25 juin 2004 : France-Grèce

Publié le 14 juin 2023 - Bruno Colombari

Deux ans après le fiasco coréen, les Bleus font à nouveau partie des favoris de l’Euro 2004, avec un Zidane en état de marche et un Pirès titulaire. Mais ils vont tomber sur un os imprévu au quatrième match d’un tournoi jamais maîtrisé.

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Le contexte

Quand arrive le quart de finale de l’Euro 2004, l’ambiance est trompeuse autour des Bleus. Ces derniers se sont qualifiés proprement dans un groupe piégeux, avec deux victoires et un match nul, un résultat largement suffisant pour accrocher l’une des deux premières places.

Mais à y regarder de plus près, plusieurs signaux sont à l’orange. Face à l’Angleterre, la victoire (2-1) a été acquise dans le temps additionnel sur deux coups de pied arrêtés de Zidane : le premier sur un coup franc très généreux suite à une poussette sur Makélélé, le deuxième sur une offrande de Steven Gerrard, dont la passe en retrait à son gardien est interceptée par Thierry Henry, lequel est fauché par David James. Auparavant, les Anglais, qui avaient ouvert le score sur une tête de Lampard à la demi-heure de jeu, auraient pu assurer la victoire si Beckham n’avait pas vu son pénalty repoussé par Barthez.

Quatre jours plus tard à Leiria contre la Croatie, c’est le scénario inverse : la France mène rapidement au score sur un coup franc excentré de Zidane dévié par Igor Tudor. Mais au retour des vestiaires, les Croates prennent l’avantage en cinq minutes sur un pénalty de Rapaic et un but de Dado Prso suite à une grosse erreur défensive de Marcel Desailly. Lequel joue son 116e et dernier match en Bleu, mais il ne le sait pas encore. Trezeguet égalise après avoir touché le ballon de la main (2-2), et voici l’équipe de France obligée de prendre au moins un point contre la Suisse.

Pas de jeu collectif, des erreurs individuelles
Elle en prendra trois, au terme d’un match où le score (3-1) est plus flatteur que la manière. Encore une fois, les Bleus sont rejoints après avoir marqué en premier. L’équipe semble toujours désorganisée, il n’y a pas de jeu collectif et les erreurs individuelles se multiplient. Il faudra un doublé de Henry dans le dernier quart d’heure pour respirer enfin. Et Willy Sagnol est blessé.

La Grèce, elle, a créé une énorme surprise dès le premier soir du tournoi en battant le Portugal dans le match d’ouverture (2-1). Les coéquipiers de Luis Figo et du tout jeune Cristiano Ronaldo s’en tirent en gagnant deux fois, et la Grèce passe de justesse après un nul contre une Espagne très décevante (1-1) et une défaite face à une Russie déjà éliminée (1-2). On se dit alors que la formation très défensive mise en place par l’Allemand Otto Rehhagel a bénéficié d’un coup de chance d’entrée, mais qu’elle est sur la pente descendante et ne constitue pas une opposition très sérieuse contre une équipe de France qui l’a (presque) toujours battue, et qui lui a toujours marqué au moins un but.

Le match

Le 25 juin à Lisbonne, la confiance est donc de mise : après les Pays-Bas en 1996, l’Italie en 1998 et l’Espagne en 2000, tous battus en quart de finale, l’équipe de France se voit déjà dans le dernier carré. Au milieu, Patrick Vieira est forfait. Son absence aux côtés de Makélélé et derrière le duo Pirès-Zidane va se faire sentir, tant le Gunner s’est rendu indispensable en sélection depuis l’Euro 2000. Olivier Dacourt le remplace. La charnière centrale est composée de Lilian Thuram et Mickaël Silvestre (Marcel Desailly n’est pas aligné), les couloirs étant gérés par William Gallas et Bixente Lizarazu. Devant, le duo Henry-Trezeguet va tenter de prouver qu’il est complémentaire.

Il fait très chaud (plus de 30°C à 21h) et les efforts répétés vont se payer cher. Il est donc conseillé de marquer en premier pour ne pas avoir à courir après le score. L’arbitre est celui de la finale de l’Euro 2000, le blond suédois Anders Frisk.

Les Bleus dominent lors des premières minutes, sans pour autant se créer d’occasion franche. Côté grec, on blinde derrière et on ferme les espaces au milieu où le capitaine Zagorakis ne laisse rien passer. Leur stratégie est de trouver leur attaquant Angelos Charisteas et son jeu de tête. L’arrière gauche Fyssas n’en est pas loin après quatre minutes de jeu seulement. Le match est laborieux, haché, et quelques phases de jeu mettent les Grecs en confiance, comme cette frappe de Nikolaidis à 20 mètres que Barthez bloque (13e). Mais juste après, première très grosse alerte sur le but français. Sur un coup franc lointain frappé par Karagounis, le ballon semble être dévié par Katsouranis et arrive sur le poteau de Barthez, tout content de le récupérer au rebond. Les Grecs lèvent les bras au cas où, mais le ballon n’a évidemment pas franchi la ligne.


