Lire sur le site de Soccer Nostalgia The Soccernostalgia Interview-Part 24
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Cet article fait partie de la série Dialogue avec Soccer Nostalgia
Soccernostalgia : Michel Hidalgo a débuté la saison 1978/79 après une Coupe du monde quelque peu décevante. Quelle était l’ambiance au début de cette saison ?
Bruno Colombari : L’objectif était de se qualifier pour le premier championnat d’Europe nouvelle formule qui allait se jouer en Italie en 1980 avec huit équipes. Le groupe de la France comprend le champion d’Europe en titre, la Tchécoslovaquie, absente en Argentine, la Suède et le Luxembourg. Autrement dit, les Bleus doivent faire le plein de points contre les deux derniers et faire au moins jeu égal contre les Tchécoslovaques, ce qui semble ardu compte tenu des difficultés françaises contre les pays d’Europe de l’Est. Mais au retour d’Argentine Michel Hidalgo avait fait de l’Europeo italien un objectif, passant un peu vite sur les éliminatoires.
Les plans d’Hidalgo pour l’équipe nationale ont été modifiés après la blessure de Michel Platini en début de saison. Il sera absent la majeure partie de la saison. Comment Hidalgo a-t-il changé de tactique ?
C’est surtout au milieu de terrain qu’il va devoir compenser l’absence de Platini, et le fait est qu’il ne trouvera pas de solution satisfaisante. Entre août 1978 et mars 1979, soit cinq matchs, il utilisera huit joueurs différents pour les trois postes du milieu (Bathenay, Giresse, Papi, Michel, Jouve, Piasecki, Larios et Petit) en changeant à chaque match sauf lors des deux dernières rencontres.
Il est certain, rétrospectivement, que l’absence de Platini a coûté très cher aux Bleus en début de saison. Même s’il n’a pas encore l’influence des années 1981-1986, il est le seul capable de débloquer un match sur un coup franc ou sur une action de classe.
La saison a commencé en août par un match amical contre l’équipe belge d’Anderlecht avec de nombreuses stars néerlandaises. La France s’est imposée (1-0). La France a joué avec de nombreux titulaires absents. Que retenez-vous de ce match ?
En plus de Platini, il manquait en effet Marius Trésor, le défenseur le plus expérimenté (39 sélections), et les internationaux de l’AS Monaco, champion de France en titre, qui jouait un match de barrage en Coupe d’Europe contre le Steaua de Bucarest trois jours plus tard. Anderlecht était alors une grande équipe européenne, vainqueur de la Coupe des Coupes en 1976 et 1978, et son joueur vedette Robbie Rensenbrink était un des meilleurs attaquants néerlandais, même s’il avait été éclipsé par Cruyff. Didier Six a semblé libéré par l’absence de Platini et a fait un grand match, en dépassant largement sa fonction d’ailier gauche et en marquant le but de la victoire. A droite, il y avait le Niçois Daniel Sanchez, qui fait partie de ce que j’appelle les quasi-Bleus puisqu’il n’a jamais été sélectionné en A en match officiel.
En septembre, la France a accueilli la Suède lors de son premier match de qualification pour le Championnat d’Europe 1980 à Paris. La France manquant de nombreux titulaires, semblait se diriger vers une victoire (2-1) avant que la Suède n’égalise à la fin. Ce serait un point coûteux abandonné à la maison. Que pensez-vous de ce match ?
C’est à coup sûr là que la qualification est perdue. Avec un point de plus (la victoire valait deux points à l’époque), l’équipe de France aurait terminé à égalité avec la Tchécoslovaquie et tout se serait joué dans les confrontations directes. Mais pour l’emporter, il lui aurait fallu compter sur toutes ses forces et aligner une équipe proche de celle qui avait tenu tête à l’Argentine en juin. Or, il manquait un joueur majeur par ligne : Trésor en défense, Platini au milieu et Lacombe en attaque, tous trois axiaux. C’est beaucoup. Michel Hidalgo fait appel à deux joueurs strasbourgeois, qui réalise un excellent début de saison sous les ordres de Gilbert Gress : Roger Jouve en meneur de jeu et Albert Gemmrich en avant-centre, avec Rouyer et Six autour de lui.
L’équipe de France fait un bon match, domine largement, mais gâche trop d’occasions franches et trouve deux fois les poteaux de Ronnie Hellström, le gardien suédois, auteur d’une belle prestation. Et comme souvent dans ce genre de rencontre, c’est l’équipe qui subit qui finit par marquer en contre (après un nouveau tir sur le poteau, d’André Rey cette fois) en début de deuxième mi-temps. Les Bleus se réveillent alors, reviennent au score, prennent l’avantage encore grâce à Six, qui marque du droit d’ailleurs, mais alors qu’il ne reste que cinq minutes à jouer, ils ne parviennent pas à garder le ballon et se font encore prendre en contre par Groenhagen. Cette incapacité à tenir le score, l’équipe de France va la traîner encore longtemps, jusqu’à l’automne 1982 avec l’arrivée de Luis Fernandez et le départ de Platini en Italie.
En octobre, la France s’est rendue au Luxembourg pour son prochain match de qualification européen et s’est imposée (3-1). C’était le minimum requis. Quelle a été la performance de la France ?
