Mise à jour d’un article initialement paru en juillet 2020.
Il y a une donnée qui n’apparaît pas clairement quand on détaille les matchs comptant des joueurs débutants (que j’ai appelé les matchs reboot), ceux comptant des joueurs partants (les matchs shutdown) ou ceux ni l’un ni l’autre (les regular). Cette donnée, c’est le niveau de stabilité de l’équipe d’un match à l’autre. En clair, un match où tous les titulaires sont reconduits a un indice de 11. Celui où ils sont tous différents de ceux de la rencontre précédente a un indice de 0. Et entre les deux, on trouve évidemment toutes les nuances possibles.
Nous avons choisi de créer quatre catégories principales : les matchs sans joueurs rappelés, ceux avec moins de la moitié des joueurs rappellés (de 1 à 5), ceux avec plus de la moitié des joueurs rappelés (de 6 à 10) et enfin les matchs replica, avec les onze titulaires reconduits. Des nuances de couleur (du jaune au vert) permettent de distinguer finement le niveau de renouvellement des deux catégories intermédiaires.
Dix matchs seulement où la rotation est complète
Les matchs où tous les titulaires sont renouvelés se comptent sur les doigts des deux mains. Il n’y en a que dix, le dernier remontant à août 2010 (Norvège-France) dans des circonstances très particulières que nous avons racontées ici (lien matchs reboot).
Le tout premier de l’histoire est forcément un cas particulier également, de même que ceux des JO de 1908 et donc du suivant en 1909 (lien JO 1908).
Celui de décembre 1953 contre le Luxembourg est un match reboot composé de 11 joueurs Espoirs. Le suivant contre l’Italie n’en comptant aucun, voilà encore deux cas particuliers. Enfin, deux matchs de Coupe des Confédérations (Australie 2001 et Nouvelle-Zélande 2003) ont vu leur effectif complètement chamboulé dans le cadre d’une rotation de premier tour.
Restent deux matchs où le renouvellement complet est le choix des sélectionneurs : le Portugal en 1927
(avec six débutants et une pléthore de forfaits car le match avait été repoussé d’un mois et joué un mercredi) et le Paraguay en 2008, pour préparer l’Euro.
Les matchs avec un seul joueur maintenu sont encore plus rares (8) et ceux avec deux joueurs conservés à peine plus fréquents (15). Depuis dix ans, ce n’est arrivé que quatre fois, contre la République d’Irlande en mai 2018 à Saint-Denis, face au Portugal en octobre et novembre 2020 à Lisbonne et au Kazakhstan en mars 2021.
Ces 33 matchs où moins de trois joueurs ont été conservés sont logiquement en majorité des amicaux (18) et jamais des matchs de phase finale de Coupe du monde ou d’Euro.
31 matchs replica : pourquoi changer une équipe qui gagne ?
A l’autre bout du spectre, les matchs replica (tous les titulaires du match précédent sont alignés) offrent un tout autre tableau. Ils sont 31, et là les amicaux constituent une petite minorité (7) alors que les matchs de phase finale européenne ou mondiale sont majoritaires (17).
Et pour cause : en compétition et dans le cadre compact d’un tournoi, quand le sélectionneur a trouvé son équipe type, il a tout intérêt à la conserver. C’est ce qu’ont fait Paul Nicolas en 1958, Michel Hidalgo en 1982, Aimé Jacquet en 1998, Raymond Domenech en 2006 et Didier Deschamps en 2016, 2018 et 2022.
Ça, c’est dans l’idéal. En réalité il faut composer avec les forfaits (Platini contre l’Autriche en 1982) et les suspensions (Ayache en quart en 1986, Blanc en finale 1998, Matuidi en quart 2018). Ou s’adapter à l’adversaire, comme l’a fait Roger Lemerre en 2000 où il a alterné deux équipes type (alternant Anelka et Dugarry dans la ligne d’attaque, ajoutant ou enlevant Petit au milieu). Lemerre est d’ailleurs le seul parmi les quatre sélectionneurs titrés à n’avoir jamais aligné deux fois consécutivement le même onze de départ en phase finale.
Cet enchaînement est tellement compliqué à réussir qu’il ne dure presque jamais plus de deux matchs. En 118 ans, il n’est arrivé que quatre fois de voir la même équipe alignée trois fois consécutivement. Et une seule fois lors de quatre rencontres : c’était à la Coupe du monde 2006. Raymond Domenech avait trouvé la formule gagnante (du moins jusqu’à l’expulsion de Zidane) contre l’Espagne en huitièmes. Il l’avait renouvelée face au Brésil en quarts, au Portugal en demi et à l’Italie en finale.
Une victoire pour commencer, mais la suite est moins bonne
Auparavant, une première série de trois s’était produite en avril-mai 1946 (Tchécoslovaquie, Portugal et Autriche), la deuxième en juin 1958 (Ecosse, Irlande du Nord et Brésil). Depuis, il n’y en a eu qu’une autre en juillet 2016 (Islande, Allemagne, Portugal).
Logiquement, le match qui précède un replica (et qui est donc joué avec les mêmes titulaires) est le plus souvent une victoire : 19 fois sur 25 (puisqu’il y a trois replica dédoublés et un triplé, ce qui fait bien 30) contre seulement 5 nuls et, allez savoir pourquoi, une défaite (contre l’Angleterre en 1929).
Mais bien sûr ce n’est pas une garantie : le deuxième match, le replica donc, n’est gagné que 11 fois, dont 8 à la suite d’une victoire (les trois autres fois après un nul). Et il est perdu 8 fois, pour 6 nuls. Le meilleur enchaînement du lot est évidemment celui de 2006, avec trois victoires consécutives contre l’Espagne, le Brésil et le Portugal, avant un nul (perdu aux tirs au but) face à l’Italie.
