bel exploit à Hanovre en battant les champions du monde en titre sur leur pelouse. Les Tricolores ont ensuite ensuite remonté deux buts à une équipe de Belgique qui, à Colombes, menait encore 2-0 à un quart d’heure de la fin. Raymond Kopa, qui commence à devenir un joueur majeur de la sélection, a été l’auteur de ces deux buts.
En revanche, quelques mois plus tôt, en juin 1954, l’équipe de France avait participé à la Coupe du monde en Suisse et en était sortie dès le premier tour après une performance aussi neutre que peut l’être le pays d’accueil de l’épreuve. Après ce fiasco, la fédération a pris les choses en main. Paul Nicolas, tout en présidant le Groupement des clubs autorisés (ancêtre de l’actuelle LFP), assure le rôle de sélectionneur et fait appel à Jules Bigot comme entraîneur. Les deux fonctions étaient distinctes à l’époque, peut-être même trop pour l’entraîneur toulousain, qui acceptait mal que l’on choisisse les joueurs à sa place. Il démissionne avec fracas au lendemain du match nul contre les Belges.
Paul Nicolas fait alors appel à Albert Batteux pour diriger l’équipe de France. S’il ne choisit pas les joueurs, l’entraîneur du Stade de Reims, qui domine le championnat de France, est chargé de la préparation physique et de la tactique à mettre en place. Son baptême du feu a lieu le 17 mars 1955 à Madrid, face à une sélection espagnole que l’on annonce redoutable.
La clé du match
L’entente entre le sélectionneur et l’entraîneur semble au beau fixe. Cinq joueurs rémois sont convoqués (et titularisés) pour le rendez-vous de Madrid : Raymond Kopa, la nouvelle étoile du football français, Armand Penverne, Robert Jonquet, Léon Glowacki et le débutant René Bliard. Dans sa causerie d’avant-match, le nouvel entraîneur fait référence à l’article de Gabriel Hanot pour motiver ses joueurs.
Le stade Chamartin a adopté depuis le 4 janvier le nom de Santiago Bernabéu. Il est rempli par 125.000 spectateurs lorsque débute la rencontre. L’équipe espagnole se lance à l’attaque à un rythme effréné et ouvre le score après onze minutes de jeu. L’attaquant basque Piru Gaínza reprend un centre à ras de terre du Barcelonais Estanislao Basora et trompe le gardien français François Remetter.
Les Français s’attendaient à ce départ en fanfare et font le dos rond en attendant que la tempête se calme. Après une vingtaine de minutes de jeu, Albert Batteux fait l’étalage de ses talents de tacticien. Il demande à Kopa, alors ailier droit, de permuter avec l’avant-centre René Bliard. “La clé du match”, selon Helenio Herrera, alors entraîneur du FC Séville et appelé ce jour-là comme consultant auprès de la presse.
Le Napoléon du football
Irrémédiablement, l’équipe de France prend le dessus sur son adversaire. Kopa, à qui Batteux donne toute liberté, est manifestement dans un grand jour. A la 35e minute, Penverne donne à Abderrahman Mahjoub lequel sert Kopa à dix mètres du but. Le Rémois trompe Antonio Ramallets et égalise. Quelques minutes plus tard, Kopa inscrit un nouveau but en reprenant un centre de Jean Vincent. Mais l’arbitre italien Vincenzo Orlandini n’accorde pas le but, son assesseur lui ayant signalé un hors-jeu.
L’équipe de France poursuit sa domination aux dépens d’une équipe espagnole que l’on avait peut-être un peu surestimée. Quatrième de la Coupe du monde 1950, cette sélection ibérique n’était pas présente au mondial suisse, ayant été éliminée par la Turquie à pile ou face après trois matchs de barrages sans vainqueur. Depuis, elle n’avait plus disputé la moindre rencontre. La réputation de ses joueurs suffisait toutefois à la rendre redoutable.
Mais ce jour-là à Madrid, c’est Raymond Kopa qui illumine la rencontre. A tel point que le journaliste britannique Desmond Hackett, envoyé spécial du Daily Express dans l’optique d’un prochain France-Angleterre, écrira : “J’ai vu l’un des plus grands joueurs de tous les temps. Il s’appelle Kopa”. C’est également lui qui affuble le Français du surnom de “Napoléon” qui l’accompagnera tout au long de sa carrière. Dans la loge présidentielle, Santiago Bernabeu, président du Real Madrid, apprécie le spectacle et se dit que ce Kopa pourrait faire une bonne recrue.
Porté en triomphe
Alors que l’on est entré dans les vingt dernières minutes de la partie, Kopa mystifie une nouvelle fois la défense espagnole. Il donne le ballon à Glowacki, lequel adresse un centre que reprend Jean Vincent. La France prend l’avantage. Sa domination est telle qu’elle aurait pu obtenir une victoire plus large. En toute fin de rencontre, elle aurait également pu obtenir un penalty quand Mahjoub a été fauché en pleine surface par un défenseur.
Lorsque l’arbitre italien siffle la fin du match, le public applaudit les Tricolores, puis descend sur la pelouse pour porter Raymond Kopa en triomphe. Ce jour-là, le joueur français est devenu Napoléon. Il devient aussi la cible du Real Madrid. Le Stade de Reims remporte le championnat 1955, ce qui lui vaut l’honneur de disputer la première Coupe des Clubs Champions en 1956. Il retrouvera le Real Madrid en finale, juste avant que Kopa ne rejoigne le club madrilène.
C’est la première fois que l’équipe de France s’impose en terre espagnole. Trois mois après sa victoire en Allemagne, l’équipe de France prend confiance en ses possibilités. Albert Batteux dira plus tard que l’épopée de Suède, en 1958, avait débuté ce 17 mars 1955 à Madrid.
France bat Espagne 2-1
Buts : Gaínza (11’) pour l’Espagne ; Kopa (35’), Vincent (73’) pour la France.
ESPAGNE : Ramallets - Segarra, Rafael, Muñoz - Marquitos, Bosch - Basora, Rial, Arieta, Molowny (43’ Arteche), Gaínza.
FRANCE : Remetter - Bieganski, Marche (cap.), Penverne - Jonquet, Louis - Kopa, Glowacki, Bliard, Mahjoub, Vincent. Entraîneur : Albert Batteux.
Arbitre : Vincenzo Orlandini (Italie).
125.000 spectateurs
Joueur | Âge | Poste | Sel. | Club |
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François Remetter | 26 ans | Gardien | 9/26 | FC Sochaux |
Guillaume Bieganski | 22 ans | Défenseur | 2/9 | Lille OSC |
Roger Marche (c) | 31 ans | Défenseur | 41/63 | RC Paris |
Armand Penverne | 28 ans | Défenseur | 13/39 | Stade de Reims |
Robert Jonquet | 29 ans | Milieu de terrain | 30/58 | Stade de Reims |
Xercès Louis | 28 ans | Milieu de terrain | 3/12 | RC Lens |
Raymond Kopaszewski | 23 ans | Attaquant | 18/45 | Stade de Reims |
Léon Glowacki | 27 ans | Attaquant | 5/11 | Stade de Reims |
René Bliard | 22 ans | Attaquant | 1/7 | Stade de Reims |
Abderrahman Mahjoub | 25 ans | Attaquant | 6/7 | RC Paris |
Jean Vincent | 24 ans | Attaquant | 7/46 | Lille OSC |