Le contexte politique et culturel
En France, l’événement de l’année est bien entendu... le dernier titre de champion de France de l’AS Saint-Etienne, à peine éclipsé, quelques jours auparavant, par l’élection de François Mitterrand à la présidence de la République. Le printemps est également marqué par deux tentatives manquées d’assassinat, sur Ronald Reagan le 30 mars à Washington et sur Jean-Paul II le 13 mai à Rome, alors qu’un putsch militaire échoue en Espagne le 23 février.
En juillet 1981, le centre de prévention et de contrôle des maladies d’Atlanta révèle la présence d’une maladie qui touche, croit-on, essentiellement la communauté homosexuelle, et qui sera baptisée Sida un an plus tard.
Au cinéma, La guerre du feu de Jean-Jacques Annaud tente de faire bonne figure contre Les aventuriers de l’arche perdue de Steven Spielberg et Excalibur de John Boorman. En littérature, Stephen King invente le Saint-Bernard enragé Cujo et Bernard Clavel achève sa série des Colonnes du ciel avec Les compagnons du nouveau monde.
En musique, l’année est marquée par la disparition de Bob Marley le 11 mai (à 36 ans) et de Georges Brassens le 29 octobre (à 60 ans). U2 sort son deuxième album, October, et Kim Wilde devient une popstar à 20 ans à peine. Francis Cabrel envoie sa Carte postale alors que Jean-Jacques Goldman, confiant en l’avenir, prétend qu’Il suffira d’un signe.
Le contexte sportif
Pas d’Euro 80 pour les Bleus, qui ont bien débuté leur campagne qualificative pour la coupe du monde en Espagne par deux victoires à Chypre (7-0) et contre l’Eire (2-0). La correction de Hanovre face à la RFA championne d’Europe en novembre (1-4) pose toutefois des questions sur la solidité défensive tricolore et l’écart qui la sépare des grandes sélections. Au niveau continental, les clubs français tentent un retour en force avec deux clubs en quart de finale de la coupe UEFA au printemps 1981, Saint-Etienne et Sochaux. Mais les premiers explosent en vol face aux Anglais d’Ispwich Town (1-4, 1-3) alors que les Doubistes tombent en demi contre les Hollandais d’AZ 67.
Le sélectionneur en poste : Michel Hidalgo
Quand il aborde sa cinquième année à la tête de l’équipe de France, Michel Hidalgo a au moins autant de doutes que de certitudes. Ses Bleus feront-ils mieux qu’en 1978, alors qu’ils ont échoué en éliminatoires de l’Euro 80 ? Trouvera-t-il enfin un gardien de but et une défense de haut niveau, autour de Bossis et de Trésor ? Michel Platini, blessé en 1979, continuera-t-il sa progression ? Avec qui l’associer au milieu ? Au-delà, l’enjeu est d’obtenir la qualification pour le Mundial 1982 et à plus long terme de préparer l’Euro 1984 que la France organisera.
Le récit de l’année
Quand débute 1981, les données du problème sont très simples : les Bleus ont six matches à jouer dans leur groupe qualificatif pour le Mundial 1982. S’ils en gagnent trois (dont un quasi-assuré contre Chypre), la deuxième place devrait être pour eux. Afin de préparer le déplacement à Rotterdam en mars, Michel Hidalgo teste ses joueurs face à l’Espagne à Madrid. Platini joue quasiment avant-centre entre deux ailiers (Baronchelli et Six) et un milieu physique (Christophe, Larios, Moizan). La défaite (0-1) ne reflète pas la physionomie d’un match largement dominé et marqué par les erreurs d’arbitrage.
Un mois plus tard, sans Platini forfait, c’est Giresse qui intègre le milieu de terrain. Même type de match qu’à Madrid, mais même résultat (0-1) avec un tir sur la barre de Six et un but casquette encaissé par Dropsy, le coup-franc d’Arnold Muhren ricochant sur le poteau et sur le dos du gardien avant de rentrer.
Après ce premier joker grillé, les Bleus reçoivent une très bonne sélection belge, vice-championne d’Europe et qui s’illustrera un an plus tard en Espagne. Toujours privé de Platini, Michel Hidalgo tente un coup de poker en alignant ensemble au milieu Jean Tigana, Alain Giresse et Bernard Genghini, derrière trois attaquants de métier (Soler, Rocheteau, Six). Une ébauche de carré magique auquel ne manque plus que le futur triple Ballon d’or.
