Les victoires de la France, en 1984, puis de l’URSS, en 1988, ne satisfont pas la FIFA, qui décide en conséquence de changer encore une fois les règles d’admission aux Jeux olympiques : en effet, la France avait gagné l’Euro en 1984 et l’URSS avait été finaliste de l’Euro 1988, les épreuves donnaient l’impression de doublonner, alors que la FIFA désirait donner davantage d’ouverture à cette compétition des Jeux, qui n’était pas la sienne et ne devait pas faire de l’ombre à la Coupe du monde ou à l’Euro. De plus, la règle était inéquitable, puisqu’elle ne restreignait que les équipes européennes et sud-américaines, alors que les autres avaient le droit d’aligner leurs meilleurs joueurs, même s’ils avaient déja participé à la Coupe du monde.
La seule variable d’ajustement restante apparut être l’âge, et il fut décidé que le tournoi olympique serait réservé à de jeunes joueurs, sachant qu’en Coupe du monde, la statistique démontre que près de 80% des sélectionnés ont plus de 23 ans : tout doublon était ainsi évité. Il existait un championnat d’Europe Espoirs, mais U21 et non pas U23. Pour quelle raison la FIFA a-t-elle choisi cette jauge des U23, on ne le sait pas précisément, les comptes-rendus officiels sont muets sur ce point, et le cotte est d’autant plus mal taillée qu’une exception a été introduite (à la demande de qui, et au bout de quelles tractations, on l’ignore également), permettant d’inscrire 3 joueurs de plus de 23 ans sur la liste des 18 (et pas des 22 ou des 26…).
Aucun autre sport olympique n’est dévalorisé ainsi
Pourquoi ? Pourquoi trois ? On se doute qu’il s’agit d’une concession, dans le but de permettre à quelques stars éventuelles de donner plus de lustre aux équipes… sauf que le tournoi olympique n’étant pas une « date FIFA », protégée en tant que telle, et obligeant concrètement les clubs des pays affiliés à mettre leurs joueurs à disposition des sélections nationales, les stars de plus de 23 ans (ou pas) doivent obtenir l’autorisation de leurs clubs, qui les refusent la plupart du temps. Conséquence : le tournoi olympique est une compétition de jeunes, dépendante du bon vouloir des clubs.
Aucun autre sport olympique ne subit un tel traitement, une telle dévalorisation.
Afin d’examiner la valeur des champions olympiques depuis 1992 jusqu’à 2020, il convient d’abord de récapituler les différentes finales : 1992, Espagne-Pologne (3-2), 1996 Nigeria-Argentine (3-2), 2000 Cameroun-Espagne (2-2, 5-3 aux tirs au but), 2004 Argentine-Paraguay (1-0), 2008 Argentine-Nigeria (1-0), 2012 Mexique-Brésil (2-1), 2016 Brésil-Allemagne (1-1, 5-4), 2020 Brésil-Espagne (2-1) et Espagne-France (5-3) tout récemment en 2024.
Les cartes sont rebattues
Premier constat : une rupture quasi-totale par rapport au passé. Aucun pays de l’Est au palmarès, alors que Hongrie, URSS, Yougoslavie, Pologne, Tchécoslovaquie, Allemagne de l’Est, Yougoslavie étaient présents en nombre depuis 1952 ; l’éclatement des pays communistes y est sans doute pour quelque chose, mais pas à ce point-là. On se souvient que leur hégémonie provenait de leur statut de professionnels déguisés : maintenant que toutes les équipes sont professionnelles, même U23, l’avantage des pays de l’est a disparu. Ceci dit, Belgique (championne olympique 1920), Uruguay (1924 et 1928), Italie (1936) et Suède (1948) ne se portent pas mieux, les cartes sont totalement rebattues.
Quant à l’équipe de Grande-Bretagne (1908 et 1912), seule reconnue par le CIO, elle n’existe pas professionnellement. La preuve : l’équipe d’Angleterre, championne d’Europe U21 pour 2023, théoriquement qualifiée pour les Jeux (les 4 demi-finalistes des championnats d’Europe sont automatiquement qualifiés pour les JO) a déclaré forfait pour l’édition parisienne de 2024, car elle ne peut représenter à elle seule la Grande-Bretagne, et les autres composantes, Ecosse, Galles et Irlande du Nord ne se sont pas mises d’accord pour participer aux côtés des Anglais.
