En ces premiers jours du nouveau millénaire, la Fédération Française de Football est confrontée à quelques interrogations. L’équipe de France est championne du monde et d’Europe. Elle est sa fierté, son joyau, sa bête de compétition, mais elle se trouve contrainte de ne jouer, pendant deux ans, que des rencontres amicales (seule la Coupe des Confédérations en juin 2001 aura valeur de compétition). En qualité de tenants du titre, les Bleus sont qualifiés d’office pour la prochaine Coupe du monde, laquelle aura lieu au Japon et en Corée du Sud. La France est d’ailleurs la dernière sélection à profiter de ce privilège.
De ces premiers jours de 2001 et jusqu’à l’échéance mondiale asiatique, huit matchs à domicile sont programmés pour l’équipe de France : Allemagne, Japon, Portugal, Danemark, Algérie, Roumanie, Écosse, Belgique. La Fédération redoute que le public, gavé de victoires et toujours friand de compétition, en vienne à négliger ces matchs amicaux.
L’impératif du Stade de France
La solution, pour garantir un stade plein, serait bien entendu de faire jouer la sélection en province, là où l’équipe de France se rend trop rarement. La plupart des grandes villes ont désormais un stade d’envergure (héritage du Mondial 1998) et surtout un public qui ne demande qu’à assister ne serait-ce qu’une fois à une rencontre des Bleus, à plus forte raison quand ceux-ci sont au sommet.
Seulement, il y a un problème. Le Stade de France n’a pas trouvé de club résident, et l’équipe de France est l’un des seuls produits (avec Johnny Hallyday et Céline Dion) susceptible de remplir l’enceinte et d’en amortir le coût. Un impératif économique commande donc que l’équipe de France joue le plus souvent possible dans le stade du même nom et qu’elle y fasse le plein. Seule la rencontre France-Danemark en août 2001 sera disputée en province, en l’occurrence à Nantes.
C’est à l’agence parisienne Republic qu’est confiée la communication pour ces huit rencontres. Celle-ci sort l’artillerie lourde. Une campagne est créée qui porte l’intitulé « Les Bleus 2002 » avec un sous-titre choc : « A la Conquête d’une 2ème Coupe du monde ». L’agence définit ainsi les objectifs de sa campagne : « Créer une véritable dramaturgie autour des matches amicaux programmés avant la Coupe du monde 2002 » et « Fidéliser le public en lui proposant de partager et de vivre dès les matches de préparation, cette nouvelle aventure avec l’Équipe de France ».
Les Bleus en super-héros en mode Star Wars
En clair, sortir tambours et trompettes pour faire de chaque rencontre l’équivalent médiatique d’une finale mondiale. Les huit rencontres sont donc présentées dans le cadre d’une saga, qui a pour titre « Le choc des légendes ». Les affiches proposent un visuel proche de la science-fiction, avec fond bleu nuit constellé d’étoiles, et le logo « Les Bleus 2002 » inscrit dans un relief métallique argenté. Les visages des joueurs sont mis en valeur à la manière des super-héros appelés à sauver l’univers.
Quand à l’adversaire, il est visuellement représenté par un personnage emblématique du pays rencontré : un chevalier teutonique (l’Allemagne), un samouraï (Japon), un conquistador (Portugal), un viking (le Danemark)… C’est à ce moment que l’on commence à se demander si les communicants n’en font pas un peu trop. Faut-il encore et toujours user de la symbolique guerrière pour présenter une rencontre de football, sensée être amicale de surcroît ?
La remarque est devenue cruciale pour le match France-Algérie du 6 octobre 2001. Les deux sélections se rencontrent en effet pour la première fois et l’événement est censé rapprocher deux nations qui ont vécu une douloureuse séparation. La dimension guerrière est d’autant plus malvenue que le match se joue dans un contexte international extrêmement tendu, quelques semaines après les attentats du 11 septembre. L’affiche du match sort donc complètement du cadre de la saga, se contentant de jouer sur l’aspect géographique avec une carte rapprochant les deux pays par un ballon survolant le Méditerranée.
Exit les guerriers légendaires, place aux archétypes culturels
Le monde vient d’entrer dans une phase d’extrême tension. Les troupes américaines envahissent l’Afghanistan et le reste du monde reste sous la menace d’actes terroristes d’envergure. Ainsi les références à la guerre semblent-elles déplacées dans le cadre d’un match de football. Le « Choc des Légendes » fait alors place au « Choc des Cultures ». Ce sont en effet des personnages beaucoup plus pacifiques qui apparaissent sur les affiches : Un violoniste tzigane pour le match contre la Roumanie, puis un barde écossais, un cosmonaute russe (car un match contre la Russie s’est intercalé dans le calendrier) et enfin le Manneken Pis pour l’ultime rencontre contre la Belgique.
Sur le plan populaire, les huit rendez-vous du Stade de France sont un succès. Plus de 78 000 spectateurs de moyenne sont venus voir les Bleus (lesquels ont remporté sept des neuf rencontres concernées, marquant au passage 23 buts). Mais sur le plan de la communication, les affiches ont suscité beaucoup de railleries et de grincements de dents. Quant à l’objectif « A la Conquête d’une deuxième Coupe du monde », on ne reviendra même pas dessus.