Les matchs shutdown : c’est ici qu’on se quitte

Publié le 9 juin 2020 - Bruno Colombari

C’est rarement sur le moment qu’on prend conscience qu’une carrière internationale se termine. Il est arrivé onze fois qu’au moins la moitié des titulaires d’un match ne revienne plus jamais en sélection. Et on a même eu un shutdown parfait : onze sur onze !

4 minutes de lecture

Après les matchs reboot, ou redémarrage, évoqués précédemment ( Les matchs reboot : on efface tout et on recommence), intéressons-nous à leurs contraires, à savoir les rencontres où le plus de joueurs ont disputé leur dernière sélection. Logiquement, on pourrait les appeler les matchs shutdown (extinction) pour continuer à filer la métaphore informatique.

Bien évidemment, s’il est banal de voir un joueur faire ses adieux à l’équipe de France, à la différence des matchs reboot il est quasiment impossible de le savoir sur le moment. A l’exception des cas finalement rares où un joueur annonce mettre un terme à sa carrière internationale, comme pour Zidane en juillet 2006 ou Lama, Blanc et Deschamps en septembre 2000.

Autrement dit, cette étude ne peut guère aller au-delà des débuts de l’ère Deschamps (août 2012), puisqu’une grande partie des joueurs qu’il a appelés sont encore en activité et peuvent donc potentiellement être encore sélectionnés. Pour les cent derniers matchs, le terme de dernière sélection par joueur n’est donc pas pertinent.

Danemark-France aux JO de 1908 : deux matchs, 20 Bleus éjectés

En deçà, il n’y a qu’un seul vrai match shutdown, c’est-à-dire après lequel aucun des onze participants n’a été rappelé. Il s’agit, mais est-ce surprenant, de la défaite record face au Danemark lors des JO de 1908 à Londres (1-17). Exit les six débutants Ursule Wibaut, Jean Dubly, Georges Bayrou, Charles Renaux, Georges Albert et René Fenouillère, ainsi que les (modestement) expérimentés Maurice Tillette, Louis Schubart, Emile Sartorius et les deux pionniers du match inaugural de 1904, les attaquants André François et Gaston Cyprès.

Dans les schémas de composition suivants, est indiqué après chaque joueur le nombre de sélections lors du match, et s’il y en a eu d’autres, entre crochets le nombre total de sélections. En blanc les joueurs qui finissent leur carrière internationale, en bleu les autres.


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Danemark-France A en 1908 (17-1)


Mais si aucun des protagonistes de cette pantalonnade (que Pierre Cazal raconte en détail ici Le mystère des JO de 1908 et ses deux équipes de France enfin résolu ? n’a plus été rappelé en sélection par la suite, c’est moins à cause du résultat (prévisible) que du fait qu’en 1909, la FIFA ne reconnaissait plus l’USFSA (la fédération qui avait formé l’équipe de France présente au tournoi) mais le CFI. Et que seuls les joueurs licenciés dans des clubs dépendant du CFI étaient alors sélectionnables, excluant de fait ceux issus de clubs USFSA. D’où l’existence d’un match reboot le 9 match 1909 contre la Belgique, composé uniquement de débutants.

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Emile Sartorius, seul buteur contre les Danois aux JO de 1908


Trois jours avant ce Danemark-France, il y eu un précédent avec les mêmes équipes. Du moins, la même équipe danoise, mais une autre sélection française, car l’USFSA avait envoyé deux équipes différentes (la A et la B) aux JO, ce qui était autorisé. Celle-ci fit un peu mieux, ne s’inclinant que 0-9. Mais seuls deux joueurs, le capitaine Joseph Verlet et le défenseur Charles Bilot, échappent au couperet. Le premier, qui compte alors 6 sélections rejouera une fois en 1911 et le second sera rappelé quatre fois en 1911 et 1912. Tous les autres, à savoir Fernand Desrousseaux, Sadi Dastarac, Raoul Gressier, Justin Vialaret, Pierre Six, Albert Jenicot, Henri Holgard, Paul Mathaux et Adrien Filez jouent pour la dernière fois en équipe de France.

