Le contexte
C’est une tournée en Amérique du Sud de l’équipe de France un an avant le Mundial argentin. Si les Bleus ont déjà joué au Brésil en 1930 juste après la coupe du monde uruguayenne, le match contre les Auriverde n’a pas été homologué (défaite 2-3) [1], pas plus que deux autres rencontres contre des clubs Nacional Montevideo (Uruguay, 3-2) et Santos (Brésil, 1-6). Et en juin 1972, l’équipe de France a disputé quatre matches à Maceio et à Salvador de Bahia à l’occasion de la coupe de l’Indépendance (150 ans du Brésil) [2] Ils découvrent le Maracana, construit en 1950 à l’occasion de la coupe du monde au Brésil.
Après un bon 0-0 à Buenos-Aires contre l’Argentine, les Bleus se présentent au Maracana face à une grosse équipe brésilienne, pas si redoutable que celle de 1970, mais qui avait quand même joué la petite finale en 1974 en Allemagne. Dans l’équipe du Brésil, il n’y a pas Zico (qui a pourtant disputé quelques matches auparavant) mais Paulo César, Gil, Edinho, Leao, Rivelino ou Roberto Dinamite. Côté français, Omar Sahnoun est associé à Platini au milieu devant Bathenay et derrière une attaque Zimako, Lacombe, Six.
Le Brésil est invaincu au Maracana depuis 1957, mais reste sur une série mitigée alors que l’entraîneur, Coutinho, est de plus en plus contesté pour son jeu frileux et défensif. Le Brésil a déjà joué dix fois en 1977, donc cinq nuls, quatre à domicile contre le Paraguay, l’Angleterre, la RFA et la Yougoslavie.
Les Bleus proposent quant à eux depuis les débuts simultanés de Hidalgo et Platini au printemps 1976 un jeu ouvert, offensif et décomplexé, même si la défense laisse parfois à désirer et si aucun gardien ne s’impose vraiment (Bertrand-Demanes, Baratelli et Rey). En février, l’équipe de France a même battu la RFA, championne du monde en titre, avant de taper fort en Suisse (4-0) avec un milieu Sahnoun-Platini-Giresse très technique. Mais entre les deux, elle a perdu le match qu’il ne fallait pas perdre à Dublin contre l’Ere (0-1), qualificatif pour le Mundial argentin.
La FFF a mis en place une tournée d’été très tardive (fin juin) qui n’a pas emballé les présidents de clubs, notamment à Saint-Etienne. Du coup, Michel Hidalgo ne prend que deux Stéphanois (Bathenay et Janvion) contre six Nantais champions de France (Bossis, Rio, Sahnoun, Baronchelli, Amisse et Michel). 19 joueurs sont convoqués au total.
Le match
L’avant-match est parfaitement bordélique : les Brésiliens sortent des vestiaires les premiers, posent pour la photo, s’échauffent vaguement, une vraie pagaille sur la pelouse où se croisent photographes, radioreporters et individus indéterminés. Les Bleus arrivent cinq bonnes minutes plus tard. Tout ce beaux monde finit par s’aligner devant une fanfare, huit minutes après la prise d’antenne. Le Maracana est à moitié plein, ce qui représente à l’époque 83 317 personnes, plus que ne peut en contenir le Stade de France. On n’entend pas les hymnes.
André Rey porte le numéro 2, Platini le 12, Bathenay le 9. Patrice Rio, défenseur central qui joue pour ainsi dire à domicile, a le 7. Jacques Zimako et Omar Sahnoun sont sans doute les plus brésiliens des Français.
Trente secondes avant le coup d’envoi, il y a encore pléthore de civils sur la pelouse (photographes, radioreporters, personnes non identifiées).
L’arbitre, Arpi Filho, est brésilien. Le brouhaha de la tribune de presse rend quasiment inaudible le commentaire du duo Thierry Roland-Bernard Père. Dans les premières minutes, les Bleus s’appliquent à faire un pressing serré mais perdent très vite le ballon. Très repliés, ils jouent bas, on voit ainsi Zimako en position de milieu défensif. Les Brésiliens jouent à la baballe sans trop accélérer. Rey dégage en corner suite à une percée à gauche de Cerezo (5e).
