Voici un rapide examen de la situation lors des 15 Coupes du monde auxquelles les Bleus ont participé. On prendra en compte les résultats obtenus dans l’année de la Coupe du monde, donc à partir de janvier, puisqu’avant l’édition du Qatar les phases finales se déroulaient entre fin mai et fin juillet ; par équivalence, pour 2022 on prendra en compte les résultats obtenus dans les six mois précédant la compétition, donc depuis le mois de juin.
L’examen donne ce qui suit :
1930
– Préparation : 6 matchs, 1 victoire (Belgique 2-1) 1 nul (Suisse 3-3) et 4 défaites (Portugal 0-2, Belgique 1-6, Tchécoslovaquie 2-3, Ecosse 0-2), un bilan négatif.
– Phase finale : 1 victoire (Mexique 4-1) et 2 défaites , Argentine et Chili 0-1). Le Mexique étant très faible alors (bien davantage qu’aujourd’hui, il n’avait disputé aucun match depuis 1928). Le battre n’avait rien de glorieux, il a d’ailleurs été étrillé 6-3 par l’Argentine et 3-0 par le Chili, de sorte que le parcours des Bleus, sans être humiliant, n’a rien de positif.
1934
– Préparation : 3 victoires ( Belgique 3-2, Luxembourg 6-1 , Pays-Bas 5-4) pour 2 défaites (Suisse 0-1 et Tchécoslovaquie 1-2), c’est plutôt positif ;
– Phase finale : un seul match éliminatoire, une défaite (Autriche 2-3). En apparence c’est négatif, mais dans la réalité il en va autrement : les Bleus ont poussé le mythique Wunderteam aux prolongations, et ont été battus sur un but scandaleusement hors-jeu, que tous les spectateurs (italiens) ont hué. C’est une défaite glorieuse, qui rehausse l’image de l’équipe de France.
1938
– Préparation : 2 victoires ( Belgique 5-3 et Bulgarie 6-1) , 1 défaite (Angleterre 2-4) , auxquelles on peut ajouter le 0-0 arraché plus que concédé aux champions du monde italiens en décembre 1937, formant un bilan mitigé.
– Phase finale : 1 victoire (Belgique 3-1) suivie d’une défaite éliminatoire (Italie 1-3), bilan là encore mitigé, mais en corrélation évidente avec ce qui précédait. La France avait déjà battu la Belgique en début d’année et si le 0-0 passa pour une performance, la réalité avait été que les Italiens avaient été très supérieurs, sans parvenir à battre un Di Lorto survolté. En juin, ils se montrèrent aussi supérieurs , mais Di Lorto fut moins heureux …
1954
– Préparation : 1 nul (Belgique 3-3) et une défaite humiliante (Italie 1-4), bilan très inquiétant ;
– Phase finale : 1 victoire (Mexique encore 3-2, en progrès par rapport à 1930, mais atomisé par le Brésil 5-0 !) et une piteuse défaite (Yougoslavie 0-1), qui vaudront aux Bleus une volée de bois vert dans les journaux…
1958
– Préparation : 2 médiocres matchs nuls (Espagne 2-2 et Suisse 0-0) ;
– Phase finale : l’épopée qu’on sait, menant à une troisième place inattendue conquise face aux Allemands (6-3) après une élimination en demi-finales par le Brésil (2-5) à dix contre onze en raison de la blessure de Jonquet , et de l’interdiction des remplacements à l’époque. La métamorphose de l’équipe s’explique par un joueur absent auparavant : Raymond Kopa, de retour d’Espagne.
1966
– Préparation : 2 matchs nuls (Italie 0-0 et URSS 3-3) , une défaite inquiétante (Belgique 0-3), un bilan pas fameux et une équipe qui doit se plier à une tactique nouvelle, le béton, pour laquelle elle n’est pas faite ;
– Phase finale : 1 nul (Mexique… encore ! 1-1) et deux défaites (Uruguay 1-2 et Angleterre 0-2, futur vainqueur). Un bilan négatif, un fiasco du béton suivi d’un petit « putsch » interne.
