Le foot est un sport qui se joue à onze. Enfin, au coup d’envoi. Parce qu’alors que tourne le chronomètre, au gré d’une blessure, d’une expulsion ou tout simplement d’un choix tactique de l’entraîneur, arrivent un douzième, un treizième et un quatorzième homme. Ceux-là sont pressés, ils n’ont que quelques dizaines de minutes, souvent moins, pour prouver qu’ils valent mieux qu’un cireur de banc. Invention récente dans le monde du football, le remplaçant a produit des moments tragiques ou inoubliables, de l’intérim sévillan de Patrick Battiston au coup de théâtre hollandais de Sylvain Wiltord en passant par l’offrande dyonisienne de Patrick Vieira.
Ces exemples-là sont ceux qui viennent immédiatement en mémoire quand on évoque les remplaçants chez les Bleus, mais le sujet est inépuisable. Du tout premier remplaçant au match qui en a compté le plus en passant par les gardiens de seconde main, les remplaçants remplacés, les buteurs, les précoces, les décisifs et ceux qui n’ont jamais été titulaires, il y a tant de choses à raconter qu’un seul article n’y aurait pas suffi.
Mais tout d’abord, si vous ne l’avez pas encore vu, faites le détour par le tableau des remplaçants.
Un certain Victor Denis
A quand remonte le tout premier remplacement de joueur en sélection ? Tout dépend de ce qu’on entend par remplacement. S’il s’agit d’un remplaçant qui entre en cours de partie à la place d’un autre joueur qui sort, il s’agit de Victor Denis, le 10 mai 1908. Ce jour-là, l’équipe de France toute neuve (elle n’existe officiellement que depuis quatre ans) joue le dixième match de son histoire. Ça se passe à Rotterdam, dans le stade de Kuip, là-même où les Bleus de Roger Lemerre triompheront 92 ans plus tard. Alors que les Hollandais mènent 2-0, le milieu de terrain Julien Denis simule une blessure. Le capitaine hollandais Karel Heijting donne son accord pour un changement, et c’est Victor, le frère de Julien, qui entre. Cas unique de changement au sein d’une fratrie ! Ça ne portera pas chance aux deux lascars : ils ne seront plus jamais convoqués en équipe nationale.
Auparavant, le 7 mai 1905, le gardien des Bleus Georges Crozier avait quitté la sélection en plein match contre la Belgique à la 65e minute. La raison ? Le malheureux devait prendre son train pour être de retour à temps à la caserne où il faisait son service militaire. Le défenseur Fernand Canelle prit sa place dans les cages et les Français terminèrent à dix (score final 0-7).
Il faudra attendre l’année 1924 pour voir les deux remplaçants suivants : Robert Accard à la place de Jean Boyer le 13 janvier à Buffalo contre la Belgique, et Pierre Chesneau à la place d’Albert Rénier le 4 juin au Havre contre la Hongrie.
Enfin, on signalera que lors du premier match joué par la France en coupe du monde, le 13 juillet 1930 à Montevideo, le gardien tricolore Alex Thépot fut percuté par l’attaquant adverse Dionisio Mejia et, complètement sonné, dut sortir à la 26e. Les remplacements n’étant pas encore autorisés en coupe du monde (ils ne le seront qu’après l’édition de 1958), c’est Augustin Chantrel qui s’installa dans les buts. Et le bougre se débrouilla plutôt bien, puisqu’il n’encaissa qu’un seul but, sans conséquence (victoire française 4-1).
Sortir du banc pour aller dans les bois
La spécificité du poste de gardien implique évidemment qu’un joueur prenne sa place en cas de blessure. En plus de Crozier en 1905 et Thépot en 1930, 17 gardiens sont entrés en cours de jeu. Cinq d’entre eux l’ont même fait deux fois : Raoul Chaisaz en 1932, à la place d’André Tassin contre la Yougoslavie le 5 juin et la Bulgarie le 9 juin (ce sont ses deux seules sélections), et François Remetter le 20 septembre 1953 à la place de Vignal à la 8e (coup de genou dans le visage sur le but d’Antoine Kohn) contre le Luxembourg et le 11 novembre 1953 toujours à la place de Vignal contre la Suisse (à la 22e, assommé).
