Il a eu 35 ans le 19 décembre 2022. Etrange anniversaire. La veille, Karim Benzema aurait pu être champion du monde par procuration, puisqu’il figurait toujours sur la liste des joueurs de l’équipe de France. Mais finalement non. Le 19 novembre, à trois jours du France-Australie inaugural de la Coupe du monde au Qatar, il se blesse au quadriceps de la cuisse gauche et quitte le groupe le lendemain matin à l’aube. C’est la fin de sa carrière internationale, qu’il annoncera donc le 19 décembre. Et ce, Deux mois et deux jours après avoir gagné le Ballon d’Or, et sept mois après avoir conquis sa cinquième Ligue des Champions avec le Real.
On aurait pu se douter de cette issue hors piste. L’histoire de la Coupe du monde montre que personne n’a pu enchaîner lors de la même saison le plus grand trophée individuel du football et la plus prestigieuse compétition en sport collectif. Di Stéfano, Sivori, Eusébio, Rivera, Cruyff, Simonsen, Rummenigge, Platini, Van Basten, Baggio, Ronaldo, Owen, Ronaldinho, Messi et Cristiano Ronaldo deux fois : tous ont espéré cumuler les deux récompenses, tous ont échoué. En 2022, il n’y avait que deux mois d’intervalle, contre sept habituellement. Mais ça n’a rien changé pour Benzema, qui n’aura même pas pu jouer la moindre minute.
Voici le détail de ce qui est arrivé aux Ballons d’or décernés avant une Coupe du monde.
1958, Alfredo Di Stéfano (Real, Espagne, 1957) : premier tour sans jouer
Avec l’Espagne, il débute en janvier 1957 (argentin d’origine). En qualification, l’Espagne rencontre l’Ecosse et la Suisse, mais une défaite contre l’Ecosse l’élimine. En 1962, l’Espagne se qualifie pour le Chili mais Di Stéfano est blessé au premier tour quand l’Espagne est éliminée par le Brésil. Il ne jouera jamais en Coupe du monde.
1962, Omar Sivori (Juventus, Italie, 1961) : éliminé au premier tour
Lui aussi est un oriundo (argentin naturalisé italien). Avec l’Italie, il participe à sa première (et seule) Coupe du monde en 1962 au Chili. L’Italie est éliminée dès le premier tour, battue par le pays hôte. Il joue son dernier match international face à la Suisse.
1966, Eusebio (Benfica, Portugal, 1965) : demi-finaliste et meilleur buteur
Le Portugal, qui fait partie des vainqueurs annoncés, réussit un premier tour parfait malgré un groupe très relevé où il bat la Hongrie de Florian Albert (3-1), la Bulgarie puis le Brésil de Pelé, sorti sur blessure (3-1). En quart, le Portugal renverse la Corée du Nord (0-3, puis 5-3) avec un quadruplé d’Eusebio. Battus en demi-finale par l’Angleterre (1-2), les Portugais finissent troisièmes devant l’URSS (2-1). Eusebio est meilleur buteur du tournoi avec 9 buts. En décembre, il perd le Ballon d’or d’une voix, celle du juré portugais qui a voté pour Bobby Charlton.
1970, Gianni Rivera (AC Milan, Italie, 1969) : remplaçant en finale
L’attaquant du grand Milan, double vainqueur de la Coupe des clubs champions en 1963 et 1969, atteint la finale de la Coupe du monde au Mexique avec le titre de champion d’Europe des Nations 1968. La Squadra sort du premier tour malgré deux 0-0 contre Israël et l’Uruguay. En quarts, elle bat largement le Mexique (4-1) avec un but de Rivera. La demi-finale contre la RFA entre dans l’histoire : 1-1 à la fin du temps réglementaire avec une égalisation allemande à la dernière minute, prolongations. Là, le match devient fou. Les deux équipes marquent cinq buts, deux pour l’Allemagne et trois pour l’Italie, dont un de Gianni Rivera à la 11e alors que Gerd Muller vient d’égaliser. En finale, Rivera n’est pas récompensé. Valcareggi ne veut pas l’aligner aux côtés de Gigi Riva et il n’entre qu’à six minutes de la fin alors que le Brésil mène déjà 3-1.
1974, Johann Cruyff (FC Barcelone, Pays-Bas, 1973) : trop confiant en finale
A 27 ans, Cruyff est une immense star. L’Ajax règne sur l’Europe et lui a été transféré un an plus tôt à Barcelone. Les Pays-Bas sont favoris de la Coupe du monde en Allemagne, et remportent cinq matchs sur six, dont les champions du monde brésiliens (2-0) et l’Argentine (4-0). La finale semble une formalité, surtout quand Cruyff est séché dans la surface par Hoeness après une minute de jeu. Neeskens transforme le pénalty, mais paradoxalement, les Oranje sortent alors de la partie et la perdent par suffisance. Cruyff n’a jamais été lâché par Berti Vogts.
