Les premiers Bleus : Gaston Brébion, dont le frère s’appelait Gilbert

Publié le 9 février 2024 - Pierre Cazal

Encore une modification à faire dans les archives de l’équipe de France : le défenseur Brébion, une sélection en 1909 contre l’Angleterre, ne se prénommait pas Gilbert (son jeune frère, né neuf ans avant lui) mais bien Gaston.

Cet article fait partie de la série Les premiers Bleus
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Qu’est-ce qu’une chronobiographie ?

Gilbert ou Gaston ? Une ou deux sélections ? Comme beaucoup d’autres « Premiers Bleus », Brébion est concerné par cette double problématique, celle de l’identité et celle de la carrière internationale.

1992 est une date charnière, à cet égard, car ce fut l’année de la grande révision, ou du grand nettoyage, des données statistiques entérinées jusque-là sans trop se poser de questions. En 1992, donc, Brébion se vit retirer une sélection : auparavant, il était crédité des deux matchs joués par le CFI en mai 1909, à quinze jours de distance, contre la Belgique (2-5) à Bruxelles, puis l’Angleterre à Gentilly (0-11). Et dorénavant, il ne conserve plus que le second des deux matchs.

Que s’est-il passé ? Tout simplement que les statisticiens, de 1909 à 1991, se sont contentés d’une seule et unique source de documentation, à savoir L’Auto. Pour ceux qui ignorent tout de la bibliographie sportive, L’Auto (Auto-Vélo d’abord), imprimé sur papier jaune (d’où la maillot jaune du Tour de France, comme est rose celui du Giro, parce que la Gazzetta dello Sport est imprimée sur papier rose) était, à l’instar de L’Equipe aujourd’hui , la « Bible » des sportifs (c’est le même journal, sauf qu’il a dû changer de titre à la Libération) : une Bible par définition infaillible.

Attention aux compositions d’avant-match !

Sauf que L’Auto n’a pas envoyé de journaliste pour couvrir le match de Bruxelles, n’a pas publié de compte-rendu d’après-match indiquant les compositions des équipes ayant joué. Mais il avait publié la composition de l’équipe de France prévue AVANT le match ; faute de mieux, les statisticiens ont parié que c’était la même qui avait joué… Avec un peu d’attention, ils auraient pu noter que, le jour même du match, L’Auto précisait sans commentaire que Tossier prenait la place de Brébion… mais l’entrefilet était si modeste, deux lignes perdues en haut de page, que personne ne l’a remarqué.

Leçon à retenir pour tout apprenti statisticien : ne jamais se fier aux informations d’avant-match, privilégier celles d’APRÈS-match. Mais quand il n’y a pas d’information d’après-match disponible, que fait-on ? On en cherche dans d’autres journaux : leçon numéro deux, ne jamais se contenter d’une seule source, croiser les informations, pour vérifier. Or, il se trouve qu’un journal, un hebdomadaire, a publié un compte-rendu d’après-match fiable, puisque signé de Charles Simon en personne, président du CFI : Les Jeunes, et cet article comporte la formation exacte de l’équipe de France ayant joué à Bruxelles. On y trouve la confirmation que Tossier a bien joué ce match à l’arrière, et il n’y a nulle trace de Brébion.

  • Les Jeunes du 29 mai 1909 (BNF Gallica)

Par contre, L’Auto a chroniqué le match de Gentilly contre l’Angleterre, et le compte-rendu d’après-match mentionne Brébion. Ce qui est confirmé par le compte-rendu paru dans Les Jeunes, du reste, très développé. On est donc en mesure d’affirmer que c’est bien Brébion, cette fois-ci, qui a joué. Ce n’est nullement précisé, mais il semble bien que Tossier ait dû suppléer Brébion contre les Belges en raison d’une absence de permission militaire, car il était alors sous les drapeaux et les perm’ n’avaient rien d’automatique : en cumuler deux à quinze jours de distance n’était pas envisageable, d’autant que l’armée française n’avait d’accord qu’avec l’USFSA, et pas avec le CFI…

Au passage, que nous disent les compte-rendus de la performance de Brébion ? Eh bien ils ne sont pas flatteurs. L’Auto décrète : « Le point faible du onze cfiste est la défense, dans la première mi-temps particulièrement, ils (les arrières) réussirent même deux buts contre leur camp. Dans la deuxième, ils se ressaisirent et furent passables » ; et il ajoute, cruellement, à propos du grand gardien Tessier : « ses arrières le gênèrent souvent… » Les Jeunes, pour sa part, confirme que « dans l’énervement du début, ils ont commis des fautes graves », sans distinguer Brébion de Sollier, son compère ; et concernant plus particulièrement Brébion, il est précisé que « ses dégagements sont faits sans but pour le service de l’équipe », comprendre qu’il dégage n’importe où…

  • L’Auto du 23 mai 1909 (BNF Gallica)

S’étonnera-t-on, dans ces conditions, que Brébion n’ait jamais été resélectionné ? En ce qui concerne les buts contre leur camp, si celui de Sollier semble avéré (il « dévisse » un dégagement, sous la charge de Woodward, auquel le but est traditionnellement attribué, dès la 4ème minute de jeu), il n’en va pas de même pour Brébion ; mais il n‘est pas impossible que, deux buts au moins étant attribués à Stapley de la tête, l’un d’eux ait pu, toujours sous la charge, être l’œuvre de Brébion.