Menés d’entrée par un but de Vandenbergh (5e), les Bleus réagissent aussitôt et assomment les Belges en un gros quart d’heure par Soler (14e et 31) et Six (26e). Ils jouent là leur meilleur match depuis trois ans, combinant vitesse, engagement et combinaisons ultra-rapides. Ils l’emportent au final (3-2) et laissent entrevoir ce que sera la grande équipe de 1982.
Le dernier match de la saison contre un Brésil en plein renouveau dirigé par le grand Tele Santana est celui de trop. Hidalgo rafistole une équipe de bric et de broc (Anziani, Rouyer, Delamontagne, Lecornu, Castaneda) qui va se faire dévorer en moins d’une heure par une démonstration technique et des buts de Zico, Reinaldo et Socrates. Six sauve l’honneur en fin de match (1-3) puis se fait expulser pour un bras d’honneur à l’arbitre.
Le mois d’août est traditionnellement dévolu à cette époque à un match contre une équipe de ville, ne comptant donc pas pour une sélection et dont la recette est versée à l’UNFP (le syndicat des joueurs pros). Ce France-Stuttgart joué au Parc ne serait jamais rentré dans l’histoire sans les sifflets qui ont accompagné Michel Platini lors de sa sortie en deuxième mi-temps. Les Bleus jouent mal, s’inclinent encore (1-3, quatrième défaite en cinq matches) et inquiètent les observateurs.
Et pour cause : les deux matches suivants, joués à Bruxelles contre la Belgique (0-2) et à Dublin contre l’Eire (2-3), sont un échec tactique complet. Les défenseurs français (qui jouent encore avec un stoppeur aligné sur les latéraux et un libéro derrière) sont débordés par les attaquants adverses alignés en 4-4-2. Face aux Belges, qui jouent le hors-jeu systématique (deux buts refusés à Platini) et face aux permutations incessantes des Irlandais, l’équipe de France ne maîtrise rien, et grille ses deux derniers jokers.
Mais elle a quand même la qualication entre les pieds à condition de gagner ses deux derniers matches, à domicile face aux Pays-Bas et à Chypre. Autant dire que c’est face aux coéquipiers de Ruud Krol et du revenant Johan Neeskens rappelé par le sélectionneur Kees Rijvers que les Bleus jouent leur billet pour l’Espagne. Une défaite ou même un nul et adieu Séville, bye-bye Hidalgo. Platini sort alors sa botte secrète et sauve la mise au pays (2-0). Le dernier match contre Chypre est une formalité (4-0) et l’année 1981 s’achève sur une promesse de renaissance.
Le temps fort de l’année
Deux matches pouvaient prétendre à figurer dans ce paragraphe : celui contre la Belgique du mois d’avril et celui face aux Pays-Bas en novembre. Les deux ont été décisifs pour la qualification, et ont préparé le terrain pour les récitals de l’été contre l’Autriche, l’Irlande du Nord et la RFA. Nous raconterons en détail le premier plus tard. Retenons le second dans cet article.
Les Pays-Bas qui arrivent au Parc des Princes ce 18 novembre sont sur la pente déclinante. Après deux finales mondiales perdues injustement en 1974 et 1978, ils ont fait de la figuration lors de l’Euro 80 et manquent de ressources dans les qualifications pour l’Espagne. Krol, Rep et Neeskens sont encore là, mais ils sont bien seuls. La génération dorée des Rijkaard, Gullit et Van Basten n’émergera qu’en 1987. Jusqu’à cette date, les Oranges manqueront deux coupes du monde et un Euro.
Pour ce match décisif, Michel Hidalgo va prendre tous les risques, comme il l’avait fait cinq mois plus tôt face aux Belges. Il aligne un milieu composé de trois meneurs de jeu (Genghini, Giresse, Platini) derrière trois attaquants (Rocheteau, Lacombe et Six), soit six joueurs à vocation offensive. Autant dire que ça passe ou ça casse, car les Bleus évoluent sans filet. A la mi-temps, rien n’est joué mais les Français ont mis deux fois la défense hollandaise en grand danger sur un tir de Lacombe et une percée de Rocheteau stoppée de façon très litigieuse.