Le rythme monte progressivement. Belle percée plein axe d’Edinho, Trésor met de la tête en corner (12e). Les Bleus subissent. Thierry Roland se plaint de l’herbe trop dense, puis d’une foule imposante à laquelle les Bleus ne sont pas habitués. Platini et Sahnoun montrent que eux aussi savent jouer, le premier faisant une talonnade pour le second qui enchaine par un passement de jambes ultrarapide (9e). Les frappes brésiliennes ne sont pas cadrées (Rivelino, 13e, 15e, 17e), celle de Bathenay non plus (15e). Derrière, Marius Trésor coupe bien les trajectoires, mais devant Lacombe ne touche pas un ballon et les transmissions entre Platini, Sahnoun et le trio d’attaque ne fonctionne pas.
Cerezo prend ses aises, Edinho marque
La première grosse alerte arrive à la 22e, avec une superbe combinaison entre Edinho et Toninho Cerezo qui finit par un tir du dernier tout près de la lucarne de Rey. Sur le côté droit, Gérard Janvion joue très haut et laisse des boulevards à Cerezo. Omar Sahnoun ratisse beaucoup de ballons dans l’axe, un peu comme le fera Tigana plus tard.
A force de subir et de ne pas arriver à tenir le ballon plus de trois secondes, les Bleus plient sur un but casquette : Paulo Cesar récupère une passe de Bathenay, donne à Rivelino qui trouve une ouverture de quarante mètres pour Edinho, lequel élimine Bathenay, fait un grand pont sur Trésor qui couvre pour Rey. Le gardien français semble contrôler le ballon mais le repousse des genoux sur Roberto qui remet à Edinho, lequel marque entre Bossis et Trésor (29e).
Les Bleus sont déboussolés. Platini ne semble pas dans un bon jour, et il faut une action côté gauche entre Six et Marius Trésor, en position d’ailier, pour voir la défense brésilienne prise de vitesse (32e). De l’autre côté, un départ de Paulo Cesar sur le flanc droit de la défense française se termine par un centre tendu que Luis Pereira ne parvient pas à couper au point de pénalty (37e). Puis une combinaison initiée par une louche de Rivelino pour la tête de Roberto se termine par une frappe heureusement dévissée de Paulo Isidoro (38e). On se dit que si les Bleus cèdent une nouvelle fois avant la mi-temps, ça va tourner à la démonstration.
Le break par Roberto
Finalement les Bleus résistent tant bien que mal, et pendant la pause les supporters brésiliens circulent d’un virage à l’autre pour venir se placer derrière les buts d’André Rey. Le début de la deuxième mi-temps leur donne raison, car les Auriverde repartent fort et après un petit pont impertinent de Lacombe sur Cerezo, le coup de massue arrive à la 50e. Rivelino et Cerezo s’y mettent à deux pour arracher le ballon des pieds de Bathenay à 35 mètres. Rivelino sert Cerezo dans la surface qui centre en retrait devant Bossis, Rey manque sa sortie et Roberto tacle le ballon au second poteau. 2-0, balle au centre.
Il y a des buts qui touchent l’orgueil d’une équipe et qui la remettent dans le bon chemin. C’est ce qui se passe : libérés, les Bleus se disent qu’après tout ils n’ont plus rien à perdre et qu’il serait temps de jouer. Moins de deux minutes après, une combinaison Janvion-Zimako arrive sur Platini qui sert Didier Six, lequel s’offre un contrôle orienté, un sombrero et une frappe surpuissante sous la barre de Leao (1-2, voir plus bas). Non mais des fois !
