Histoires olympiques : 1952-1980, le soleil se lève à l’Est

Publié le 26 juillet 2024 - Pierre Cazal

S’il est un terrain où la Guerre froide a été gagnée par les pays du bloc communiste, c’est bien celui des JO, et en particulier du tournoi de football, propriété exclusive de l’Europe de l’Est pendant près de trente ans.

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Entre 1952 et 1980, le tournoi olympique connaît une hégémonie des pays du « Rideau de fer », c’est-à-dire tombés sous l’occupation de l’Armée Rouge, puis sous le totalitarisme soviétique entre 1945 et 1949. Pendant huit éditions successives, le vainqueur du tournoi de football sera la Hongrie (1952, 1964 et 1968), l’URSS (1956), la Yougoslavie (1960) - qui n’est pas inféodée à Moscou, mais sous régime communiste - la Pologne (1972) la Tchécoslovaquie (1980) ou enfin l’Allemagne de l’Est (1976), séparée du reste de l’Allemagne en 1949 et sous régime communiste, qui a disparu en 1990 lors de la réunification de l’Allemagne.

Même les finalistes appartenaient au même groupe politique, à la seule exception du Danemark en 1960. Autrement, on retrouve la Yougoslavie deux fois (1952 et 1956), la Tchécoslovaquie (1964), la Hongrie (1972), la Pologne (1976), l’Allemagne de l’Est (1980), mais aussi la Bulgarie (1968). Seule, finalement, parmi les pays situés derrière le Rideau de fer, la Roumanie n’est jamais parvenue à se distinguer.

  • L’Equipe du 25 juillet 1952 (BNF, Gallica)

La règle 26 de la Charte olympique

Comment expliquer cette hégémonie inattendue ? Tout simplement par la règle 26 de la Charte olympique qui stipule qu’un athlète « ne doit pas être ou avoir été professionnel » pour pouvoir concourir aux Jeux olympiques, quel que soit son sport. Or, à partir des années 1950, les championnats britannique, italien, espagnol, français, portugais, suisse, mais aussi argentin, brésilien, chilien, uruguayen, mexicain, sont ouvertement professionnels, et ils seront rejoints dans les années 60 par les allemands, autrichiens, belges, hollandais, à la seule exception notable des pays scandinaves.

La règle 26 obligeait donc ces pays à présenter des sélections d’amateurs (plus ou moins authentiques), tandis que les pays du bloc de l’Est « fonctionnarisaient » leurs joueurs, prétendument membres de l’Armée, de la Police ou d’autres services publics : en clair, ces joueurs été payés pour jouer au football, détachés de leur administration, et a minima semi-pros dans les faits. Dans les faits, mais pas en théorie, présentés par leurs Fédérations comme des amateurs. Sans aucun contrôle du CIO, évidemment, qui n’osait pas les disqualifier dans un climat général de Guerre froide.

Cette situation créait donc une inégalité : les équipes présentées par les pays réellement amateurs n’ayant aucune chance de rivaliser, et de fait, laissant les pays du Rideau de fer truster les titres olympiques, et jusqu’aux podiums avec 5 médailles de bronze sur 8. Seuls la Suède en 1952, champion olympique sortant, l’Allemagne étonnamment unifiée en 1964 et le Japon en 1968 parvenaient à grappiller un accessit. Les pays d’Amérique du Sud délèguent aux Jeux de jeunes joueurs, qui n’ont pas encore signé de contrat professionnel ; certains sont talentueux, comme Mauro, Zozimo et Vava, qui jouent pour le Brésil en 1952 et seront champions du monde dix ans plus tard ; ou Gerson en 1960, mais ces équipes manquent de maturité et ne parviennent jamais à dépasser les quarts de finale , comme la France (1968, 1976), malgré le talent naissant d’un Platini, par exemple, qui se repose sur les membres du bataillon de Joinville, qui accomplissent leur service militaire.

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Coupe du monde et JO, un simple copier-coller

Les équipes de l’Est peuvent participer à la Coupe du monde et aux Jeux olympiques avec les mêmes joueurs, et ne s’en privent pas, comme on le voit en 1952 et 1954 avec l’équipe de Hongrie : l’équipe championne olympique à Helsinki et la finaliste à Berne sont identiques… à un élément près (Palotas remplacé par Toth). Mais ce ne sera pas le cas de l’équipe tchécoslovaque : celle qui atteint la finale de la Coupe du Monde 1962 n’a aucun joueur en commun avec celle qui perd la finale des jeux 1964, composée d’espoirs. Mais la plupart du temps, elles procèdent à un mixage entre des éléments chevronnés, qui ont joué des Coupes du monde ou des championnats d’Europe, et des éléments d’avenir.

Examinons par exemple les équipes d’URSS qui ont joué les Jeux de 1956, la Coupe du monde 1958 et l’Euro 1960. Seuls cinq éléments communs entre 1956, où l’URSS gagne le tournoi olympique de Melbourne, et la Coupe du Monde 1958 en Suède où l’URSS atteint les quarts de finale : le fameux gardien Yachine, le défenseur Kuznetsov, les attaquants Somonian, Salnikov et Ilyine. Qu’en reste-t-il à l’Euro 1960, que l’URSS gagne ? Le seul Yachine. Il y a donc beaucoup de renouvellement, les Jeux servent souvent de test pour de jeunes joueurs avant d’être éventuellement alignés dans des compétitions jugées plus relevées.

