Les premiers Bleus : Ernest Gravier, l’éternel retour

Publié le 20 septembre 2024 - Pierre Cazal

Avec une carrière internationale aussi longue que celle d’Olivier Giroud (13 ans, de 1911 à 1924), mais formée de deux périodes compactes, Ernest Gravier a toujours dû faire face à une rude concurrence. Mais il est toujours revenu et a participé aux JO de Paris en 1924.

Cet article fait partie de la série Les premiers Bleus
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La Guerre de 14-18, occasionnant une coupure de cinq années, a mis fin à la carrière internationale de nombreux joueurs, mais pas tous. Ernest Gravier fait partie de ceux-là, et l’amplitude de sa carrière (13 années et dix mois, 11 sélections) compte parmi les plus importantes derrière celle de Juste Brouzes (14) [1]. Pour autant, sa notoriété est faible, raison de plus pour l’évoquer.

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Il était né à Montbeugny, petit village de l’Allier, dont son père était le chef de gare, le 26 août 1892, mais a grandi à Paris par suite de la mutation paternelle, en 1902. Il a alors pris licence en 1906 au CAP, un des meilleurs clubs de l’USFSA, finaliste du championnat de France 1909 — mais Gravier n’est encore qu’équipier second, comme on disait alors. Le CAP fait partie de la poignée de clubs parisiens qui font sécession en 1910 d’avec l’USFSA, lui reprochant sa démission de la FIFA qui les coupe de matchs internationaux attractifs, et fonde la Ligue de Football-Association (LFA), laquelle adhère au CFI.

Pour rappel, le CFI regroupe toutes les fédérations rejetées par l’USFSA, en position hégémonique jusqu’à l’année fatidique de 1908, où cette fédération scia, sans s’en rendre compte sur le moment, la branche maîtresse sur laquelle elle était assise en quittant la FIFA, organisme qu’elle avait pourtant créé elle-même quatre années plus tôt et dont elle mésestimait le pouvoir. Le CFI prit la place vacante, et dès lors fut le seul interlocuteur admis par tous les autres pays adhérant à la FIFA, avec le privilège de former l’équipe de France. Moins sectaire que l’USFSA, le CFI était ouvert aux adhésions, de sorte que la LFA, constituée par les clubs parisiens les plus éminents, fut la bienvenue dans ses rangs. C’est ainsi qu’Ernest Gravier devint international, en 1911.

Buteur en finale du championnat de France, puis sélectionné en 1911

1911 est l’année où le CAP, champion de Paris, remporta aussi le Trophée de France, un play-off opposant les champions des différentes fédérations composant le CFI, et constituant donc par là-même le championnat de France du CFI. Le CAP battit successivement la JA Saint-Ouen, champion FCAF, par 5-0, et en finale l’Etoile des Deux Lacs, champion des Patronages FGSPF, 1-0, but de… Gravier.

Ernest Gravier n’avait pas encore 19 ans, et s’était imposé au poste d’inter gauche (rappelons que dans le système du 2-3-5, on attaquait en ligne à cinq, ce qui est impensable aujourd’hui !) par sa vitesse, son engagement physique (il est décrit comme « bouillant »), et sa finesse. Longiligne, et même sec avec son 1m72, iI est dit « très habile sur la balle, très confiant, et ne craignant pas la charge ». Il va jouer les 6 matchs qui constituent le calendrier de l’équipe de France pour l’année 1911, et sera même le seul, ce qui veut bien dire qu’il faisait l’unanimité parmi les sélectionneurs, malgré 4 défaites (Hongrie, Angleterre, Suisse, Belgique), pour un match nul (2-2 contre l’Italie) au premier semestre 1911.

L’équipe de France le 9 avril 1911 à Saint-Ouen contre l’Italie. Ernest Gravier est assis, le deuxième en partant de la droite (photo agence Rol, BNF/Gallica).

Gravier fut quand même conservé pour aller affronter le Luxembourg en octobre, et bien en prit aux sélectionneurs, puisque non seulement la victoire, enfin, fut au bout (4-1), mais en plus, Gravier marqua son but. Ce n’était pas faute d’avoir essayé auparavant, mais ses tirs avaient été parés, bien que deux d’entre eux, contre l’Italie, puis contre la Belgique, aient été repoussés dans les pieds d’Eugène Maës, qui s’était empressé de les envoyer au fond des filets !

Face à la concurrence, il recule en défense

Par la suite, Gravier se trouva supplanté par Henri Viallemonteil en sélection, supérieur en dribble et en combinaison, et même en club, par Emilien Devic. Il choisit donc de reculer sur le terrain, comme Gabriel Hanot l’avait fait avant lui, et se retrouva donc arrière, où son agressivité, jointe à une finesse technique inusitée alors dans les défenses, fit merveille. Il remporta une seconde fois le Trophée de France avec le CAP, en 1913 (contre le club bordelais de La Vie au Grand Air du Médoc (2-1), mais disparut de l’équipe de France, parce que la paire Gamblin-Hanot était indéboulonnable.

Ernest Gravier (le premier assis en partant de la gauche) avec le CA Paris le 10 novembre 1912 à Asnières (photo agence Rol, BNF/Gallica).

Comme beaucoup, Ernest Gravier, blessé à la cheville par balle, fut fait prisonnier de guerre, en 1916, et interné en Allemagne d’où il ne fut rapatrié qu’après l’Armistice, fin décembre 1918. Il reprit sa place au CAP, mais… à l’avant, car la doublette défensive était alors composée de Vanco et de Mesnier, l’ex-international reculé lui aussi à l’arrière. Gravier a souvent été victime de la concurrence, on le voit ; mais c’est dans ces conditions qu’il gagna quand même la Coupe de France 1920 face au HAC (2-1).