1978
– Préparation : 5 matchs , dont 4 victoires (Portugal 2-0 Brésil 1-0 Iran 2-1 Tunisie 2-0) pour un nul (Italie 2-2), bilan positif. Battre le Brésil de Zico et Rivelino n’est pas rien ! L’équipe dirigée par Hidalgo prouve qu’elle a du potentiel.
– Phase finale : 1 victoire (Hongrie 3-1) et deux défaites (Italie et Argentine 1-2). Bilan en apparence négatif, mais perdre face au futur vainqueur et à domicile de surcroît sur un penalty sévère (dont l’arbitre reconnaîtra a posteriori qu’il n’aurait pas dû le siffler et s’était laissé influencer par la foule en délire) n’a rien d’humiliant.
1982
– Préparation : 5 matchs , dont 2 victoires (Italie 2-0, le futur vainqueur, et Irlande du Nord 4-0, que les Bleus battront de nouveau en phase finale), 1 nul (Bulgarie 0-0) et 2 défaites (Pérou et Galles 0-1), bilan mitigé ;
– Phase finale : l’autre épopée, marquée par le match contre l’Allemagne (3-3) , avec ses pics émotionnels ; mais qui masque deux défaites pas très glorieuses , elles (Angleterre 1-3 et Pologne 2-3) , pas plus que le nul piteux obtenu face aux Tchèques (1-1). Les Bleus laissent filer la troisième place et, si l’on garde la tête froide , le bilan est très mitigé là encore : les Bleus sont capables du meilleur… mais sporadiquement.
1986
– Préparation : une victoire, et pas n’importe laquelle, face à l’Argentine de Maradona (2-0), futur vainqueur, un nul (Irlande du Nord 0-0), témoignant d’un potentiel évident, d’une équipe cette fois-ci mûre, et mûrie par les trophées (l’Euro 84, la Coupe Intercontinentale 85).
– Phase finale : 4 victoires (Canada 1-0, Hongrie 3-0, Italie 2-0, Belgique 4-2), 2 nuls, dont l’un glorieux (Brésil 1-1), un bilan ultra-positif , mais gâché hélas par la seconde défaite en demi-finales concédée face aux mêmes Allemands (0-2), sauvé cependant par la troisième place, cette fois-ci.
1998
– Préparation : 7 matchs , dont 3 victoires ( Espagne , Belgique et Finlande 1-0) , 2 nuls (Suisse 0-0 et Maroc 2-2) pour une défaite (Russie 0-1). Un bilan comptable positif mais qui montre une certaine stérilité offensive , caractéristique de la tactique d’Aimé Jacquet, ultra-défensive et pragmatique.
– Phase finale : la troisième épopée, avec le titre au bout, 6 victoires , dont on ne va pas rappeler le détail, certaines arrachées (Paraguay 1-0 au but en or, Croatie 2-1 grâce à un Thuram inspiré), mais la dernière, la victoire finale si glorieuse ( Brésil 3-0), pour un nul (Italie 0-0, qualification aux tirs au but). Difficile de rêver plus positif !
2002
– Préparation : 5 matchs dont 3 victoires ( Roumanie 2-1 Ecosse 5-0 Corée 3-2), 1 nul (Russie 0-0) et une défaite un peu alarmante (Belgique 1-2) : mais l’équipe dispose d’un tel potentiel, d’un palmarès enrichi par l’Euro 2000 et la Coupe de Confédérations 2001…
– Phase finale : le fiasco intégral, 1 nul (Uruguay 0-0) et 2 défaites (Sénégal 0-1 et Danemark 0-2), aucun but marqué, la surprise est totale . Qui attendait ça ?
2006
– Préparation : 3 victoires (Mexique 1-0 Danemark 2-0 Chili 3-1) pour une défaite (Slovaquie 0-1), un bilan plutôt positif, la confiance est là, quoique sans excès.