Les replica d’Hidalgo arrivent sur le tard
En 75 matchs à la tête des Bleus entre 1976 et 1984, Michel Hidalgo n’a pu faire que trois replica : le premier date de juin 1982 contre la Tchécoslovaquie, où il reconduit l’équipe qui avait battu le Koweït, avec Ettori derrière une défense Amoros, Janvion, Trésor, Bossis, un milieu à trois numéros dix Giresse, Platini, Genghini et une attaque Soler, Lacombe, Six. Le forfait de Platini contre l’Autriche le poussera à faire entrer Tigana, et contre l’Irlande du Nord il sacrifiera un attaquant (Six) pour créer son fameux carré magique. Contre la RFA en demi-finale, il sortira Soler pour aligner Six.
Le second a lieu au printemps 1983, où après une brillante victoire à Guimaraes contre le Portugal (3-0, trois passes décisives de Platini), il reconduit toute l’équipe face à l’URSS au Parc. Tempet est dans les cages, Battiston, Mahut, Bossis, Amoros en défense, Fernandez, Giresse, Platini, Ferreri forment un milieu à quatre très offensif et Stopyra et Amisse animent l’attaque. Mais Trésor, Tigana et Lacombe sont absents.
Le troisième est à l’occasion de l’ouverture de l’Euro 1984. Testé contre l’Ecosse à Marseille (2-0), le onze-type est à nouveau aligné contre le Danemark avec Bats derrière Battiston, Le Roux, Bossis et Amoros. Fernandez, Tigana, Giresse et Platini forment le nouveau carré magique au milieu et Lacombe et Bellone sont à la finition. Mais le carton rouge d’Amoros et la blessure de Le Roux vont obliger Hidalgo à rebattre les cartes, avec Domergue en arrière-gauche et Battiston dans l’axe.
Focus : les six matchs replica de Didier Deschamps
Si les matchs replica sont rares, leur fréquence semble s’accélérer ces dernières années. De 1904 à 1944, on n’en trouve que 5 (en 158 rencontres). De 1945 à 1975, il y en a 7 (sur 206). Entre 1976 et 2000, encore 7 (sur 237). Par contre on en trouve 12 depuis 2001 (en 292 matchs). Et si on resserre la focale un peu plus, il y en a 6 sur les 100 derniers (depuis septembre 2015).
Ces six-là sont le fait de Didier Deschamps, qui est incontestablement adepte de la continuité : en 137 rencontres dirigées, il a conservé 10 joueurs 13 fois, 9 joueurs 13 fois, 8 joueurs 14 fois, 7 joueurs 17 fois et 6 joueurs 17 fois. Ajoutés aux 6 replica, ça fait 80 rencontres où plus de la moitié des titulaires ont été conservés d’un match à l’autre. Contre seulement 57 où il n’a gardé que 5 joueurs (20 fois), 4 (16 fois), 3 (13 fois), 2 (5 fois) ou 1 (2 fois). Il n’a jamais renouvelé entièrement les 11 titulaires.
Euro 2016 : Islande, Allemagne, Portugal
Exit Rami en défense centrale (suspendu) et Kanté à la récupération (écarté) : avec Umtiti et Sissoko, Deschamps trouve la formule gagnante contre l’Islande en quart (5-2). Il la conserve contre l’Allemagne en demi (2-0) et en finale face au Portugal (0-1).
Coupe du monde 2018 : Belgique, Croatie
Calée dès le deuxième match du premier tour et le match face au Pérou (1-0), la compo qui permettra aux Bleus de décrocher le titre est logiquement chamboulée contre le Danemark, avant de revenir face à l’Argentine (4-3), avec Matuidi côté gauche dans un 4-3-3 asymétrique. Elle est modifiée à la marge en quart contre l’Uruguay (2-0), car Matuidi, suspendu, est remplacé par Tolisso, mais revient en demi face à la Belgique (1-0)et en finale contre la Croatie (4-2).
Ligue des Nations 2019 : Allemagne, Pays-Bas
C’est la même composition que la précédente, avec Areola dans les cages à la place de Lloris, forfait. Dominés lors du premier match en Allemagne (0-0), ils prennent le dessus contre les Néerlandais trois jours plus tard (2-1). Jamais depuis le sélectionneur n’a pu aligner son équipe qui a gagné à Moscou.
Eliminatoires Euro 2020 : Moldavie, Islande
La route vers le championnat d’Europe commence en mars 2019 par deux matchs en Moldavie et à domicile contre l’Islande. Avec Kurzawa dans le couloir gauche à la place d’Hernandez blessé, Deschamps aligne dix champions du monde 2018. Les résultats suivent et les buts pleuvent : 4-1 et 4-0, avec un trio offensif qui s’en donne à cœur joie.
Coupe du monde 2022 : Pologne, Angleterre
Ce n’est sans doute pas l’équipe-type que Didier Deschamps avait en tête jusqu’en septembre, mais il s’est adapté, en bon pragmatique. Privé de Kimpembe, Kanté, Pogba, puis de Benzema et de Lucas Hernandez, il a testé contre le Danemark un 4-3-3 avec Koundé à droite, Théo Hernandez à gauche, et Upamecano associé à Varane. Le milieu Tchouaméni-Rabiot avait déjà quelques automatismes depuis un an, et l’attaque se connaît par cœur. Et ça marche. Après la grosse rotation contre la Tunisie, Deschamps revient à sa formation préférentielle contre la Pologne puis l’Angleterre. A suivre...