Le grand retour du Brésil et de l’Argentine
Second constat : le retour en force de l’Amérique du Sud… hormis l’Uruguay, pourtant deux fois champion olympique à l’époque où n’existait pas la Coupe du monde. L’Argentine, finaliste en 1928, avait totalement disparu depuis et s’impose deux fois, de même que le Brésil, inexistant au palmarès olympique sauf en 1984 (finaliste). Ces deux pays sont également présents au palmarès de la Coupe du monde (Brésil gagnant en 1994 et 2002, finaliste 1998, Argentine gagnante en 2022 et finaliste en 2014), et de la Copa América. Ils confirment ainsi la bonne santé de leur football : la nouvelle règlementation les avantage. Exception confirmant la règle, en 2024 : l’Argentine, pourtant forte de ses champions du monde Otamendi et Alvarez, n’a pas dépassé le stade des quarts de finale, éliminée d’un poil par la France.
Une percée africaine à confirmer
Troisième constat : l’émergence de l’Afrique, que souhaitait la FIFA, avec le Nigeria et le Cameroun. Mais elle ne s’est pas confirmée après 2008. L’Afrique était présente en force, pour 2024 : Egypte, Guinée, Mali, Maroc participaient et étaient versés dans des groupes différents, ce qui donnait donc quatre chances à l’Afrique. Si le Maroc, médaillé de bronze, et l’Egypte se sont hissés en demi-finales, l’Afrique plafonne et attend toujours son troisième champion olympique. Le Mexique est aussi un vainqueur surprise, en 2012, d’autant qu’il a réussi à battre une sélection brésilienne qui comportait Thiago Silva et Neymar ! Mais la Concacaf n’est représentée, cette année, que par la modeste équipe de la République Dominicaine. Les autres Confédérations n’ont pas réussi à hisser une leurs équipes en finale, le fossé reste large, comme en Coupe du monde ; mais le Japon a une chance à saisir en 2024, davantage que l’Irak, l’Ouzbékistan ou la Nouvelle-Zélande.
L’Europe disparaît de la carte olympique
Quatrième constat, l’effacement de l’Europe. À l’exception de l’Espagne, qui a gagné en 1992 et 2024 et disputé deux autres finales (2000 et 2020), aucun autre pays européen n’a plus gagné le tournoi olympique, alors que depuis 1936 toutes les médailles d’or étaient revenues à des pays européens : Italie (1936) Suède (1948) Hongrie (1952, 1964, 1968), URSS (1956 et 1988), Yougoslavie (1960) Pologne (1972) Allemagne de l’Est (1976) Tchécoslovaquie (1980) et France (1984).
Comment cela se fait-il ? Tout simplement parce que les clubs professionnels des pays comme l’Angleterre, l’Allemagne, l’Italie rechignent à mettre leurs joueurs à disposition des équipes nationales olympiques, n’y étant pas obligés par la FIFA ni par leur fédération (ce qui est le cas en Espagne…). L’Italie a gagné 5 fois le championnat d’Europe U21, qualificatif pour les Jeux, l’Allemagne 3 fois, mais on ne les voit pas au palmarès des Jeux…Il subsiste donc encore une forme d’inégalité, liée à la politique des fédérations et des clubs, qui impacte le tournoi olympique, cette fois-ci au détriment des pays européens, en raison des puissants intérêts financiers des clubs.
L’exception espagnole s’explique par son école de football unique en Europe, qui produit à jet continu de jeunes équipes joueuses et techniques, et on en a eu encore confirmation à Paris. Elle a brillamment gagné 5-3 en battant la France grâce à son jeu collectif et à un super joueur, Fermin Lopez, dont on entendra certainement reparler.
Un fossé entre l’équipe de France A et les olympiques
Cinquième et dernier constat : la faillite du football français. Rien de bien nouveau : à l’époque amateur, le stade des quarts de finale constituait déjà un plafond (1924, 1968, 1976), et le succès de 1984, il faut bien l’avouer, totalement inattendu, fut accidentel. Depuis 1992, l’équipe de France n’a guère brillé : quart de finale en 1996, élimination au premier tour en 2020, et le reste du temps, élimination lors des qualifications, c’est-à-dire lors des championnats d’Europe U21, où la France n’a jamais atteint la finale, et encore moins gagné (ce qu’elle avait fait en 1988, mais c’était avant le changement de règlement).
Il existe un fossé entre les performances de l’équipe de France A, qui accumule alors les trophées (Coupe du monde, Euro, Coupe des Confédérations, Ligue des nations) et celles de ses équipes de jeunes, qui restent bredouilles. Et, si la France participe aux jeux de Paris 2024, c’est uniquement en tant que pays hôte, qualifié d’office, et non sur le terrain, puisqu’elle n’a pas atteint le dernier carré, qualificatif, aux derniers championnats d’Europe U 21 de 2023. Pour les jeux de 2024 à Paris, au lieu de décréter l’union sacrée, c’est une sélection composée de bric et de broc, à la suite d’une cascade de refus des clubs professionnels, étrangers surtout, qui défendra les couleurs françaises ; les Mbappé ou Griezmann, pourtant volontaires, ont été bloqués par leurs clubs respectifs, et les trois joueurs de plus de 23 ans, qu’autorise le règlement, ne seront nullement des stars, Lacazette étant le plus connu d’entre eux.