Plus le temps passe, plus on se dit qu’un bon vieux coup-franc des familles de Platini mettrait tout le monde d’accord. Sauf que le Stéphanois ne semble pas dans son assiette et manque ses deux premières tentatives. A la 52e, il met sa troisième dans le mur mais touche la main de Van de Korput au passage. Nouveau coup-franc, idéalement placé à dix-sept mètres, légèrement en biais. Frappe brossée, mur contourné, ballon près du poteau et Van Breukelen aux fraises.
Après, tout est plus facile. Les espaces s’ouvrent, Tigana et Zimako remplacent Platini et Lacombe et donnent de la vitesse au jeu. A huit minutes de la fin, Rocheteau part sur le côté gauche (il est droitier), centre pour Six qui frappe du droit (il est gaucher), 2-0. Après le match, Hidalgo dira : « mon rôle était de prendre des risques. Je m’y suis résolu après mûre réflexion en pensant, selon une intime conviction de toujours, que l’organisation est secondaire par rapport aux potentialités des individus. »
Les joueurs
Trente-deux joueurs en huit matches : en 1981, année d’avant-Mondial, Michel Hidalgo a beaucoup testé. Presque de quoi faire trois équipes différentes. Dans les cages, Jean Castaneda arrive en tête avec quatre titularisations et un remplacement. Il joue le premier match de l’année et les trois derniers, preuve que les solutions intermédiaires (Dropsy et Hiard) n’ont pas convaincu le sélectionneur (ils ne seront d’ailleurs pas dans la liste des 22).
En défense, Janvion et Bossis (qui ont joué les 720 minutes) sur les côtés, Trésor et Lopez dans l’axe sont les titulaires en puissance. Specht, Mahut et Bracci n’ont fait que quelques apparitions. Au milieu, le brassage est important : C’est Giresse qui a le plus joué (cinq matches pleins), devant Larios, Genghini et Platini (qui n’a participé qu’à la moitié des rencontres). Moizan et Tigana arrivent ensuite, devant Christophe, Girard et Delamontagne.
Enfin, en attaque, Six a été le plus présent, devant Rocheteau et Lacombe, soit le trio de 1978. Zimako, Couriol, Bellone, Rouyer, Soler, Anziani, Baronchelli, Xuereb, Stopyra et Lecornu n’ont pas vraiment convaincu.
Sur ces 32 joueurs, on en retrouvera 18 en Espagne. Ils seront rejoints par les gardiens Ettori et Baratelli et les défenseurs Battiston et Amoros, ce dernier étant le seul néophyte.
Les buteurs de l’année
Didier Six a marqué trois fois, dont deux importants lors des victoires-clé de l’année face à la Belgique et les Pays-Bas. Il devance Michel Platini (un but pour rien en Irlande et un indispensable contre les Néerlandais sur coup-franc), Gérard Soler (dont le doublé face à la Belgique lui vaudra un billet — mérité — pour l’Espagne) et Bernard Lacombe, auteurs d’un doublé. Bellone, Genghini et Rocheteau complètent le tableau.
La révélation de l’année
Quand il est rappelé pour jouer contre les Pays-Bas à Rotterdam, Alain Giresse a 28 ans et, pense-t-on, sa carrière internationale derrière lui. Le Bordelais ne compte que cinq sélections et la dernière date de l’été 1978. Mais en 1981, Michel Platini joue les intermittents du spectacle et Hidalgo n’a pas vraiment d’alternative au poste de numéro 10 : Guillou et Michel ne sont plus là. Giresse ne dit rien, joue et ne laisse pas passer sa chance, poussant le sélectionneur à l’aligner aux côtés de Bernard Genghini et de Michel Platini contre les Pays-Bas. Il devient incontournable et enchaîne 42 sélections en cinq ans.
Carnet bleu
En 1981, sept futurs internationaux ont vu le jour : Patrice Evra (le 15 mai), Alou Diarra (le 15 juillet), Djibril Cissé (le 12 août), Bernard Mendy (le 20 août), Gaël Givet (le 9 octobre), Rod Fanni (le 6 décembre) et Cédric Carrasso (le 30 décembre). Pas un grand cru, le seul à s’être distingué avec les Bleus étant le deuxième, finaliste de la coupe du monde 2006.
Quant à Jean Boyer (né en 1901, 15 sélections entre 1920 et 1929, 7 buts), Désiré Koranyi (né en 1914, 5 sélections entre 1939 et 1942, 5 buts) et André Doye (né en 1924, 7 sélections entre 1950 et 1952, 5 buts), ils sont tous trois morts en 1981.