Un G qui veut dire Gaston

Venons-en à l’identité. Longtemps, il a fallu se contenter d’une initiale, G .Brébion, attestée dans L’Auto dès 1905. Puis, les annuaires de la FFF, dépourvus jusqu’alors de prénoms dans leurs listings (appelés : Tableau d’Honneur des Joueurs, comme au Lycée avant 1968, pour ceux à qui ça dit encore quelque chose…), se sont mis, au début des années 1970, à en mentionner. G. Brébion devint alors Gilbert Brébion… et le resta jusqu’à aujourd’hui, même si, sur certains sites, apparut un autre prénom, Gaston, qui commence par la même initiale !

Il n’est pas difficile de trancher, avec les sources dont on dispose actuellement. Les fiches militaires confirment bien l’existence d’un Gilbert Brébion parisien (puisque le joueur évoluait à l’Etoile des Deux-Lacs, un patronage parisien) ; mais elles précisent que Gilbert Brébion était né en 1896 ! International à 13 ans, en 1909, c’est quand même un peu précoce. Donc, une croix sur Gilbert ! Et sur Gaston ? Le fichier militaire nous dit qu’un Gaston Brébion est né le 20 mai 1887 à Paris, dans le 16e arrondissement, il avait donc 22 ans en 1909, ce qui est tout de même plus cohérent. Mais ce n’est pas tout : en regardant de plus près, on s’aperçoit que Gaston et Gilbert sont frères ! Et que tous deux ont joué à l’Etoile des Deux Lacs.

Gaston (en toutes lettres) y est attesté en 1905, et on trouve, dans Les Jeunes en janvier 1906, cette mention, à propos d’une sorte d’ultra-trail organisé par la FGSPF (course, lancer, saut, cyclisme, escalade, escrime !) que Gaston Brébion (en toutes lettres encore) a totalisé 100 points. C’est donc un athlète complet, dont le style est ainsi décrit en avril 1905 : « Brébion, 18 ans, vient de la seconde équipe où il occupait la place d’arrière gauche ; avec l’habitude de jouer à la place qu’il occupe actuellement à droite, deviendra un très bon joueur » (rappelons que les deux postes ne sont pas les mêmes : arrière fixe, à droite, volant, à gauche).

En avril 1906 : « Brébion, 19 ans, trapu, est monté l’an dernier dans la première équipe où il joue back. Joue la balle, souvent avec la tête, n’a peur de rien, arrête bien, et sec. » En mars 1909 : « shoot puissant, a pourtant le tort de dribbler trop loin de ses buts », car on sait que Brébion était assez offensif, tirant les corners, et même tirant au but. Son frère Gilbert est également attesté, mais sans commentaire : il prend sa licence en janvier 1908, il n’a pas encore 12 ans ; il est équipier premier en 1913. Quant à Gaston, il n’apparaît brutalement plus dans les équipes de l’EDL après 1910, sa place est prise par Romano. Que s’est-il passé ?

Réformé en 1915 pour problèmes cardiaques

L’explication se trouve peut-être dans son dossier militaire : atteint d’endocardite rhumatismale et d’hypertrophie cardiaque, Gaston Brébion est réformé en 1915, et versé dans un escadron du « train des équipages », c’est-à-dire l’intendance en 1917. A la fin de la Guerre, il se fixe à Montpellier, et le football est évidemment terminé pour lui, il l’était même peut-être déjà bien avant. Il n’est jamais revenu à Paris, décédant le 21 septembre 1970 à La Garde, dans le Var. Par contre, on trouve trace de son frère Gilbert, dans l’équipe de l’Etoile des Deux Lacs et de son régiment (74ème d’Infanterie) encore en janvier 1916.

Il apparaît donc que les deux frères ont été confondus a posteriori, quand il s’est agi de compléter le tableau d’Honneur des Internationaux dressé dans les annuaires fédéraux, en mentionnant les prénoms. Rendons par conséquent ici à César ce qui appartient à César, et à Gaston ce qui n’appartient pas à Gilbert !

Le seul match de Gaston Brébion avec l’équipe de France

Sel.GenreDateLieuAdversaireScoreTps JeuNotes
1 Amical 22/05/1909 Gentilly Angleterre 0-11 90

Entre 1904 et 1919, 128 internationaux ont porté au moins une fois le maillot de l’équipe de France. Si leur carrière internationale est la plupart du temps anecdotique, leur vie est souvent romanesque.

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