Le troisième fut Dominique Baratelli, qui remplaça René Charrier en avril 1975 contre le Portugal à Colombes. Le même Baratellli remplaça Jean-Paul Bertrand-Demanes contre l’Argentine le 6 juin 1978, après que le gardien nantais se soit blessé au dos en retombant sur son poteau. C’est le seul gardien français à être entré en cours de match en coupe du monde.
Philippe Bergeroo, l’actuel sélectionneur des féminines, a remplacé Dominique Dropsy le 1er octobre 1979 à la mi-temps du match contre les Etats-Unis, puis Joël Bats en mars 1984 face à l’Autriche à Bordeaux.
Enfin, Stève Mandanda est lui aussi entré deux fois en cours de match, pour ses débuts en mai 2008 contre l’Equateur (à la place de Sébastien Frey) et contre la Serbie en 2009 après l’expulsion précoce d’Hugo Lloris à la 9e.
Douze autres gardiens sont entrés une fois en cours de jeu : dans l’ordre chronologique, ce sont Claude Abbes en 1958 (à la place de Dominique Colonna), Georges Lamia en 1959 (pour Colonna encore), Colonna en 1961 (pour Pierre Bernard), Marcel Aubour en 1965 (pour Bernard), Georges Carnus en 1967 (pour Daniel Eon), André Rey en 1979 (pour Dominique Dropsy), Jean-Luc Ettori en 1980 (pour Dropsy encore), Jean Castaneda en 1981 (pour Dropsy toujours), Bruno Martini en 1987 (pour Joël Bats), Bernard Lama en 1993 (pour Martini), Ulrich Ramé en 2000 (pour Fabien Barthez) et Richard Dutruel en 2000 (pour Lionel Letizi).
Une embrouille irlandaise signée Cisowski
Ce 11 novembre 1952 à Colombes face à l’Irlande du Nord se produisit un fait de jeu unique dans l’histoire des Bleus. L’attaquant Thadée Cisowski, touché aux ligaments, sort à la 23e minute. Il est remplacé, comme c’est autorisé en amical, par Jean Baratte. Trois minutes plus tard, le défenseur Antoine Bonifaci se claque et sort également. Plus de remplacement possible. Les Français sont à dix, mais à la 31e, alors que Ujlaki vient d’ouvrir le score, Thadée Cisowski reprend sa place...
Il est donc le premier et dernier, à ce jour, titulaire remplaçant de l’Histoire. Pour l’anecdote, la France a gagné 3-1 et sur la fiche du match, Cisowski est titulaire alors que Baratte est indiqué comme remplaçant de Bonifaci. Les Nord-Irlandais ont bien protesté, mais pour deux autres raisons : le fait que Baratte portait un maillot non numéroté, et que le deuxième but français, marqué par Kopa, était entaché d’une position de hors-jeu de Strappe, passeur décisif.
Les remplaçants remplacés
Ils sont onze à avoir eu le triste privilège d’entrer en jeu puis de sortir avant la fin du match. Le premier remplaçant à avoir été lui-même remplacé n’est arrivé qu’en 1970, contre la Suisse à Bâle. Il s’agit du Lyonnais Serge Chiesa, entré à la 70e à la place de Charly Loubet. Blessé, il sort à la 88e, cédant sa place à Bernard Blanchet.
Le deuxième est de loin le plus célèbre du lot. C’est Patrick Battiston, entré à la 50e minute d’un certain France-RFA à Séville, en 1982, à la place de Bernard Genghini. Dix minutes plus tard, lancé plein champ par Platini, il croise la trajectoire de Schumacher lancé en mode kamikaze. Christian Lopez le remplace à son tour, les Bleus évoluant une heure avec cinq défenseurs.
José Touré (en 1984 contre la Bulgarie, pour Stopyra puis par Tusseau), Jean-Pierre Papin (Koweït 1990, pour Cantona puis par Di Meco) et Christophe Dugarry (Pays-Bas 1996, pour Loko puis par Pedros) sont tous trois sortis sur blessure. William Gallas, qui a remplacé Sagnol en 2004 face à la Suisse, a laissé sa place à Boumsong à une minute de la fin.
David Trezeguet, lui, a succédé à Cissé qui venait de se casser le tibia contre la Chine en 2006, puis a été remplacé par Wiltord à six minutes du coup de sifflet final. Le cas de Samir Nasri en 2008 est un peu différent : contre l’Italie à l’Euro, il remplace Ribéry blessé dès la 10e, mais l’expulsion d’Abidal contraint Domenech de sortir un joueur offensif pour faire entrer Boumsong : Nasri ressort à la 26e après avoir passé un petit quart d’heure sur l’herbe.
