Dans les années 1970, l’Argentine était l’une des destinations favorites de l’équipe de France. Alors qu’il n’y ont jamais mis les pieds auparavant, les Tricolores foulent la terre du tango dans le cadre d’une première tournée pendant l’été austral de 1971 puis une seconde en juin 1977. Ensuite, il y a la Coupe du monde 1978, qui a donné à douze d’entre eux le privilège de jouer dans l’un des plus prestigieux stades du monde, le Monumental de Buenos Aires.
Ce 6 juin 1978 au Monumental, les Français ne sont pas loin de faire chuter les futurs champions du monde. Dominateurs dans le jeu, ils n’en sont pas moins battus (2-1) par des Argentins galvanisés par l’enjeu et la ferveur du public. D’ailleurs, quand les joueurs français reviennent sur cette rencontre, ils évoquent en premier lieu l’ambiance exceptionnelle qui régnait dans le stade.
Sous des nuages de papelitos, une ferveur joyeuse et festive émanait des tribunes géantes du Monumental, rompant singulièrement avec la tristesse des rues d’un pays sous la tutelle d’une des pires dictatures de l’histoire. Lorsqu’il fut en charge d’organiser la Coupe du monde en France vingt ans plus tard, Michel Platini évoquait encore cette ambiance unique.
Le stade géant de River Plate
On se souvient que durant la Coupe du monde 1978, un grand nombre de commentateurs donnait à ce stade le nom erroné de “River Plate”, confondant le nom de l’enceinte et celui de son club résident. Le Monumental est en effet à la fois le stade national de l’équipe d’Argentine et le domicile du grand club de Buenos Aires.
Fondé en 1901 dans le quartier portuaire de la Boca, au sud de la ville, le CA River Plate a migré dans les années 1920 vers le quartier de Palermo, au centre de la capitale argentine. Dans les années 1930, alors qu’il adopte le statut professionnel, le club fait construire son propre stade dans le quartier chic de Belgrano, aux confins de Nuñez, au nord de la ville. Cela vaut aux joueurs et membres du club le surnom ironique de Millonarios.
C’est le président du club Antonio Vespucio Liberti qui est le maître d’œuvre de ce projet qu’il veut “monumental”. Le club achète des terrains gagnés depuis quelques années sur la zone marécageuse du Rio de la Plata. Il est aidé dans son entreprise par l’AFA, la Fédération argentine qui souhaite disposer d’une arène d’envergure pour la sélection albiceleste.
Le gouvernement argentin et la municipalité de Buenos Aires rêvent quand à eux d’accueillir les Jeux Olympiques de 1936 et la Coupe du monde de 1938 et facilitent donc les desseins du projet. La construction est confiée aux architectes José Aslan et Héctor Ezcurra. Le chantier démarre en 1935.
Malgré de nombreux retards, le Monumental est inauguré en mai 1938 alors qu’il lui manque encore une tribune. Mais le club a dû précipiter son déménagement car il a été délogé du terrain qu’il louait à Palermo. Même s’il est aux trois quarts terminé, le Monumental propose alors 68.000 places.
La dernière tribune (la tribune Nord) ne sera construite qu’en 1958, lorsque River Plate recevra dix millions de pesos suite au transfert de son attaquant Omar Sivori à la Juventus Turin. La capacité du stade sera alors portée à 100.000 places.
De la Maquina au Mundial
Buenos Aires n’a obtenu ni les Jeux Olympiques, ni la Coupe du monde de football. L’Argentine, vexée, décide de couper les ponts avec les instances sportives internationales. Puis alors que l’Europe se déchire dans une nouvelle guerre mondiale, le Monumental vibre aux exploits d’une des meilleures équipes de club de l’histoire, le River Plate animé par un quintet offensif de premier plan que les Argentins surnomment la Maquina.
Les derbys passionnés face à Boca Juniors et les rencontres de la sélection argentine rythment la vie du Monumental. L’enceinte accueille également quelques rencontres du Championnat d’Amérique du Sud 1946 (future Copa América), puis les premiers Jeux Panaméricains en 1951, le stade disposant d’une configuration olympique et donc d’une piste d’athlétisme.
En 1968, à l’issue d’un superclásico opposant River Plate à Boca Juniors, une des portes du stade (la Puerta 12 de sinistre mémoire) reste mystérieusement fermée alors que les supporters adverses s’y dirigent pour sortir du stade. Le mouvement de foule provoque la mort de 71 personnes et de nombreux blessés.
En 1975, le Monumental enregistre sa plus grande affluence (100 000 spectateurs) à l’occasion d’une rencontre face au Racing qui donne à River Plate un titre national attendu depuis dix-sept ans. Rapidement, le stade est l’objet d’importants travaux de rénovation dans la perspective de la Coupe du monde 1978.
La junte militaire, qui a conquis le pouvoir lors du coup d’état de 1976, poursuit l’effort. La tribune Nord bénéficie comme les autres d’un deuxième étage, et toutes les places debout sont transformées en places assises. Le stade d’une capacité de 72.000 places accueille ainsi neuf rencontres du Mundial 1978 parmi lesquelles le match d’ouverture et la finale.
Le monde entier découvre ce stade à l’ambiance unique, ses chants, ses papelitos, son panneau d’affichage à hauteur du sol et ses poteaux de buts curieusement crêpés de noir à leur base (un mystère que l’on percera bien des années plus tard).
Il était prévu que l’équipe d’Argentine y dispute toutes ses rencontres. Mais il aurait fallu pour cela qu’elle termine première de son groupe du premier tour. Or, le 10 juin, les hommes de Luis Cesar Menotti sont battus par l’Italie, qui décroche la première place du groupe et le droit de disputer ses matchs du deuxième tour au Monumental.
La sélection argentine doit donc s’exiler à Rosario pour le second tour et se frayer le chemin du retour vers le Monumental pour la finale. Il lui faudra disputer les prolongations pour venir à bout des Pays-Bas (3-1). Antonio Vespucio Liberti, le créateur du stade, décédera cinq mois après cette finale historique. Le stade adoptera son nom.
Un stade maudit ?
L’Estadio Monumental Antonio Vespucio Liberti dispose aujourd’hui d’une capacité de 64 000 places qui peut être augmentée à 75 000 lors du superclásico River-Boca, mais aussi les finales de Copa Libertadores de son club résident (1986 et 1996), qui se jouent en matchs aller-retour.
Pour la sélection argentine, le Monumental semble devenir un stade maudit. En 1987, les coéquipiers de Maradona concèdent à l’Uruguay une Copa América dont ils étaient les grands favoris, puisque champions du monde en titre. Six ans plus tard, la sélection albiceleste subit le pire affront de son histoire, une défaite 0-5 face à la Colombie en éliminatoires de la Coupe du Monde 1994. En 2011, une nouvelle Copa América à domicile lui échappe au profit de l’Uruguay.
L’équipe de France, quand à elle, n’a jamais eu de nouveau l’occasion de jouer au Monumental. D’ailleurs, depuis la Coupe du monde 1978, elle n’a jamais rejoué sur le sol argentin.