Autant dire qu’une victoire aurait été accidentelle… et cependant on n’en est pas passé loin. Les Bleus ont arraché leur qualification pour la finale en battant l’Argentine, pourtant plus forte (1-0), puis l’Egypte après prolongations (3-1), et opposé une belle résistance à l’équipe d’Espagne, arrachant là encore une prolongation (3-3, puis 3-5).
Mais le problème de fond reste que le football français mise sur la qualité athlétique des joueurs et non sur leur créativité (Michael Olise était l’exception, dans l’équipe olympique), et propose un football de combat. Le constat est le même qu’en A, et la finale olympique a suivi le même schéma que la finale de la dernière Coupe du monde : surclassée techniquement par son adversaire, l’Argentine au Qatar, l’Espagne à Paris, l’équipe de France a réussi à l’énergie à remonter au score (3-3 à chaque fois), grâce à ses vertus dans le combat ; mais elle n’a pas gagné. Le mot d’ordre est qu’importe le beau jeu, la victoire seule compte… mais elle revient à l’adversaire, parce qu’il joue mieux. Cette philosophie pragmatique a montré ses limites, une fois encore.
Reste, pour finir, à évaluer le niveau des champions olympiques depuis 1992, en comparaison avec les vainqueurs des Coupes du monde, et même avec les précédents champions olympiques : le niveau a-t-il monté ou baissé ?
Des champions olympiques qui brilleront ensuite au niveau mondial
Il est évident qu’une équipe U23, même renforcée, ne peut pas rivaliser avec une sélection A, telle qu’alignée dans une phase finale de Coupe du monde. Par contre, quand on examine les compositions d’équipe, on s’aperçoit de la présence de joueurs qui, plus tard, se distingueront dans leurs sélections nationales A. Par exemple, en 1992, l’Espagne comprend des joueurs comme Pep Guardiola ou Luis Enrique, qui sont devenus des entraîneurs vedette aujourd’hui ; le Nigeria comprend une brochette de talents, comme Okocha, Kanu, Ikpeba, Oliseh ou West, qui se sont distingués tant en Coupe du monde qu’à la CAN ; le Cameroun comporte Eto’o.
Mieux, l’équipe d’Argentine 2008 comporte Messi et Di Maria, futurs vainqueurs de la Coupe du monde, plus Mascherano, Lavezzi, Riquelme, Gago… ; celle de 2004 comportait Heinze, Tevez. Enfin, le Brésil 2016 aligne Marquinhos et Neymar, celui de 2020, Dani Alves et Richarlison. L’équipe espagnole qui lui est opposée est quasiment celle qui jouera l’Euro et la Ligue des nations en 2021, avec Unai Simon, Pedri, Marco Ascensio, Olmo, Oyarzabal… Celle de 2024 comporte les Fermin Lopez, Baena, Cubarsi, Camello.
La qualité est donc là, et les équipes olympiques sont souvent des laboratoires où l’on prépare le futur des grandes équipes… sauf en France, toujours pour la raison déjà évoquée, à savoir le refus de trop de clubs de mettre leurs joueurs à disposition de la sélection olympique, plus marqué qu’ailleurs. Il y a donc globalement une baisse (de plus), mais cela dépend des éditions.
Pour terminer cette série de quatre articles, quel serait le podium des champions olympiques ?
– Médaille d’or, l’Uruguay 1924 : une équipe qui a sidéré l’Europe du football, qui n’avait jamais vu un tel football, offensif, créatif, virtuose.
– Médaille d’argent, l’Angleterre 1912, parce que cette équipe anglaise balayait tous ses adversaires à cette époque pionnière – et ce n’était même pas l’équipe professionnelle, largement supérieure.
– Médaille de bronze, la Hongrie 1952, celle des Puskas, Kocsis et compagnie, qui aurait dû gagner la Coupe du monde 1954…mais les Allemands étaient dopés, et il n’existait pas de test, à l’époque.
Comme on le voit, sur ce podium, surtout des équipes du passé, ce qui démontre bien à quel point le tournoi olympique a été dévalorisé. Plus près de nous, on citera l’équipe du Nigeria 1996 et celle d’Argentine 2008.
2024 n’a pas été un grand cru, parce que le Brésil n’était pas là, l’Allemagne non plus, et que la France n’a pas su composer une équipe dotée de suffisamment de talents pour pouvoir espérer gagner à domicile en produisant du jeu ; Mateta, en inscrivant à l’arraché cinq buts, a personnifié les valeurs de courage et de combat qui ont permis à cette sélection, jugée très modeste au départ, de gagner sinon le tournoi, du moins le cœur des Français.