 

Quand Silvestre ne voit pas arriver la passe de Barthez
Les Bleus semblent enfin réagir avec un décalage d’école de Pirès pour Lizarazu sur l’aile gauche. Le défenseur français entre dans la surface, mais son centre en retrait arrive dans une profusion de jambes grecques. Le jeu est toujours aussi confus, Zidane est peu trouvé et les Bleus ne maîtrisent rien, comme depuis le début du tournoi. Et si les Grecs n’impressionnent toujours pas, on se dit qu’il vaudrait mieux ne pas faire une erreur qui deviendrait fatale. A la 23e, Barthez joue au pied pour Silvestre qui regardait ailleurs. Charisteas tente d’en profiter et se fait contrer d’extrême justesse.

Là encore, l’alerte réveille momentanément les Bleus qui se créent une occasion franche, enfin : Zidane lance Lizarazu sur l’aile gauche, et le centre trouve la tête de Henry qui frôle la lucarne de Nikopolidis. Que se serait-il passé si le score avait été ouvert à ce moment du match ? On ne le saura jamais. Les Bleus semblent enfin entrés dans leur match, même s’ils peinent toujours autant à enchaîner trois passes. Alors, ils allongent, comme Zidane qui cherche Henry d’une ouverture à longue portée, mais le Gunner manque son contrôle.

Les Grecs tentent pour leur part des frappes hors de la surface, comme Fryssas qui dépose Thuram sur un contrôle et enchaîne avec un tir plongeant que Barthez claque au-dessus de la barre. Henry répond par une percée rageuse plein axe, mais son tir, contré, n’est pas dangereux. Sur la touche, Jacques Santini semble amorphe, spectateur. Comme s’il n’avait pas la solution, alors que Zidane est averti pour avoir séché Karagounis.

Comme on pouvait s’y attendre, le match est verrouillé et plutôt soporifique, en tout cas crispant pour les supporters français. Les Grecs, qui n’ont évidemment rien à perdre, peuvent encore croire à l’exploit. Mi-temps.

Petit pont de Lizarazu sur Karagounis
A la reprise, les Bleus semblent avoir pris conscience du piège qui se referme sur eux, et accélèrent. Henry tente une reprise couchée qui longe le poteau de Nikopolidis. Une minute plus tard, Makélélé obtient un bon coup franc pour une faute de Basinas, mais il est très mal joué et immédiatement perdu. Puis un centre en drop de Zagorakis, un peu seul sur l’aile droite (tiens), est dégagé bizarrement par Barthez dans une défense toujours aussi peu sereine.

Devant, c’est un peu mieux, quand Lizarazu n’est pas attaqué, fait un petit pont sur Karagounis et tente un tout droit dans la surface grecque, où il est arrêté par Kapsis. (56e). Le jeu se poursuit, et Henry, décalé par Pirès sur la gauche de la surface, cherche la tête de Trezeguet au second poteau, mais l’attaquant de la Juve est devancé par Kapsis, décidément partout.

L’heure de jeu approche et la Grèce semble proche de la rupture. Henry tente une frappe puissante qui manque encore le cadre, mais c’est ainsi que les matchs se perdent. Sa tentative suivante, du gauche, est trop écrasée et facilement captée par Nikopolidis. Comme souvent, c’est l’équipe qui semble enfin plier qui va donner le coup de grâce. Sur une action anodine partie du rond central, Zagorakis élimine Lizarazu le long de la ligne de touche par un coup du sombrero et se retrouve avec le flanc droit largement ouvert. Il avance, n’est pas attaqué, et prend le temps d’armer un centre tendu que Charisteas, laissé seul au point de pénalty, expédie dans la lucarne de Barthez d’une tête puissante (64e, 0-1). Il reste moins d’une demi-heure à jouer, et la catastrophe est en marche.

La faiblesse du duo Dacourt-Makélélé
Le piège grec (défendre en bloc, laisser la possession à l’adversaire et jouer les contres à fond) a parfaitement marché. De compliqué, le match va devenir irrespirable. Les Bleus vont-ils revenir après être menés, comme face à l’Angleterre et à la Croatie ? Après tout, avec Zidane, Pirès, Henry et Trezeguet, ils ont une puissance offensive sans commune mesure avec leurs adversaires d’un soir. Et ils sont champions d’Europe en titre.

Alors ils poussent, mais sans idée, sans clairvoyance, minés aussi par la faiblesse technique du duo Dacourt-Makélélé et du positionnement axial de Zidane qui laisse des espaces béants à sa droite. Trezeguet est remplacé par Louis Saha et Dacourt par Wiltord. Il reste une vingtaine de minutes et Saha entre dans la surface, mais son tir est trop écrasé pour tromper Nikopolidis. Puis Henry, en position d’ailier droit, frappe de l’intérieur du gauche, sans plus de résultat.