1978, Alan Simonsen (Mönchengladbach, Danemark, 1977) : le seul absent
Le minuscule attaquant du Borussia a créé la surprise en coiffant sur le fil devant Kevin Keegan et Michel Platini pour le Ballon d’or 1977. Mais c’est trop tôt pour les Danois en sélection, qui terminent loin derrière la Pologne de Lato (qualifiée) et le Portugal d’Eusebio (deuxième). Belle attaque (14 buts marqués) mais défense trop faible (12 buts encaissés). C’est la deuxième fois, après Di Stéfano en 1958, qu’un Ballon d’or ne joue pas la Coupe du monde suivante.
1982, Karl-Heinz Rummenigge (Bayern Munich, RFA, 1981) : après Séville, une finale de trop
Champion d’Europe avec l’Allemagne en 1980, Rummenigge fait peur en club comme en sélection. Mais en Espagne, il arrive en petite forme et malgré un bon premier tour et un triplé contre le Chili, il joue en pointillé le second tour et ne débute pas la demi-finale de Séville contre la France. Mais il rentre en prolongations alors que les Bleus ont pris l’avantage par Trésor. Il assiste au but de Giresse, mais il réduit le score très vite et remet la Mannschaft dans le sens de la marche. Il transforme son tir au but, le dernier de la série de la cinq. Il débute la finale avec le brassard mais doit sortir à vingt minutes de la fin, juste après le deuxième but italien marqué par Tardelli.
1986, Michel Platini (Juventus, France, 1985) : des adieux en demi sous infiltration
Triple Ballon d’or, vainqueur de la C1 avec la Juventus, champion d’Europe avec les Bleus au terme d’un Euro 84 éblouissant, Michel Platini est alors au sommet du football mondial, seulement contesté par Diego Maradona qui n’a alors rien gagné. Mais le drame du Heysel l’a brisé, et il souffre du tendon d’Achille quand il arrive au Mexique. Il va passer le tournoi sous infiltration, trop diminué pour sublimer les Bleus malgré deux buts décisifs contre l’Italie et le Brésil, où il manque un tir au but après avoir égalisé. Il passe à côté de la demi-finale contre la RFA. Que de regrets…
1990, Marco Van Basten (AC Milan, Pays-Bas, 1989) : Milan de solitude en huitième
Les champions d’Europe néerlandais, bâtis sur les trois champions d’Europe milanais (Rijkaard, Gullit et Van Basten) semblent imprenables quand commence le Mondiale italien. Mais rien ne va, et après un premier tour très inquiétant (trois matchs nuls contre l’Angleterre, l’Irlande et l’Egypte), les Hollandais passent dans les meilleurs troisièmes mais tombent au tour suivant sur la RFA. Celle-ci, bien meilleure, prend sa revanche de l’Euro 88 (éliminée en demi-finale) et l’emporte 2-1 à Giuseppe Meazza.
1994, Roberto Baggio (Juventus, Italie, 1993) : à pile ou face en finale
Au cours du premier tour de la World Cup américaine, l’Italie voit de très près l’élimination avec une défaite contre l’Irlande, une courte victoire sur la Norvège (à dix) et un nul piteux devant le Mexique. En huitièmes face aux redoutables Nigérians, c’est Roberto Baggio qui égalise à deux minutes de la fin et qui scelle la victoire sur pénalty en prolongation. En quart, il marque encore à la 87e (2-1) et bat quasiment la Bulgarie à lui tout seul en demi avec un doublé en cinq minutes. Baggio a tout pour devenir le nouveau Paolo Rossi contre l’Italie en finale, mais le match est verrouillé et Il Divin Codino manque le dernier tir au but. La malédiction continue.
1998, Ronaldo (Inter Milan, Brésil, 1997) : en finale contre un divin chauve
Qui arrêtera le nouveau prodige mondial ? Remplaçant en 1994 (sans jouer une seule minute), Ronaldo, 21 ans, est déjà Ballon d’or et semble capable de donner au Brésil une cinquième couronne mondiale. Au premier tour, le Brésilien ne se montre pas trop (un but contre le Maroc), mais il signe un doublé en huitièmes contre le Chili, est double passeur décisif face au Danemark en quart et ouvre le score en demi contre les Pays-Bas. Mais quelques heures avant la finale face aux Bleus, il est pris de convulsions et hospitalisé quelques heures. Initialement écarté, il est placé au dernier moment sur la feuille de match, mais il jouera dans un état second, percutant violemment Barthez avant de voir un tir de près bloqué en deuxième période par le divin chauve français.
2002, Michael Owen (Liverpool, Angleterre, 2001) : en quart, le Brésil était trop fort
Comme Ronaldo, Owen, qui s’était déjà fait remarquer en France contre l’Argentine en 1998, obtient le Ballon d’or à seulement 21 ans au terme d’une année 2001 extraordinaire avec les Reds de Liverpool. Il plante aussi trois buts à l’Allemagne à Munich (5-1). A la Coupe du monde asiatique, les Anglais sortent d’un premier tour terrible en éliminant l’Argentine et le Nigéria, enchaînent avec une belle victoire sur le Danemark (3-0, un but d’Owen) mais tombent sur le Brésil en quarts. Owen ouvre le score mais ce n’est pas suffisant, Ronaldinho renversant le match en cinq minutes (1-2). La suite de sa carrière sera une longue série d’échecs, du Real à Man U en passant par Newcastle.
