Chroniques bleues est né quelques jours après la prise de fonction de Laurent Blanc, au cours d’un été 2010 où l’équipe de France semblait être tombée dans un puits sans fond. La catastrophique Coupe du monde sud-africaine était une plaie à vif, plusieurs internationaux avaient été sanctionnés et le nouveau sélectionneur se trouvait face à un dilemme : l’obligation morale de marquer le coup en écartant, fût-ce symboliquement, les 23 joueurs présents à Knysna le jour de la grève du bus — les 22 plus Nicolas Anelka, qui était déjà reparti en Europe après son éviction — et la nécessité de préparer la phase qualificative de l’Euro 2012 qui commençait en septembre. Autant dire, il lui fallait sacrifier son seul match de préparation, programmé le 11 août à l’Ulleval Stadion d’Oslo, contre la Norvège.
En 2010, Rami titulaire, Matuidi sur le banc
Blanc fait donc appel à quelques internationaux ayant un minimum d’expérience, comme Philippe Mexès, Lassana Diarra, Samir Nasri, Karim Benzema et Hatem Ben Arfa, et embarque une flopée de néophytes, tiraillés entre l’impression de jouer les bouches-trou et le secret espoir de saisir l’occasion de se faire remarquer. Parmi eux, il y en en a deux qui sont bien loin de se douter qu’ils deviendront champions du monde huit ans plus tard : Blaise Matuidi, qui restera sur le banc, et Adil Rami, titulaire en défense centrale. Cinq autres débutants les accompagnent : le gardien Stéphane Ruffier, le défenseur Aly Cissokho, les milieux Yann Mvila et Charles N’Zogbia et l’attaquant Guillaume Hoarau. Deux autres entreront en cours de jeu : Jérémy Ménez et Yohan Cabaye. Et quatre font partie du groupe mais, comme Matuidi, ne joueront pas à Oslo : les défenseurs Mamadou Sakho, Mathieu Debuchy et Benoît Trémoulinas et le gardien Nicolas Douchez, qui ne sera jamais sélectionné.
Dans les schémas de composition suivants, est indiqué après chaque joueur le nombre de sélections lors du match, entre crochets le nombre total de sélections. En blanc les débutants, en bleu les autres.
Norvège-France 2010 (2-1)
Ce Norvège-France à 13 débutants est le plus récent des matchs reboot, ces parties où l’équipe de France semble avoir fait table rase, le plus souvent après un match shutdown ( Les matchs shutdown : c’est ici qu’on se quitte). En l’occurrence, à moitié table rase, puisque Laurent Blanc n’a évidemment pas fait jouer tous ses débutants en même temps : six au coup d’envoi, cinq à la fin du match, huit en tout et cinq pas utilisés.
Du passé faisons table rase
Mais dans l’histoire, il y a eu trois matchs reboot parfaits, c’est-à-dire où la sélection a été composée exclusivement de débutants. Accordons un statut spécial au premier match de l’histoire contre la Belgique le 1er mai 1904, puisqu’il faut bien un début à tout. Et regardons en détail les deux autres.
Le suivant ne tarde pas puisqu’il s’agit du treizième match des Bleus (alors en blanc), encore contre la Belgique, toujours au Vivier d’Oie à Bruxelles, cinq ans plus tard en 1909. La raison en est simple : la FIFA a reconnu cinq mois plus tôt le CFI, alors que l’USFSA concurrente a claqué la porte de l’institution internationale (laquelle ne reconnaît qu’une fédération par pays membre). Exit les joueurs appartenant à des clubs affiliés à l’USFSA, place à ceux jouant au sein de la FGSPF (clubs de patronages) membre du CFI comme le Patronage Olier, l’Etoile des Deux Lacs, l’AS Bon Conseil ou la JA Levallois. Cette équipe-là va chuter lourdement (2-5) et enchaîner les prestations calamiteuses pendant deux ans, jusqu’à l’émergence d’Eugène Maës au printemps 1911. Hormis Jean Rigal, aucun joueur de niveau international (même selon les très faibles critères d’avant 1914) n’émerge.
Belgique-France 1909 (5-2)
En 1953, Fontaine et Vincent débutent ensemble : 8-0
Le troisième a eu lieu beaucoup plus tard, le 17 décembre 1953. Cette fois, contre le Luxembourg au Parc, la FFF décide d’aligner une sélection Espoirs composée donc de onze débutants parmi lesquels deux attaquants qui vont faire parler d’eux, le Lillois Jean Vincent et le Niçois Just Fontaine (8-0, victoire record à l’époque). Mais comme il s’agit d’un match qualificatif pour la Coupe du monde 1954, la FIFA le considère logiquement comme officiel. Il faudra plus de trente ans à la FFF pour en faire autant, ce qui permettra à tous les joueurs d’être crédités d’une sélection supplémentaire et à Vincent (2 buts) et surtout Fontaine (3) de remonter au classement des buteurs. C’est donc le seul match en compétition composé exclusivement de débutants dans toute l’histoire de l’équipe de France.
France-Luxembourg 1953 (8-0)
Hormis ces trois cas chimiquement purs, les matchs avec une majorité de débutants restent exceptionnels. On en compte neuf, dont un seul après 1945 et quatre avant 1914.
En 1920, Devaquez et Nicolas en prennent 9
L’Italie-France du 18 janvier 1920 à Milan est aussi le premier depuis la création de la FFFA, la Fédération française de football. C’est seulement le deuxième d’après-guerre, dix mois après le classique Belgique-France. Il aura été mouvementé : 41 heures de voyage en train (grève des cheminots), énorme débâcle sportive (défaite 4-9) et grève des joueurs, déjà, lors du voyage en train. Le tout nouveau manager technique, Gaston Barreau, semblait plutôt mal parti avec ses huit débutants : le gardien Maurice Cottenet, les frères défenseurs Pierre et Alexis Mony, les demis Louis Olagnier et Louis Mistral et les attaquants Jules Devaquez, Albert Rénier et Paul Nicolas. Moyennant quoi, Barreau restera à la tête de l’équipe de France jusqu’à sa mort en 1958 et Devaquez et Nicolas devinrent deux des principaux joueurs de l’entre-deux guerres.