Platini monte en régime
C’est alors qu’un nouveau match commence. Dans celui-là, ce sont les Bleus qui font l’essentiel du jeu alors que les Brésiliens reculent. Et pour cause, ça chauffe : juste après le but de Six, un amour d’ouverture de Platini déclenchée depuis les quarante mètres français arrive sur Lacombe qui s’infiltre dans la défense centrale brésilienne et qui est contré de justesse par Ze Maria en corner (54e).
Dans la foulée, Platini récupère une balle devant sa surface et traverse tout le terrain sans être attaqué. Mais, manque de lucidité ou excès de gourmandise, il oublie de servir Six et bute sur l’excellent Edinho (55e) à vingt mètres des cages de Leao. C’est là qu’on se souvient que Platoche n’a que 22 ans, et que s’il promet beaucoup, il a encore une grande marge de progression.
Deux minutes plus tard, une belle combinaison Zimako-Six-Platini se termine par un tir du Nancéen, au dessus. Olivier Rouyer remplace ensuite Zimako pour la dernière demi-heure. Les Brésiliens ne tiennent plus le jeu et s’en remettent à des contres et à des centres pour Roberto, débrouille-toi mon grand. Mais Trésor et Rey ne laissent plus rien passer. Côté gauche, Max Bossis participe beaucoup plus au jeu, alors qu’au milieu, où Sahnoun disparait de la circulation, Bathenay fait un travail considérable et Platini a beaucoup plus de marge de manœuvre qu’en première période.
C’est d’ailleurs le récupérateur stéphanois qui sert Platini à dix minutes de la fin, lequel frappe du droit à vingt mètres et oblige Leao à une horizontale. Le ballon revient côté droit sur Janvion qui l’enlève des pieds de Paulo Cesar et choisit de tirer sans angle plutôt que de centrer (80e). Le public du Maracana commence à huer son équipe. Il n’encourage pas encore les Bleus, mais ça ne va pas tarder.
Et Trésor égalise
Sur une attaque de Lacombe côté droit, la défense brésilienne peine à se dégager. Le ballon revient sur Lacombe, qui tente une frappe détournée en corner par Paulo Cesar. Didier Six serre les poings, il sent qu’il est possible de faire mieux encore. Olivier Rouyer va tirer le corner, un corner très haut, en cloche, qui retombe sur Marius Trésor, lequel saute plus haut que Luis Pereira et place une tête magistrale en pleine lucarne (85e).
Les Bleus s’offrent alors cinq minutes d’orgasme. Les quatre-vingt mille cariocas scandent des Francia Francia et acclament chaque attaque tricolore, alors qu’une bronca accompagne toutes les prises de balle brésiliennes. Plus rien n’est marqué, mais on se dit que si le match avait duré dix minutes de plus, qui sait...
Arpi Filho siffle la fin du match, s’empare du ballon et la pelouse est envahie par les mêmes qu’au début. C’est terminé.
La séquence souvenir
Il ne peut évidemment s’agir que du but de Didier Six, celui qui a brusquement changé le rapport de force dans un match que le Brésil pensait avoir gagné. Cinq minutes après le retour des vestiaires, une action Rivelino-Cerezo est convertie par Roberto. Après le coup d’envoi, les Brésiliens font tourner. Sur une relance, Edinho tente une ouverture longue de l’extérieur du pied, un peu prétentieuse. Il ne trouve pas Paulo Isidoro le long de la touche mais Janvion. Celui-ci transmet devant à Zimako, lequel sert Platini à ses côtés avant de faire un appel sur la gauche. Platini lève la tête, avance un peu et sert Six en position d’avant-centre, à 25 mètres dans l’axe des buts. Six contrôle de la poitrine, le ballon tombe sur son pied gauche, il le lève en pivotant (un sombrero, donc) en éliminant Zé Maria, réceptionne le ballon du genou devant Luis Pereira, le laisse rebondir au sol, entre dans la surface et ajuste une frappe puissante du gauche qui va se loger sous la barre de Leao.
