Coéquipiers au CA Vitry, dans les rangs duquel ils ont été champions de France FCAF en 1912 (en battant la Vie au Grand Air du Médoc, de Bordeaux), exerçant le même métier, coéquipiers en équipe de France, lors d’un match de 1912 gagné 4-3, Etienne Jourde et Henri Viallemonteil ont cependant été des joueurs très différents : l’un, besogneux et vaillant mais peu talentueux, l’autre brillant et doué, mais inconstant.
Etienne Jourde était l’aîné : il est né le 13 août 1891. Il a intégré la CA Vitry dès 1909, au moment du passage du club de l’USFSA à la FCAF, qui lui permit de jouer les premiers rôles, et il n’avait pas 19 ans lorsqu’il enleva le titre national, en 1910, ainsi que le Trophée de France du CFI (qui opposait les champions des différentes fédérations composant le CFI, USFSA exclue bien évidemment, du moins jusqu’en 1913). Cela lui ouvrit les portes de l’équipe de France estampillée CFI dès avril 1910. Son atout est la polyvalence : en 8 sélections, il a joué 3 fois inter (droit ou gauche), trois fois ailier (gauche) – en dépit de sa lenteur – et deux fois avant-centre, ces postes étant très différents, dans la tactique du 2-3-5.
Etienne Jourde le 21 mai 1910 sous le maillot du CA Vitry (assis, le quatrième en partant de la gauche) (photo agence Rol, BNF Gallica)
Etienne Jourde, blessé deux fois à la cuisse pendant la Guerre
Barré à l’avant-centre par Eugène Maës, à l’inter par Louis Mesnier ou Ernest Gravier, à l’aile par Marcel Triboulet puis Raymond Dubly, Jourde a quand même trouvé le moyen de se faire sa petite place, sans enthousiasmer, sans décevoir non plus. Son meilleur match fut celui où sa sélection avait été la plus décriée (par les journalistes nordistes chauvins qui voulaient Albert Eloy à sa place), et peut-être à cause de cela : face aux Belges, en janvier 1914, il marqua deux buts (l’un ayant été attribué à tort à Henri Bard [1]) et en donna un autre, lui qui jusqu’alors n’avait jamais réussi à scorer ni à délivrer de passe décisive !
Durant la Guerre, il fut deux fois blessé au même endroit (la cuisse droite), et affecté à l’aviation encore balbutiante. C’est à l’occasion d’un stage de formation à la base de Cazaux qu’il décida de se fixer en Aquitaine et de quitter pour toujours Paris. Breveté pilote, on trouve en août 1918 cet entrefilet sur Sporting : « L’international Jourde, qui pilota sur le front un B11 fut il y a peu de temps descendu entre les lignes. Grâce à son sang-froid il put se sortir pas trop amoché de ce mauvais pas. Il a juré de faire payer cher aux Boches cette mésaventure ; indiquons en passant qu’il a déjà deux Boches à son actif. »
Il prit licence à La Vie au Grand Air du Médoc, la même équipe qu’il avait battue en 1910, animée par les frères Gasqueton. Lors de la Coupe de France 1920 (rappelons que la fondation de la FFF, par fusion des fédérations composant le CFI, avait entraîné la disparition de la FCAF), la VGAM parvient jusqu’au stade des demi-finales, après avoir éliminé Montpellier, puis le CASG parisien, et y affronte le CAP. Jourde joue ce match, qui élimine les Bordelais (1-2), il y a trois frères Gasqueton dans l’équipe !
Etienne Jourde, qui habite Arcachon, et s’est reconverti dans la vente des vins et spiritueux (il était photograveur à Paris), s’est marié et a eu une petite fille, est malheureusement brutalement fauché par la Camarde à 30 ans à peine, le 20 octobre 1921, à la suite d’une opération d’urgence qui tourne mal : un article nécrologique paru dans le Ballon Rond le 29 octobre explique les circonstances de ce décès prématuré.
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Le Ballon Rond du 29 octobre 1921 (BNF, Gallica)
Viallemonteil, comparé à Sindelar ou Scarone
Henri Viallemonteil, pour sa part, est né le 2 avril 1892 à Paris ; il a débuté à l’Etoile Sportive du XIIIème avant de passer au CA Vitry pour la saison 1911-12. Il a souvent été d’abord appelé Vial, jusqu’à ce que Félix Vial devienne titulaire dans le même club ; puis Vialmonteil, le tout pour l’unique raison que son nom était trop long … D’un gabarit plus léger que Jourde, (1,63 m), Viallemonteil était très doué techniquement ; pour preuve, L’Auto, en janvier 1936, liste les meilleurs feinteurs du football international. Eh bien Viallemonteil y figure, à côté de stars comme Matthias Sindelar l’Autrichien, Hector Scarone l’uruguayen ou Raimundo Orsi l’argentin !