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Danemark-France B en 1908 (9-0)


A Budapest, le jour où Devaquez a marqué des deux côtés

C’est une avalanche de même ampleur qui ensevelit les internationaux français contre la Hongrie à Budapest le 12 juin 1927 (1-13, le dernier carton de l’histoire des Bleus. Sept joueurs en font les frais : le gardien Maurice Cottenet, le défenseur André Rollet, les milieux René Dedieu, Aimé Durbec et Jean Fidon (entré à la place de Rollet) et les attaquants Georges Taisne et Julien Sottiault. Parmi les rescapés, le capitaine Jules Devaquez, 31 sélections, et qui jouera encore deux ans en équipe nationale. Il a d’ailleurs inscrit deux buts lors de ce match, un de chaque côté à quatre minutes d’intervalle.

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Hongrie-France en 1927 (13-1)


Quand les Belges en achèvent sept d’un coup, deux fois

Deux autres fois l’équipe de France perdra sept internationaux à la fin d’un match : contre la Belgique le 26 mai 1929 (1-4). Cette fois, c’est bien la dernière pour Devaquez qui établit un nouveau record de sélections (41) qui tiendra dix ans. Avec lui disparaissent des tablettes le gardien Charles Allé, le défenseur Jacques Wild, le milieu Robert Dauphin et les attaquants Maurice Gallay, Jean Boyer et Yvon Segalen.

Vingt et un ans plus tard, toujours contre la Belgique le 4 juin 1950, c’est sur le même score que s’incline l’équipe de France qui renoncera dans la foulée à participer à la Coupe du monde au Brésil. Paul Sinibaldi, André Frey, Jean Luciano, Jean Belver, Marius Walter, Mustapha Ben M’Barek et Jean Swiatek sont écartés, alors que le capitaine Roger Marche, futur recordman de sélections (en 1955), continue l’aventure.

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Belgique-France en 1950 (4-1)


Contre l’URSS, on dégage par paquets de six

Depuis cette date, deux autres fois il y a eu six départs lors du même match : face à l’URSS en juin 1967, lors de la brève expérience de Just Fontaine comme sélectionneur. En plus du milieu de terrain débutant Jean Deloffre, c’est toute la défense, gardien compris, qui passe à la trappe : Daniel Eon, Gabriel De Michèle, Gilbert Le Chenadec, Jean-Claude Piumi et Louis Cardiet. La faible prestation de la deuxième mi-temps (2-4 alors que les Bleus menaient 2-1 à la pause) et évidemment l’éviction du jeune sélectionneur auront été déterminantes.


 

La toute dernière fois est à peine plus récente, le 26 mai 1973 et toujours contre l’URSS. Cette fois, c’est Georges Boulogne qui va partir pour laisser sa place à Stefan Kovacs. Mais il ne part pas seul : Bernard Gardon, Louis Floch, Michel Mézy, José Broissart, Jean-Paul Rostagni et Claude Quittet l’accompagnent. L’équipe de France au début des années 1970, c’était ça.

L’adieu Sud-Africain de Thierry Henry, en 2010

Depuis, les fins de carrière internationale groupées sont rares. On retiendra le match contre l’Afrique du Sud à Bloemfontein, où Sébastien Squillaci, William Gallas, Sidney Govou et surtout Thierry Henry (entré en deuxième mi-temps) ont quitté tristement les Bleus. Le duo Thuram-Sagnol a disparu après le terrible Pays-Bas – France à l’Euro 2008 (1-4), alors que Barthez et Zidane ont joué leur dernier match en équipe de France à Berlin contre l’Italie, en juillet 2006. Vingt ans plus tôt, au Mexique, Bossis, Rust, Bibard et Tusseau avaient tiré leur révérence contre la Belgique lors de la petite finale, quelques jours après Giresse (en demi contre la RFA) et Rocheteau (en quart face au Brésil).

pour finir...

Merci à Matthieu Delahais qui m’a suggéré l’idée de cet article.

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Hommage à Pierre Cazal