Italie-France 1920 (9-4)
En 1925, défaite record face à l’Italie
Cinq ans plus tard, encore contre l’Italie et cette fois à Turin, Gaston Barreau aligne sept nouveaux dont les défenseurs Urbain Wallet et Marcel Vignoli, les milieux Paul-Emile Bel et Charles Bardot et et les attaquants Maurice Thédié, André Liminana et Félix Pozo. Le résultat n’est pas au rendez-vous, loin de là : 0-7, plus large défaite de l’histoire des Bleus contre l’Italie, record de 1920 enfoncé. A la mi-temps le score n’est que de 0-1, mais en 13 minutes, la Squadra en ajoute quatre, dont deux d’Adolfo Baloncieri signalés hors-jeu par le juge de touche pourtant italien (mais validé par l’arbitre autrichien Heinrich Retschury). Thédié, Bel et Pozo viennent garnir la déjà longue liste des éphémères : on ne les reverra plus en sélection.
Italie-France 1925 (7-0)
En 1930, Laurent et Liberati gagnent leur place pour l’Uruguay
A côté, le Portugal-France de février 1930 fait presque figure de réussite : au terme d’un voyage agrémenté par la présence d’un chevreau noir ( Le jour où une chèvre a supplanté le coq), l’équipe de France se défend honnêtement sur un terrain pelé (0-2) à tel point que chacun des sept débutants (le gardien Antonio Lozès, le défenseur André Chardar, le milieux Jean Gautheroux et les attaquants Ernest Liberati, Lucien Laurent, Gustave Dubus et Pierre Korb) se verront tous donner une nouvelle chance. Liberati et Laurent joueront même la Coupe du monde en Uruguay cinq mois plus tard, et Laurent entrera dans l’histoire en tant que premier buteur de la compétition.
Portugal-France 1930 (2-0)
Deux matchs à six débutants depuis 1954
Si avant-guerre on relève cinq matchs commencé avec cinq débutants : les deux France-Danemark ridicules des JO de 1908 (0-9 et 1-17, ( Le mystère des JO de 1908 et ses deux équipes de France enfin résolu ? ), un France-Belgique en 1910 (0-4), un Suisse-France en 1913 (1-4) et un Portugal-France en 1927 (0-4), ce genre d’expérimentation sauvage — et généralement catastrophique au tableau d’affichage — disparaît à partir de 1945. Hormis le cas particulier du match des Espoirs contre le Luxembourg évoqué plus haut, deux fois l’équipe de France commence une rencontre avec une majorité de néophytes : face à la Norvège en août 2010, comme on l’a vu plus haut, et contre l’Autriche le 24 mars 1965. Ce jour-là, Henri Guérin essaie deux défenseurs (Robert Péri et Denis Devaux), deux milieux (Jacky Simon et Marcel Loncle) et deux attaquants (Daniel Rodighiero et Gérard Hausser). Ce dernier marque le seul but français, insuffisant car les Autrichiens l’emportent (1-2). Seul Devaux ne sera pas rappelé.
Kovacs pas inspiré en 1973, Hidalgo joue et gagne en 1976
Dans les années 1970, Stefan Kovacs a aligné cinq nouveaux contre la Grèce le 8 septembre 1973 pour son premier match en tant que sélectionneur : Jean-Claude Osman et Pierre Repellini en arrières latéraux, Roger Jouve au milieu et Bernard Lacombe et Christian Sarramagna devant. Marc Berdoll et Daniel Ravier, néophytes eux aussi, ont remplacé ces derniers en deuxième mi-temps.
Enfin, moins de trois ans plus tard, Michel Hidalgo faisait fort pour ses débuts sur le banc avec cinq débutants au coup d’envoi contre la Tchécoslovaquie : Patrice Rio, Max Bossis, Gilles Rampillon, Robert Pintenat et Michel Platini, avec Didier Six en bonus dans les dix dernières minutes. Soit trois futurs champions d’Europe lancés le même jour !
Depuis 2010, jamais plus de quatre
En août 2004, Raymond Domenech s’essayait à l’exercice pour sa première composition d’équipe : contre la Bosnie, il alignait Sébastien Squillaci, Eric Abidal, Patrice Evra et Rio Mavuba, Gaël Givet entrant en deuxième période. Seul Abidal sera retenu pour la Coupe du monde 2006, où il sera titulaire sur le côté gauche de la défense.
Si Didier Deschamps n’est pas avare de nouveautés, il prend bien garde de ne pas mettre en péril l’équilibre de l’équipe : en novembre 2016 face à la Côte d’Ivoire, il lance quatre nouveaux, mais seulement deux débutent (le gardien Benoît Costil et le milieu Adrien Rabiot) tandis que deux autres entrent dans la dernière demi-heure (le défenseur Sébastien Corchia et l’attaquant Thomas Lemar). Il avait été encore plus prudent en juin 2013 en Uruguay avec le seul Eliaquim Mangala titulaire, et trois remplaçants : Alexandre Lacazette, Josuha Guilavogui et Clément Grenier.
Vos commentaires
# Le 7 juin 2020 à 22:13, par Nhi Tran Quang En réponse à : Les matchs reboot : on efface tout et on recommence
Gael Givet a été retenu dans les 23 pour la coupe du monde 2006 mais contrairement à Abidal, il n’a pas joué un match