Les Grecs commencent à tirer la jambe et restent de plus en plus longtemps au sol, ce qui permet de grapiller de précieuses secondes et de casser un rythme déjà peu élevé. Sur les visages des Bleus, on lit de la frustration plutôt que de la révolte alors que Santini, qui n’a pas l’air plus inquiet (ou concerné) que ça, alors qu’Otto Rehhagel exhorte ses joueurs à se replacer à la perte du ballon.

Aveu d’impuissance
Il reste moins de dix minutes et la deuxième défaite (en 28 matchs !) de Santini semble inéluctable, comme l’était celle contre le Danemark à Incheon deux ans plus tôt. Les fautes se multiplient côté français, signe de fébrilité et d’énervement, aveu d’impuissance aussi. Le niveau du match est d’une insigne faiblesse pour un quart de finale européen.

Alors, Thuram qui a retrouvé son couloir droit délivre un centre parfait pour Henry qui, de la tête, dépose le ballon à ras du poteau, mais à l’extérieur. C’était la balle de 1-1 à la 86e, et il n’y en aura pas d’autre. Là, peut-être ? Dans le temps additionnel, Zidane trouve Lizarazu dans la surface. La volée du droit du latéral gauche heurte la main de Seitaridis, lui revient et sa frappe du gauche s’envole. Cette fois, après une ultime faute de Gallas, c’est bien fini. Pour la première fois de son histoire, la Grèce bat la France et s’en va vers son destin.

Le Bleu du match : Bixente Lizarazu

A 34 ans et des (grosses) poussières, l’arrière gauche du Bayern est évidemment plus près de la fin de sa carrière que du début. Il commence l’Euro avec 93 sélections au compteur, et avec potentiellement six matchs à jouer, il peut devenir le quatrième centenaire des Bleus après Deschamps, Desailly et Thuram, à condition de jouer au moins une fois après l’Euro.

Contre la Grèce, il fait un match très généreux, tentant des débordements dont il a le secret le long de la touche, grâce à des dédoublement s avec Zidane ou Pirès. L’un d’eux, à la 25e, a failli être décisif pour Henry. Et sa percée rageuse au coeur de la défense grecque, huit minutes avant le but fatal, aurait mérité une meilleure conclusion.

Mais il est évidemment fautif sur l’action qui amène le but de Charisteas, quand Zagorakis l’enrhume d’un contrôle aérien qui l’envoie, dans son élan, derrière la ligne de touche. Petite cause, grands effets : Liza se heurte à un remplaçant grec, tarde à se replacer et laisse filer le capitaine grec qui peut centrer sans opposition.

C’est sa 97e et dernière sélection. Dans l’été, il sera transféré à l’OM où il ne passera que quelques mois avant de retourner au Bayern terminer sa très riche carrière. On aurait aimé pour lui une fin meilleure avec les Bleus.

La fin de l’histoire

L’Euro 2004 semble tout d’abord marquer la fin d’un cycle, puisque Thuram, Zidane et Makélélé annoncent mettre un terme à leur carrière internationale tout comme Desailly et Lizarazu. Avec le départ annoncé avant l’Euro du sélectionneur Jacques Santini, et du flou total sur l’identité de son successeur (on parle alors de Blanc ou de Tigana), ça ressemble bien à un passage de témoin, à charge des plus jeunes éléments de 1998 (Henry, Vieira et à un degré moindre Trezeguet) d’encadrer la nouvelle génération, celle des Gallas, Sagnol, Saha ou Rothen.

Bien malin qui, au matin du 26 juin, aurait pu prédire la suite : Raymond Domenech finalement choisi par défaut entre les candidatures de Jean Tigana (soutenu par Platini) et de Laurent Blanc (proposé par Henri Emile). Une reconstruction difficile pendant un an, avec une flopée de 0-0 et un jeu très poussif. Puis le retour miraculeux de Zidane à l’été 2005, accompagné, à sa demande, de Thuram et Makélélé, avec une double conséquence : qualification pour la Coupe du monde 2006, où les Bleus atteignent contre toute attente la finale, mais perte du pouvoir du sélectionneur, ce qui explique largement l’effondrement de la période 2008-2010.

Quant à la Grèce, dans la foulée de cette victoire de prestige, elle sortira en demi-finale la République tchèque grâce à un but en argent de Dellas (1-0) avant de piéger pour la deuxième fois le Portugal en finale, sur un nouveau but de la tête de Charisteas (1-0) sur son seul tir cadré du match. Mais la Grèce échoue à se qualifier pour la Coupe du monde 2006, et se fait sortir au premier tour en 2008 et 2010. Elle fera mieux à l’Euro 2012 (quart de finale) et à la Coupe du monde 2014 (huitième). La période faste aura durée dix ans.

Entre 1904 et 1919, 128 internationaux ont porté au moins une fois le maillot de l’équipe de France. Si leur carrière internationale est la plupart du temps anecdotique, leur vie est souvent romanesque.

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Hommage à Pierre Cazal