51 internationaux français ont une carrière supérieure à dix ans en sélection, ce qui n’est pas énorme (sur 941 internationaux en septembre 2024, soit un peu plus d’un sur vingt). Le dernier en date est Lucas Digne, qui a débuté en mars 2014 et n’avait plus joué depuis juin 2022. Son rappel en septembre 2024 a redémarré son compteur.

Mais qui dit carrière longue ne veut pas forcément dire carrière dense : sur les 25 joueurs à la carrière la plus longue (soit au moins 12 ans), on n’en compte que 5 ayant plus de cent sélections : Hugo Lloris (4e), Lilian Thuram (7e), Thierry Henry (12e), Olivier Giroud (14e) et Patrick Vieira (16e). Deux des cinq premiers n’ont qu’entre 6 et 17 capes, et deux autres dans le top 10 à peine plus d’une vingtaine. Seuls Hugo Lloris, Karim Benzema et Steve Mandanda font exception : le capitaine gardien a mis un terme à sa carrière internationale après 14 ans et 145 sélections, son remplaçant aussi, mais avec 35 matchs joués et le Ballon d’or 2022 aurait pu dépasser le record de Larbi Ben Barek en mars 2023, où il aurait compté 16 ans d’ancienneté (il a débuté en mars 2007). Mais il a renoncé aux Bleus en juste après la Coupe du monde au Qatar. Il a donc joué pour la 97e et dernière fois en juin 2022 contre la Croatie.

Comment expliquer que la plupart des carrières longues concernent des joueurs avec peu de sélections ? Parce qu’elles touchent essentiellement des joueurs ayant débuté avant la première guerre mondiale (Ernest Gravier et Pierre Chayriguès en 1911, Juste Brouzes en mai 1914), avec une interruption de cinq ans et une reprise dans les années 1920. Un peu plus bas dans le classement, Raymond Dubly (31 sélections entre 1913 et 1925) et Lucien Gamblin (17 capes entre 1911 et 1923) sont également dans ce cas.

Vingt ans après, Roger Courtois (1933-1947) et le recordman Larbi Ben Barek (1938-1954) ont enjambé le deuxième conflit mondial, tout comme Alfred Aston (1934-1946) et Julien Darui (1939-1951), qui auraient tous deux fait une bien plus belle carrière en temps de paix.

Densité et longévité ne sont pas synonymes

Les rares contre-exemples récents avec au moins 13 ans de carrière sont donc Karim Benzema, on l’a vu, mais juste après Hugo Lloris (2008-2022) ainsi que Lilian Thuram (1994-2008), et Henri Michel (1967-1980). Les deux autres champions du monde à plus de 12 ans sont Steve Mandanda (2008-2022) et Olivier Giroud (12 ans et 4 mois). Il est le dernier entré dans ce classement grâce à son rappel en sélection en mars 2022. S’il joue en juin à l’Euro 2024 ou lors des amicaux de préparation, il dépassera Emmanuel Petit et Thierry Henry. Mais pour entrer dans le top 10, il faudrait qu’il joue en septembre, ce qui est très improbable, surtout s’il finit sa carrière en Californie. Avec lui, la prudence est de mise, tant il défie tous les pronostics et s’apprête à devenir l’international français le plus âgé dans quelques semaines.

Raphaël Varane, qui a mis un terme à sa carrière internationale avant ses 30 ans et Paul Pogba, qui ne joue plus depuis l’été 2023 et se trouve sous le coup d’une suspension de quatre ans, n’atteindront sans doute jamais les 10 ans en Bleu. Antoine Griezmann, forfait en mars 2024, est devenu en juin le cinquantième Bleu à plus de 10 ans en sélection avant d’être rejoint en septembre par Lucas Digne. On notera en passant que les deux ont débuté lors du même match, contre les Pays-Bas le 5 mars 2014.

La densité d’une carrière dépend de deux facteurs : la période concernée, car il est évidemment plus facile d’acquérir beaucoup de sélections en peu de temps dans les périodes aux calendriers très chargés, comme c’est le cas depuis une vingtaine d’années, et le nombre de matchs manqués. Plus ce dernier est faible, plus la carrière est dense. Il y a ainsi des joueurs dont la durée de présence en équipe de France n’est pas particulièrement remarquable, mais qui comptent un nombre très élevé de sélections : William Gallas par exemple, avec 84 capes en 7 ans et 8 mois, Franck Ribéry (81 en 7 ans et 9 mois), Florent Malouda (80 en 7 ans et 7 mois) ou Paul Pogba (91 en 9 ans et 14 jours). Antoine Griezmann a fait encore mieux, puisqu’il n’a mis que 9 ans et 8 mois pour en compter 127.

