Le Miroir des Sports du 21 avril 1926 (BNF Gallica)
Toulouse est une ville de rugby. Depuis 1922, le Stade Toulousain fait main basse sur la championnat de France. Le stade des Ponts-Jumeaux, construit en 1907, est devenu un haut-lieu de l’ovale hexagonal. Ernest-Wallon, c’est le nom officiel de l’enceinte, en hommage à son initiateur décédé en 1921 [1], accueille régulièrement des finales du championnat de France et même, en 1925, une rencontre du XV de France face aux All Blacks de Nouvelle-Zélande.
Au pays de l’ovale
Un match de football aux Ponts-Jumeaux ressemble donc à une incongruité, mais c’est pourtant bien là que l’équipe de France qui joue au ballon rond sans utiliser les mains vient disputer un match le 18 avril 1926 contre le Portugal. Cette rencontre s’inscrit dans une série de trois rencontres consécutives que dispute la sélection tricolore. Le dimanche précédent, le 11 avril, elle a battu (4-3) la Belgique au stade Pershing. Le dimanche suivant, elle affrontera la Suisse à Colombes.
C’est la première fois que la sélection française rencontre le Portugal. Il est vrai que la sélection lusitanienne a été créée très tardivement, en 1921 pour une rencontre à Madrid contre l’Espagne. Le match de Toulouse n’est que le septième de son histoire. Le Portugal ne compte qu’une seule victoire sur six matchs. Mais une belle victoire puisque sa victime était l’Italie, en 1925. La délégation portugaise est arrivée à Toulouse plusieurs jours avant la rencontre, alors que les joueurs français ont rejoint la ville rose la veille par train couchettes.
Sept des vainqueurs de la Belgique sont reconduits face au Portugal : le gardien Maurice Cottenet, les défenseurs Urbain Wallet et Jacques Canthelou, les demis Marcel Domergue et Alex Villaplane et les attaquants Jules Devaquez et Edouard Crut. Avec les retraits de joueurs importants comme Chayriguès, Bard et Dubly, l’objectif est de consolider la cohésion entre une poignée de joueurs afin de pouvoir s’appuyer sur une solide ossature. On fait aussi appel à trois attaquants qui honorent leur première sélection : le Lunellois Fernand Brunel, du Gallia Club, et deux joueurs que l’on a fait venir de Blida, en Algérie : Henri Salvano et Georges Bonello.
Un Portugal décevant
Six-mille spectateurs sont présents dans les tribunes d’Ernest-Wallon. Le terrain est détrempé. Très vite, les Français démontrent leur supériorité sur une équipe portugaise timorée. A la fin du premier quart d’heure, Bonello effectue un centre qui trouve la tête de son coéquipier blidéen Salvano pour ouvrir le score. Le portugais Augusto Silva égalise à la 35e minute, en reprenant un corner mal repoussé par la défense française. Mais la France reprend rapidement l’avantage. un tir de Salvano est repoussé par le gardien Roquete, mais Brunel parvient à reprendre le ballon au milieu d’une masse de défenseurs et à le pousser dans les filets. Le score est de 2-1 à la mi-temps.
En deuxième période, Bonello inscrit le troisième but français sur « le plus beau shoot du match » selon le journaliste de L’Auto, sans se montrer beaucoup plus précis.Le même Bonello donne ensuite, dix minutes plus tard, un ballon à Brunel que celui-ci convertit en but, son deuxième, sur un tir de près.
A 4-1 après un peu plus d’une heure de jeu, l’équipe de France lève quelque peu le pied. Il faut toutefois rester prudent. Le dimanche précédent, face à la Belgique, les Tricolores ont mené 4-0 après une heure de jeu avant de voir leur adversaire revenir à 4-3. Mais les Portugais ont un niveau plus faible que les Belges. Ils étaient annoncés comme une rude opposition, mais ils ont peu inquiété l’équipe de France. « Ils nous présentèrent une équipe qui nous rappela la nôtre à Amsterdam et à Turin » explique le journaliste de L’Auto.