Précisons que la « guéguerre » des fédérations avait pris fin en même temps que la « grande » Guerre, en 1919, avec leur fusion au sein de la FFF (alors FFFA, le A d’Association étant traditionnellement accouplé au mot football, pour le distinguer du football-rugby, on a simplifié les choses aujourd’hui), laquelle FFF(A), donc, avait créé une compétition imitée de la FA Cup anglaise, la Coupe de France, toujours en vigueur aujourd’hui, quoique dévalorisée.

Dénoncé par Mesnier et suspendu un an par la FFFA

A propos de Louis Mesnier, qui était le coéquipier de Gravier au CAP depuis 14 années, il faut mentionner qu’il fut à l’origine de la suspension d’un an pour faits de professionnalisme prononcée par la FFFA à l’encontre de Gravier (et de son coéquipier André Allègre) en juin 1920. En cause, la demande, par Gravier et Allègre, de toucher une part de la recette d’un match opposant le CAP au Racing, à laquelle Mesnier, capitaine du CAP, s’opposa et qu’il dénonça. Gravier, au bout de sa suspension, ne resta bien entendu pas au CAP mais accepta une proposition du FC Sète, lequel rémunérait ses joueurs sans honte et savait échapper aux sanctions.

Après la guéguerre des fédérations, place dans les années 1920 à la guéguerre opposant amateurs et professionnels ! Pierre Chayriguès fut le premier à revendiquer ouvertement son professionnalisme (et à être radié…), mais le conservatisme était encore très fort, et il fallut attendre 1930 pour que les choses évoluent en France, alors que des championnats professionnels existaient, hors d’Angleterre (qui pratiquait le professionnalisme depuis 1885), notamment en Autriche, dès 1924, en Tchécoslovaquie, etc.

Un retour inattendu aux JO de Paris en 1924

Gravier put donc rebondir, en rejouant à l’arrière, au sein des « Dauphins » sétois, disputant deux finales de Coupe de France consécutives, perdues toutes deux, contre le Red Star en 1923 (2-4) puis l’OM en 1924 (2-3 après prolongations) et gagnant trois championnats régionaux. Cela lui permit une belle revanche, en retrouvant l’équipe de France pour 5 autres sélections de 1923 à 1924. Et tout particulièrement, il fut sélectionné pour jouer les Jeux olympiques de Paris (ceux de 1924 !) : il joua contre la Lettonie, battue sans forcer 7-0, et affronta ensuite la formidable équipe d’Uruguay pour sa dixième et avant-dernière cape.

Ernest Gravier (le troisième joueur debout en partant de la gauche) avec le FC Sète le 6 mai 1923 à Pershing (photo agence Rol, BNF/Gallica).

Le score (1-5) paraît sévère. Mais l’équipe de France résista bien pendant une heure, avec une défense remaniée par le forfait de Baumann, qui faisait duo avec Gravier à l’arrière, Baumann dans le rôle de l’arrière fixe, un costaud chargé de « déblayer » à la mode de l’époque, et Gravier, plus léger, mobile et très bon dans l’interception et le tacle, dans celui de l’arrière volant, qui défendait en pressant. Le grand Domergue suppléa Baumann, mais c’était un demi-centre offensif, et il n’avait absolument pas les qualités requises par le poste. De plus, la blessure de Chayriguès à l’épaule, subie en 1919, se réveilla à la suite du choc, d’où résulta le troisième but de la Céleste, et Chayriguès laissa passer sans intervenir les deux derniers buts, puisqu’il n’était pas possible de faire entrer un remplaçant, à l’époque.

Après un dernier titre régional en 1926, Gravier quitta le FC Sète, pour jouer au Sporting Club Nîmois puis à l’AC Arles, avant de les entraîner, jusqu’en 1935. Il se retira ensuite à Saint-Rémy de Provence, où il travailla dans une banque. Et c’est à Saint-Rémy de Provence qu’il décéda le 14 mars 1965.

Les 11 matchs d’Ernest Gravier avec l’équipe de France

Sel.GenreDateLieuAdversaireScoreTps Jeu
1 Amical 01/01/1911 Maisons-Alfort Hongrie 0-3 90
2 Amical 23/03/1911 Saint-Ouen Angleterre 0-3 90
3 Amical 09/04/1911 Saint-Ouen Italie 2-2 90
4 Amical 23/04/1911 Genève Suisse 2-5 90
5 Amical 30/04/1911 Bruxelles Belgique 1-7 90
6 Amical 29/10/1911 Luxembourg Luxembourg 4-1 90 (1 but)
7 Amical 28/10/1923 Paris (Parc) Norvège 0-2 90
8 Amical 17/05/1924 Paris (Pershing) Angleterre 1-3 90
9 JO 1924 hf 27/05/1924 Saint-Ouen Lettonie 7-0 90
10 JO 1924 qf 01/06/1924 Colombes Uruguay 1-5 90
11 Amical 04/06/1924 Le Havre Hongrie 0-1 90
12 Amical 11/11/1924 Bruxelles Belgique 0-3 90

[1Ernest Gravier est le sixième joueur à la carrière la plus longue en équipe de France (lire l’article En équipe de France depuis plus de dix ans : les carrières les plus longues).

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