C’est aussi un passeur décisif génial, opérant en retrait de la ligne d’attaque, mais il est en outre tout à fait capable de marquer. On le qualifie, en 1912 d’« extraordinaire Viallemonteil, au jeu scientifique », tout juste concède-t-on qu’il peut « décevoir ses partisans par sa lenteur, son jeu sur place », en 1913. Dans l’hebdomadaire Le Plein Air, on lui reproche même ouvertement de se « croire arrivé » et de succomber à la tentation du jeu personnel : « extrêmement confiant dans sa science du dribbling, il passe un, deux adversaires, mais en trouve toujours un troisième ou un quatrième pour lui barrer le chemin. Et rien à faire pour lui faire entendre raison ! »
Le CA Vitry le 3 novembre 1912. Henri Viallemonteil est accroupi, le quatrième en partant de la gauche (photo Agence Rol, BNF Gallica)
Sa carrière internationale, qui a débuté brillamment en 1911 en marquant un but aux Luxembourgeois, puis un autre aux Italiens, plus deux passes décisives, patine. Mais son apport reste sensible : en 6 sélections, il ne connaît la défaite qu’une fois, ce qui, pour l’équipe de France à cette époque, est assez exceptionnel. Viallemonteil n’a joué qu’une fois aux côtés de Jourde, en mars 1912, pour la mémorable victoire à Turin, 4- 3, et le jeu des deux hommes était très complémentaire.
Une chute de cheval qui lui évite les combats
Une chute de cheval, en avril 1913, casse à la fois sa jambe et sa carrière. On craint même qu’il ne puisse plus jamais rejouer. La fracture mettra beaucoup de temps à se consolider, ce qui n’a pas que des inconvénients , car Viallemonteil, du coup, échappe au service militaire : il est ajourné, puis il échappe à l’affectation au front, toujours parce que la cal osseux de sa jambe droite inquiète le conseil de révision, pour être versé (ou planqué…) dans les services auxiliaires ; et enfin il peut retrouver les terrains (il est gaucher…), en passant de club en club, comme le permet le règlement du CFI pendant la Guerre : Red Star, CAP, Club Français…
On le revoit alors partout, et même en équipe de France, face à la Belgique en mars 1916, aux côtés des Darques, Bard et Triboulet : le match est perdu (1-4), mais qu’importe. Pour Viallemonteil, c’est une période faste, puisqu’il échappe aux dangers de la Guerre et il peut rejouer tant qu’il veut, sa jambe tient. A la fin du conflit, Viallemonteil retrouve son vieux club de Vitry, aux couleurs vert et or, où, un peu épaissi et de plus en plus lent, on peut encre le voir distiller ses passes jusqu’en 1922. Photograveur, il travaille désormais pour le Miroir des Sports, dont chacun peut encore apprécier aujourd’hui la qualité des photos, qui contribuait beaucoup au succès de cet hebdomadaire dans l’entre-deux guerres.
Henri Viallemonteil est mort très brusquement (accident cardiaque ?), chez lui (et non à l’hôpital) le 16 janvier 1937, il n’avait même pas 45 ans…
Les 8 matchs de d’Etienne Jourde avec l’équipe de France
Sel. | Genre | Date | Lieu | Adversaire | Score | Tps Jeu | Notes |
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1 | Amical | 03/04/1910 | Gentilly | Belgique | 0-4 | 90 | plus jeune capitaine |
2 | Amical | 16/04/1910 | Brighton | Angleterre | 1-10 | 90 | |
3 | Amical | 15/05/1910 | Milan | Italie | 2-6 | 90 | |
4 | Amical | 30/04/1911 | Bruxelles | Belgique | 1-7 | 90 | |
5 | Amical | 17/03/1912 | Turin | Italie | 4-3 | 90 | |
6 | Amical | 25/01/1914 | Lille | Belgique | 4-3 | 90 | 2 buts, 1 passe décisive |
7 | Amical | 08/03/1914 | Saint-Ouen | Suisse | 2-2 | 90 | |
8 | Amical | 31/05/1914 | Budapest | Hongrie | 1-5 | 90 |
Les 6 matchs de de Henri Viallemonteil avec l’équipe de France
Sel. | Genre | Date | Lieu | Adversaire | Score | Tps Jeu | Notes |
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1 | Amical | 29/10/1911 | Luxembourg | Luxembourg | 4-1 | 90 | 1 but |
2 | Amical | 28/01/1912 | Saint-Ouen | Belgique | 1-1 | 90 | |
3 | Amical | 18/02/1912 | Saint-Ouen | Suisse | 4-1 | 90 | 1 but, 1 passe décisive |
4 | Amical | 17/03/1912 | Turin | Italie | 4-3 | 90 | |
5 | Amical | 12/01/1913 | Saint-Ouen | Italie | 1-0 | 90 | 1 passe décisive |
6 | Amical | 16/02/1913 | Bruxelles | Belgique | 0-3 | 90 |