Le gardien Cottenet, seul parisien de l’équipe, fait bonne garde tout comme devant lui les défenseurs, le vif Canthelou et l’athlétique Wallet. Ce dernier toutefois commet une erreur en fin de rencontre, dont profitent les Portugais. L’attaquant Tavares frappe sur la barre, le ballon est repris par José Ramos, qui réduit tranquillement l’écart. C’est la première fois que la sélection lusitanienne marque plus d’un but au cours d’un match. C’est aussi la première fois que l’équipe de France emporte une rencontre sur le score de 4-2.
Le bal des débutants
Le match terminé, la France se réjouit d’avoir inscrit quatre buts lors de deux rencontres consécutives. Mieux, ceux inscrits contre le Portugal l’ont été par trois débutants. Henri Salvano, l’auteur du premier but, ne reviendra pourtant pas en équipe de France. Son coéquipier Georges Bonello, impliqué sur trois des quatre buts, sera appelé pour le match suivant contre la Suisse, puis en 1927 pour affronter à nouveau le Portugal. Il ne connaîtra finalement que trois sélections malgré un passage à l’Olympique de Marseille lors de la saison 1928-1929.
Quant à Fernand Brunel, auteur de deux buts, il connaîtra un destin tragique. Il quittera Lunel en fin de saison pour rejoindre le FC Cette. Mais le 11 mars 1927, alors qu’il accomplit son service militaire, il meurt d’une méningite. Le stade du Gallia Club de Lunel porte aujourd’hui son nom.
Le dimanche suivant France-Portugal, les Tricolores s’imposent 1-0 contre le Suisse à Colombes. Trois victoires consécutives, la France n’avait pas réussi un tel exploit depuis la guerre. Elle retrouvera la sélection portugaise en mars 1927 à Lisbonne, qui prendra une nette revanche en l’emportant 4-0. Beaucoup de choses avaient changé au Portugal. Quarante jours après la rencontre de Toulouse, un coup d’État avait instauré un régime militaire à Lisbonne, qui allait porter le sinistre Salazar au pouvoir.
France bat Portugal 4-2
Buts : Salvano (16’), Brunel (40’), Bonello (56’) et Brunel (65’) pour la France, Silva (35’) et Ramos (86’) pour le Portugal.
FRANCE : Cottenet - Wallet, Canthelou, Dedieu - Domergue, Villaplane - Devaquez, Salvano, Brunel, Crut, Bonello.
PORTUGAL : Roquete - Pinho, Vieira, Figueiredo, Silva, De Matos, Ramos, Dos Santos, Tavares, Delfim, Da Fonseca.
Arbitre : Edmond Dizerens (Suisse)
6.000 spectateurs
Joueur | Âge | Poste | Sél. | Club |
---|---|---|---|---|
Maurice Cottenet | 31 ans | Gardien | 11/18 | Olympique de Paris |
Urbain Wallet | 27 ans | Défenseur | 3/21 | Amiens AC |
Jacques Canthelou | 22 ans | Défenseur | 5/11 | FC Rouen |
René Dedieu | 27 ans | Milieu | 2/6 | SC Nîmes |
Marcel Domergue | 25 ans | Milieu | 10/20 | SC Nîmes |
Alexandre Villaplane | 21 ans | Milieu | 2/25 | FC Cette |
Jules Devaquez | 27 ans | Attaquant | 25/41 | Olympique Marseille |
Henri Salvano | 22 ans | Attaquant | 1/1 | FC Blida |
Fernand Brunel | 19 ans | Attaquant | 1/1 | Gallia Club Lunel |
Edouard Crut | 25 ans | Attaquant | 5/8 | Olympique Marseille |
Georges Bonello | 28 ans | Attaquant | 1/3 | FC Blida |