– Phase finale : après deux nuls poussifs (Suisse 0-0 Corée du Sud 1-1) viennent 4 victoires , de plus en plus convaincantes (Togo 2-0, Espagne 3-1, Brésil 1-0, Portugal 1-0), avant la douche froide d’une finale pas prise à bras le corps contre l’Italie (1-1) et gâchée par le coup de boule de Zidane et le tir au but sur la barre de Trezeguet, sans lesquels le bilan global aurait été tout à fait positif…
2010
– Préparation : une seule victoire contre le modeste Cota Rica (2-1), 1 nul médiocre contre la Tunisie (1-1) pour 2 défaites, l’une normale, contre l’Espagne (0-2), futur vainqueur, mais l’autre alarmante, contre la Chine (0-1). Bilan très négatif, personne n’attend rien d’une telle équipe…
– Phase finale : mais on n’attendait pas aussi mal, aussi bien sur le fond (un nul, Uruguay 0-0 encore, pour deux défaites, 0-2 contre le Mexique, cette fois-ci, et 1-2 contre l’Afrique du Sud) que sur la forme, avec l’incorrection d’Anelka et la grève de Knysna,, catastrophiques pour l’image de l’équipe de France.
2014
– Préparation : 3 victoires (Pays-Bas 2-0, Norvège 4-0, Jamaïque 8-0) et un nul (Paraguay 1-1), bilan positif ;
– Phase finale : 3 victoires aussi (Honduras 3-0, Suisse 5-2, Nigeria 2-0) , 1 nul (Equateur 0-0) , pour une défaite en quarts de finale contre l’Allemagne (0-1) pas très glorieuse, mais pas humiliante non plus , d’autant que l’Allemagne gagne le tournoi. Bilan là aussi positif , donc.
2018
– Préparation : 5 matchs dont 3 victoires (Russie 3-1, Eire 2-0, Italie 3-1), 1 nul (Etats-Unis 1-1) et une défaite (Colombie 2-3), pas jugée inquiétante. L’équipe, finaliste déçue de l’Euro 2016, est mûre et a du potentiel, on attend beaucoup d’elle.
– Phase finale : et elle ne déçoit pas. 6 victoires, 1 nul, avec pour points d’orgue les victoires contre l’Argentine (4-3), la Belgique si supérieure dans le jeu (1-0) et bien sûr la Croatie en finale (4-2). Le bilan global est ultra-positif, évidemment.
2022
– Préparation : 1 victoire (Autriche 2-0), 2 nuls (Croatie et Autriche 1-1) , mais aussi 2 défaites (Danemark 1-2 et 0-2), inquiétantes dans la mesure où le même Danemark sera opposé à la France au Qatar. Un bilan incontestablement négatif pour une équipe chamboulée par les errances tactiques de Deschamps, et dont les stars vieillissent…
Alors ?
On peut constater qu’il a existé dans le passé une continuité entre les résultats d’avant Coupe du monde et ceux obtenus pendant la phase finale, que ce soit dans la positivité, plus ou moins forte (1982, 1986, 1998, 2006, 2014, 2018) ou la négativité (1930, 1938, 1954, 1966, 2010) ; les cas de 1934 et 1978, un peu différents, moins tranchés , ne marquent cependant pas une rupture forte entre avant et pendant le tournoi mondial.
Restent donc deux cas (minoritaires , donc) de rupture forte, d’absence quasi totale de corrélation : l’un positif, et c’est 1958, l’autre négatif et c’est 2002. On notera qu’à chaque fois, cela a dépendu d’un seul joueur, un joueur dominant : Kopa en 1958, qui dynamise la ligne d’attaque, Zidane en 2002, dont l’absence plombe l’équipe… comme son expulsion en 2006, du reste.
Qu’en conclure pour le Qatar ? La dynamique d’avant tournoi est négative : inutile de nourrir de grandes illusions ; cependant Benzema, dont on peut espérer le retour après sa blessure, peut-il être le Kopa de 2022 ? Il ne nous reste qu’à le souhaiter…