2006, Ronaldinho (FC Barcelone, Brésil, 2005) : en quart, Zizou était trop fort
Champion du monde en titre, le Brésilien survole l’Europe avec le FC Barcelone qui remporte la Ligue des Champions devant Arsenal. Même si Roberto Carlos et Ronaldo tirent la langue, le Brésil est un candidat sérieux à sa propre succession et se qualifie sans histoire pour les huitièmes de finale où il bat le Ghana sur un score flatteur (3-0) avant de retrouver l’équipe de France. Pas de chance, Ronaldinho et ses coéquipiers tombent sur un Zidane en état de grâce qui leur fait toutes les misères possibles, y compris en délivrant une passe décisive à Henry, c’est dire. Ronaldinho, qui a été transparent tout au long du tournoi, ne peut rien y changer.
2010, Lionel Messi (FC Barcelone, Argentine, 2009) : cinq matchs et puis c’est tout
La Pulga sur les traces de Maradona ? Le champion du monde 1986 est tout près, puisque c’est lui le sélectionneur de l’Argentine à la Coupe du monde sud-africaine. L’Albiceleste gagne trois fois au premier tour, mais Messi ne marque aucun but. Il donne une passe décisive à Tevez contre le Mexique en huitième (3-1), mais est balayé par l’Allemagne en quart (0-4). Quatre ans plus tard, il perdra sa seule finale mondiale, toujours devant l’Allemagne à Rio.
2014, Cristiano Ronaldo (Real Madrid, Portugal, 2013) : un carton fatal au premier tour
Lauréat d’un Ballon d’or qui semblait promis à Franck Ribéry, Cristiano Ronaldo a de grandes ambitions en arrivant au Brésil avec le Portugal. Elles vont vite être douchées par l’Allemagne d’un Thomas Müller déchaîné (0-4). Le nul arraché à la fin du temps additionnel aux Etats-Unis (2-2) coûtera cher, car la victoire contre le Ghana (avec le but décisif de Ronaldo) ne suffira pas à se qualifier.
2018, Cristiano Ronaldo (Real Madrid, Portugal, 2017) : rien ne sert de tripler d’entrée
Deuxième chance quatre ans plus tard en Russie. Ronaldo signe d’entrée un triplé retentissant contre l’Espagne (3-3). Il marque le but de la seule victoire portugaise au premier tour face au Maroc (1-0) mais ne peut faire mieux qu’un piètre 1-1 contre l’Iran. L’aventure s’arrête dès les huitièmes de finale contre l’Uruguay d’Edinson Cavani (1-2). Auteur de quatre buts lors des deux premiers matchs, Ronaldo a calé pour son quatrième tournoi mondial.
2022, Karim Benzema (Real Madrid, France, 2022) : le mauvais oeil
Ça aurait pu être l’année parfaite pour lui : Ligue des Champions en mai, sa cinquième, Ballon d’Or en octobre, son premier, centième sélection au Qatar et titre de champion du monde en décembre. Mais dès son trophée remporté, le 17 octobre, les pépins physiques s’accumulent et alors qu’il semble pouvoir revenir, Benzema se blesse à nouveau à l’entraînement le 19 novembre. Aurait-il pu jouer les derniers matchs du tournoi ? Lui prétend que oui, mais qu’on lui a demandé de partir. Didier Deschamps, échaudé par les précédents de Zidane en 2002 et Vieira en 2008, a rappelé qu’il ne fallait pas garder un joueur blessé dans le groupe, au risque de déstabiliser ce dernier. D’où l’annonce, le 19 décembre, du retrait définitif des Bleus par l’attaquant madrilène. Il quittera le Real à l’été suivant, pour le club saoudien de Al-Ittihad.
2026, à qui le tour ?
Il est évidemment prématuré d’imaginer qui sera le Ballon d’Or 2025, même si il sera établi sur les performances de la saison en cours (2024-2025) et qu’en année impaire, l’impact de la Ligue des Champions sera encore plus important. La première Coupe du monde des clubs en version XXL, qui aura lieu en juin-juillet 2025, pourrait aussi peser. Les performances en sélection non, puisque même avec la Ligue des Nations dont le carré final se jouera début juin, il n’y aura rien d’important cette saison.
Si la malédiction se poursuit, le lauréat désigné fin octobre 2025 permettra au moins de savoir quelle équipe ne sera pas championne du monde. Le Ballon d’or devrait se jouer avec les mêmes candidats principaux qu’en 2024, sauf énorme révélation, c’est-à-dire entre Vinicius (Brésil), Bellingham (Angleterre), Mbappé (France), Haaland (Norvège), Rodri et Yamal (Espagne). Si Haaland est Ballon d’Or 2025, ce sera vite vu, compte tenu de l’incapacité de la Norvège à atteindre les phases finales européennes et mondiales depuis 2002. Mais bien sûr, comme toute série statistique, celle-là s’arrêtera bien un jour.