Le Bleu du match
Difficile d’en sortir un en particulier. Comme on a déjà parlé de Didier Six dans la séquence souvenir, on va plutôt évoquer Marius Trésor. Le capitaine des Bleus aime bien le Brésil, où il est déjà venu en 1972 lors de la précédente tournée sud-américaine des Bleus. Mais c’est la première fois qu’il joue contre les triples champions du monde, et franchement, il lui en faut plus pour l’impressionner. Il a 27 ans, il compte 32 sélections dans une équipe où la moyenne est à neuf capes et 24 ans. Autant dire qu’il n’a peur de rien, même pas de ce Roberto Dinamite qu’il va croiser en face.
Pourtant, le match commence mal pour lui lorsque sur une action initiée par Edinho, il se fait surprendre par un grand pont, effleure le ballon de la main et tente de couvrir le gardien André Rey plutôt que dégager au loin. L’action débouche sur le premier but brésilien. Dès lors, Marius va s’employer à couper les trajectoires et à fermer les espaces, que ce soit à gauche ou surtout à droite alors que Janvion ne se replace pas. De la tête ou du pied, il est omniprésent, et s’offre même une belle incursion en attaque en fin de première mi-temps.
En deuxième période, il est impérial, et sur le but de Roberto, ce sont Rey et Rio qui sont sur la trajectoire du centre de Cerezo, pas lui. Plus les Brésiliens vont chercher à jouer long et à balancer des centres, plus ce sera facile pour Trésor. Jusqu’à cette fameuse 85e minute où il monte sur un corner de Rouyer et place une tête phénoménale après une détente verticale qui l’amène au-dessus de Luis Pereira. Lucarne. Comme une répétition générale de sa volée claquée contre Schumacher cinq ans plus tard à Séville...
L’adversaire à surveiller
Quant il affronte les Bleus, Roberto Rivelino a 31 ans. Il est l’un des derniers héritiers de la fabuleuse Seleçao de 1970, celle qui a triomphé au Mexique avec Pelé. Contre la France, il joue sa 82e sélection. Il lui en reste encore dix avant de faire ses adieux internationaux, un an plus tard en Argentine. Avec sa moustache à la Edwy Plenel, il ne paie pas vraiment de mine, mais quand il ajuste une frappe, mieux vaut ne pas se trouver sur la trajectoire. Contre les Bleus, il ne trouvera pas le cadre malgré plusieurs tentatives en première mi-temps, mais dans le jeu il va faire très mal au milieu français par ses accélérations, son jeu simple et la précision de ses passes. Avec Edinho et Toninho Cerezo, il est l’un des trois meilleurs brésiliens du match. Il restera comme un trait d’union entre Pelé et Zico.
La petite phrase
Elle revient à Didier Six, le héros du match, qui raconte quelques années plus tard les circonstances de son but : « Après mon lob, je me suis rendu compte que la balle allait aboutir sur mon pied droit. J’avais la main droite collée au corps, une petite pichenette, en un dixième de seconde et le ballon atterrissait sur mon pied gauche. Vous connaissez la suite... » Plus roublard que Henry contre l’Eire, le Didier ! Il est vrai qu’en 1977, les caméras étaient bien moins nombreuses et moins précises sur les ralentis. En tout cas, la main de Six est quasiment impossible à voir.
La fin de l’histoire
Brésiliens et Français se qualifient pour le Mundial 78 mais décevront tous les deux, même si les Auriverde obtiendront la troisième place alors que l’équipe de France calera au premier tour. Si l’équipe de France de Michel Hidalgo n’en était qu’à ses débuts, celle de Claudio Coutinho n’irait pas plus loin que 1980. Celle de Telê Santana qui lui succèdera sera bien plus brillante, avec Socrates, Falcao, Eder et Junior.
Alors qu’en 1977, ce n’était que le troisième du genre, les France-Brésil allaient devenir des classiques dans les décennies à venir : première victoire française en 1978, qualifications en quarts de finale de la coupe du monde en 1986 et en 2006 et bien sûr victoire finale en 1998. Depuis 43 ans, les Bleus n’ont perdu que quatre fois (toujours en amical) contre un adversaire qu’ils ont appris à ne plus craindre.