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A partir de 1960, le championnat d’Europe est un banc-test

Avec la création du championnat d’Europe, qui se déroule donc la même année que les Jeux, mais deux mois avant, le processus est inversé. Par exemple, l’URSS joue la finale de l’Euro en juin 1972 (et la perd contre une très forte équipe d’Allemagne de l’Ouest), puis finit troisième des Jeux de Munich : cinq joueurs en commun (Rudakov, Istomin, Kaplichnyi, Khurtsilava, Kolotov), essentiellement des défenseurs chevronnés, mais l’attaque est entièrement modifiée, avec l’apparition d’une star prometteuse, l’ukrainien Oleg Blokhine. De même, la Yougoslavie est finaliste du championnat d’Europe 1960, puis championne olympique deux mois plus tard à Rome. Sept joueurs jouent les deux compétitions : Durkovic, Jusufi, Perisic, Zanetic, Knez, Galic et Kostic, mais les vieux briscards, comme le vétéran Zebec, ou la star Sekularac ont été laissés de côté pour Rome.

Dernier exemple : la Hongrie est troisième du championnat d’Europe 1964, puis championne olympique à Tokyo : cinq joueurs en commun aux deux équipes (Szentmihalyi, Novak, Ihasz et les jeunes Bene et Farkas), mais les briscards, là aussi, les Meszöly, Sipos, Albert, Fenyvesi, ont été écartés des Jeux. Il en irait de même si on analysait l’équipe de Pologne, gagnante aux Jeux de 1972, troisième de la Coupe du monde 1974 et finaliste des Jeux 1976.

Hégémonie européenne, mais pas mondiale

Maintenant se pose la question de la valeur intrinsèque de ces équipes de l’Est, qui ont trusté les titres olympiques. même si les effectifs ne sont pas identiques, comme on vient de le démontrer, il n’est pas inintéressant d’examiner ce que les équipes championnes olympiques ont pu donner lors des Coupes du monde, ou lors des championnats d’Europe, où elles se heurtent à des équipes professionnelles d’Europe de l’Ouest ou d’Amérique du Sud.

Premier constat : aucune d’entre elles n’a gagné la Coupe du monde entre 1950 et 1982. L’Uruguay (1950), le Brésil (1958, 1962, 1970), l’Argentine (1978), qui n’envoient que des équipes de jeunes aux Jeux, destinées à faire de la figuration au mieux, trustent les Coupes du monde, avec l’Allemagne (qui n’accède au professionnalisme qu’en 1963, mais bénéficiait auparavant d’un statut de semi-pro et n’envoyait que des amateurs aux Jeux) en 1954 et 1974 ; quant à l’Angleterre (1966) et à l’Italie (1982), l’amateurisme n’y existe plus réellement, de même qu’en France, du reste. Mais ces footballs professionnels démontrent leur supériorité sur ceux des « athlètes d’Etat » des pays communistes. La Hongrie (1954) et la Tchécoslovaquie (1962), au mieux, ont accédé à la finale ; la Pologne s’est classée troisième en 1974, la Yougoslavie et l’URSS quatrièmes seulement en 1962 et 1966.

Quant au championnat d’Europe, la compétitivité des pays de l’Est est certaine, puisqu’ils gagnent deux titres sur six, en 1960 (URSS) et 1976 (Tchécoslovaquie) et sont en finale en 1960 (Yougoslavie) 1964 (URSS), 1968 (Yougoslavie) et 1972 (URSS).

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On peut donc en conclure que le système des athlètes d’Etat en vigueur dans les pays du Rideau de fer a revalorisé le tournoi olympique, que la désertion des pays professionnels avait affaibli : les huit champions, de 1952 à 1980, sont des équipes de valeur, capables de jouer les premiers rôles dans les compétitions « open » de la FIFA, mais pas de gagner une épreuve mondiale comme la Coupe du monde, seulement une épreuve continentale comme le championnat d’Europe. Peu à peu, ces équipes en sont venues à considérer le tournoi olympique comme une sorte de laboratoire, de test pour leurs joueurs d’avenir ; par exemple, la Tchécoslovaquie, qui gagne le dernier tournoi dit amateur, celui de 1980, n’aligne que trois des titulaires de son équipe A, Vizek, Berger et Stambachr, cela lui suffit pour battre une équipe d’Allemagne de l’Est qui, elle, n’aligne aucun sélectionné A, hormis le gardien Rudwaleit.

Un tournoi dévalorisé par trop de déséquilibre

Ce qui aboutit dans les faits à dévaloriser à nouveau le tournoi olympique, si on compare la situation avec celle de 1952, où la Hongrie, la Yougoslavie et l’URSS avaient aligné leur meilleure équipe dans l’absolu. La victoire et la médaille d’or étant devenues au fil des années trop certaines pour ces pays, l’inégalité ainsi créée tellement évidente, que l’intérêt avait baissé. Le tournoi olympique était devenu un championnat des pays communistes, perdant toute sa signification en raison de l’opposition désormais obsolète du CIO à l’encontre du professionnalisme, la fameuse règle 26 de la Charte olympique.

Il fallait sortir de cette ornière, ce qui fut fait lors du Congrès olympique de Baden-Baden en 1981 : il est intéressant de remarquer que le naufrage du communisme, la suppression du Rideau de Fer, entre 1989 et 1991 aurait abouti à la fin du régime de fonctionnarisation des athlètes de ces pays, à leur accession au professionnalisme, mettant fin à l’inégalité ; mais en 1981 on était encore bien loin de se douter de cette chute, d’où les modifications radicales qui furent prises et dénaturèrent peut-être encore plus le tournoi olympique, surtout depuis 1992.
Ceci fera l’objet des deux derniers articles.

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