Louis Saha en 2010 contre la Biélorussie n’a joué que dix grosses minutes après avoir remplacé Ménez : il se blesse et laisse sa place à Kevin Gameiro. L’issue est encore plus cruelle pour Clément Chantôme contre le Japon en 2012 : il entre à la mi-temps à la place de Matuidi, puis se blesse et sort à la 75e pour Gomis. Ce sera sa seule sélection.
Le tout dernier de la série, pour l’instant, est Antoine Griezmann en septembre 2015 au Portugal. Il supplée Fekir blessé dès la 13e, mais cède sa place à Giroud à deux minutes de la fin.
Les matches sans remplaçant
Pendant longtemps, les matches internationaux se sont terminés avec le même onze qu’au coup d’envoi. En amical, il était possible de changer un, voire deux joueurs (à partir des années 30) sur blessure. Avant guerre, on ne trouve que deux matches avec deux remplaçants : un Pays-Bas-France en janvier 1936, et un France-Espagne en avril 1933 à Colombes, où Jules Cottenier et Georges Verriest sont entrés tous deux à la 37e minute, le second remplaçant un joueur qui n’était en réalité pas blessé (Joseph Kaucsar). C’était donc le premier remplacement tactique de l’histoire de l’équipe de France... Même après-guerre, il n’y eu que 5 matches à deux remplacements, entre 1958 et 1968, et 25 matches avec un remplacement.
En compétition, aucun changement n’était autorisé jusqu’en 1958, même en cas de blessure. Après la coupe du monde en Suède, un remplacement était possible en cas de blessure uniquement pendant la première mi-temps. En 1967, cette restriction est levée, mais un seul changement est possible. Puis deux en 1976, et trois en 1995 (avec une étape en 1992 où il était possible de changer deux joueurs de champ plus le gardien). Il faut attendre l’année 1970 pour voir la généralisation des remplacements. Dès lors, les matches sans remplaçant deviennent extrêmement rares : on en compte seulement sept sur les quarante dernières années ! Contre 275 entre 1905 et 1970, soit pendant soixante-cinq ans...
Le tout dernier match sans remplaçant remonte au 25 mars 2011 pour un Luxembourg-France remporté 2-0 par les Bleus. Ce soir-là, Laurent Blanc n’a pas jugé utile de faire entrer des joueurs supplémentaires. Les deux précédents sont beaucoup plus anciens : le 10 septembre 1986 contre l’Islande, et le 21 août 1985 face à l’Uruguay.
Les matches avec le plus de remplaçants
C’est en 2004 que la FIFA a décidé de réglementer le nombre maximum de changements en match amical (six), après un Angleterre-Australie de 2003 au cours duquel le coach Sven-Goran Eriksson avait effectué onze changements à la mi-temps.
En France, le sélectionneur le plus consommateur de remplaçants est Jacques Santini. C’est avec lui qu’à deux reprises les Bleus ont joué à... 19, soit huit changements. Contre la Suisse le 20 août 2003, il fait ainsi appel à Pedretti et Marlet à la reprise, puis Pires et Sagnol à la 61e, Giuly et Cissé à la 70e, Boumsong à la 77e et Dabo à la 84e. Seuls Barthez, Silvestre et Lizarazu ont joué le match entier.
Six mois plus tard, le 18 février 2004 à Bruxelles contre la Belgique, même topo. Makelele remplace Dacourt dès la 18e, Lizarazu et Pires entrent après la pause, Marlet et Rothen à la 62e, Kapo à la 70e, Mexès et Boumsong à la 85e. Barthez, Thuram et Desailly sont les seuls à ne pas avoir été remplacés.
Entre 2000 et 2011, Roger Lemerre (3 fois), Jacques Santini, Raymond Domenech et Laurent Blanc ont procédé à sept changements (la règle de six n’était donc pas si stricte). Et 126 matches (tous amicaux) ont donné lieu à quatre, cinq ou six changements depuis 1975. C’est Stefan Kovacs qui, le premier, a fait entrer plus de trois joueurs, contre le Portugal à Colombes en avril 1975. Cet après-midi-là, Bernard Boissier est devenu à la 88e minute le premier « quatrième remplaçant » de l’histoire des Bleus.
A suivre...