• La densité de la carrière et le nombre de matchs manqués par joueur sont indiqués désormais dans le tableau des sélectionnés.

La carrière de Ben Barek, un modèle de discontinuité

A cet aune-là, évidemment, Larbi Ben Barek fait figure de parent pauvre. Il est pourtant juste que ce joueur exceptionnel, que Pelé lui-même admirait, détienne au moins un record [1]. Dommage qu’il ait débuté six mois après la Coupe du monde jouée en France (en décembre 1938) et qu’il n’ait participé à aucune des trois éditions alors qu’il était en activité. En 1950, les Bleus ont déclaré forfait pour celle du Brésil et en 1954, il n’a pas été retenu pour celle en Suisse.

La carrière du joueur de l’OM et du Stade Français est d’ailleurs un modèle de discontinuité : il joue quatre matchs consécutifs en 1938-1939, manque les sept suivants, en dispute 12 sur 16 entre 1945 et 1948, part faire carrière à l’Atlético Madrid et ne revient que six ans après, en novembre 1954 pour un dernier tour de piste d’une demi-heure contre les champions du monde allemands.

Ses 15 ans et 317 jours ne sont donc pas tombés en mars 2023. Il faudra attendre l’un des trois plus jeunes débutants du 21e siècle, Kylian Mbappé (18 ans et 3 mois), Eduardo Camavinga (17 ans et 9 mois) ou Warren Zaïre-Emery (17 ans et 8 mois). Encore faut-il qu’ils soient encore en état de marche entre 33 et 34 ans. Réponse entre 2033 et 2039.

Brouzes, buteur éclair à Budapest en 1914

Les cinquième et sixième, qui s’intercalent entre Lloris et Lilian Thuram, sont des ancêtres issus de la toute première équipe de France, celle d’avant la Grande Guerre.

Juste Brouzes débute le 31 mai 1914 à 20 ans, à quelques semaines du déclenchement du premier conflit mondial, lors d’un déplacement à Budapest contre la Hongrie. L’équipe de France s’incline lourdement (1-5) Mais Brouzes s’est illustré en marquant dès la première minute sur un centre de Henri Lesur. On ne le reverra que près de neuf ans plus tard, en janvier 1923 contre l’Espagne, où il est sélectionné avec six de ses coéquipiers du Red Star. Sa troisième sélection attendra encore cinq ans, contre le Portugal en avril 1928. Il achève sa carrière internationale le 29 mai 1928 à Amsterdam, lors du tournoi olympique, par une défaite contre l’Italie où il marque les deux premiers buts en début de match. Il a alors 34 ans.

Ernest Gravier est très jeune lorsqu’il fait ses débuts le 1er janvier 1911 à 18 ans et 4 mois, contre la Hongrie à Charentonneau. Il enchaîne six sélections consécutives cette année-là puis disparaît de la sélection jusqu’en octobre 1923 contre la Norvège, onze ans moins un jour après son dernier match en équipe de France. Il joue encore quatre fois en 1924, devenant même capitaine pour sa 11e et dernière sélection face à la Belgique.

Battiston seul au-delà de 12 ans dans la génération 1984

Parmi les champions d’Europe 1984, les carrières longues sont rares : c’est Patrick Battiston qui est le meilleur à ce jeu là (12 ans et 2 mois), devant Alain Giresse (11 ans et 9 mois), mais pour ce dernier, entre ses débuts en septembre 1974 et son installation en tant que titulaire régulier, début 1981, il s’est écoulé plus de six années. Michel Platini a duré 11 ans et un mois, un peu plus que le duo Lacombe-Rocheteau (10 ans et 9 mois) et qu’Amoros et Bossis (10 ans et 3 mois).

Les champions du monde 1998 font mieux avec, outre Thuram et Henry déjà cités, Patrick Vieira (12 ans et 3 mois), Fabien Barthez (12 ans et 1 mois), Zinédine Zidane (12 ans et 10 mois), le trio Lizarazu-Blanc-Deschamps (11 ans et quelques) puis Desailly (10 ans et 10 mois) et Trezeguet (10 ans et 2 mois).

Tous les internationaux à plus de dix ans de carrière (septembre 2024)