Pas brillante. Le match a été dur, les Luxembourgeois ont commis beaucoup de fautes et se sont créé des occasions, notamment par Dussier alors que la France menait 1-0 sur un nouveau but de Six (sont troisième en trois matchs), ou encore par Catani à 2-1. Entre temps, Marius Trésor avait marqué un deuxième but après avoir traversé la défense et Michaux venait de réduire le score. Il faudra attendre les dix dernières minutes pour que les Bleus assurent leur victoire par Albert Gemmrich, Pour ce match, Hidalgo avait lancé deux nouveaux joueurs au milieu, le Stéphanois Jean-François Larios et le Strasbourgeois Francis Piasecki. Et il retrouvait son attaque préférentielle, Rocheteau-Lacombe-Six, mais ça n’a pas été un grand succès.
En novembre, la France a accueilli l’Espagne à Paris. Une fois de plus la France manquait des titulaires. La France a gagné (1-0) avec le nouveau Specht marquant le but vainqueur. Comment cette victoire a-t-elle été perçue ?
L’équipe d’Espagne commençait à préparer la Coupe du monde 1982. Elle comptait les excellents attaquants du Real Madrid Juanito et Santillana, et avait au milieu Vicente del Bosque, qui allait devenir sélectionneur de la sélection nationale entre 2008 et 2016. C’est un adversaire difficile qui domine une équipe de France encore privée de Trésor et de Platini et qui aligne deux débutants, le stoppeur strasbourgeois Léonard Specht (qui avait été testé contre Anderlecht en août et l’avant-centre de Lille, Pierre Pleimelding, qui est décédé en 2013. Il y a deux temps forts dans ce match : le but de Specht, le ballon ayant été dégagé derrière la ligne par un défenseur espagnol, et la faute de Janvion sur Juanito alors que le Stéphanois était en position de dernier défenseur, ce qui lui vaudrait aujourd’hui un carton rouge. A l’époque, il n’avait eu qu’un jaune. C’était une victoire de prestige en amical et à domicile, comme celles face au Brésil ou à la RFA.
Au début de l’année 1979, en février, la France accueille le Luxembourg à Paris. L’accident de voiture de Didier Six au camp d’entraînement de l’équipe a fait couler beaucoup d’encre. Savez-vous ce qui s’est réellement passé ?
L’histoire est assez confuse. Six a eu un accident de voiture deux semaines avant le match, tôt le matin dans la forêt de Saint-Germain en Laye où l’équipe de France était en stage. Manque de chance pour lui, l’autre protagoniste était un commissaire de police. Il y avait apparemment cinq autres joueurs avec l’ailier gauche. L’affaire a pris de l’ampleur parce que Six et Hidalgo ont menti à la presse, le premier sans doute pour ne pas révéler les noms de ses coéquipiers, le second pour couvrir le joueur. La FFF a fini par reconnaître les faits, et ont annoncé prendre une sanction. Mais on ne sait pas laquelle.
Le match contre le Luxembourg a été une victoire confortable (3-0). Que retenez-vous de ce match ?
Qu’il s’est joué l’après-midi au Parc des Princes, ce qui n’arrivait jamais à l’époque ! Je crois bien que c’est la seule fois d’ailleurs dans ce stade pour l’équipe de France. Pour le reste, c’est un peu la même chose qu’à l’aller. La France domine mais ne concrétise pas ses occasions. Le milieu Michel-Petit-Piasecki n’est pas inspiré, et en attaque le Monégasque Albert Emon est plus efficace que le Marseillais Marc Berdoll : il tire le corner sur le but de Jean petit en première mi-temps et marque le deuxième but d’un tir à angle fermé. Larios clôture le score en fin de match. L’essentiel est fait, deux victoires contre le Luxembourg, mais ce n’est pas brillant. Ce ne sera guère mieux en 2010-2011 à l’époque de Laurent Blanc (2-0, 2-0) ou en 2017 malgré Mbappé (3-1, 0-0).
En avril, la France a connu son test le plus difficile lors des éliminatoires de l’Euro avec un déplacement à Bratislava pour affronter la Tchécoslovaquie, championne en titre de l’Euro. Michel Platini était de retour pour son premier match de la saison avec l’équipe nationale. La France s’est inclinée (0-2) avec Panenka inscrivant un …’Panenka’. Comment était la performance de l’équipe ?
Elle est caractéristique de l’époque, avec ses limites physiques et mentales, surtout à l’extérieur. Hormis Specht, Bossis et Larios, les Français sont plutôt de petits gabarits, avec les attaquants Berdoll, Emon et Amisse. En face, il y a six joueurs de plus d’1,85 mètre, ce qui est banal aujourd’hui mais pas en 1979. Pour autant, la Tchécoslovaquie a un jeu collectif impressionnant et un duo d’attaquant redoutable, Zdenek Nehoda-Maryan Masny. Et bien sûr Antonin Panenka, l’inventeur du pénalty tiré en cloche au milieu de la cage. C’est d’ailleurs lui qui marque de cette façon le premier but du match après une faute de Specht sur Masny. Et quatre minutes plus tard, Stambachr double la mise d’un tir de loin.
Avant ça, les Bleus ont fait jeu égal avec un milieu Larios-Petit-Platini plutôt complémentaire et un très bon Amisse sur l’aile gauche. Mais, encore une fois, ils n’ont pas converti leurs occasions alors que le score était à 0-0, les absences de Rocheteau, Lacombe et Six devant limitant le potentiel offensif français. Plusieurs joueurs se sont plaints du pénalty, mais celui-ci semble tout à fait valable.
Pour son dernier match de la saison, la France s’est déplacée à New York pour un match amical contre les États-Unis. Mais avant le match, évoquons la colère de Christian Lopez après avoir été exclu du voyage ?
Comme d’habitude, les clubs français étaient mécontents de ce match amical de fin de saison, surtout avec le décalage horaire entraîné par l’aller-retour Paris-New York. Et encore, Michel Hidalgo aurait voulu une tournée avec un match contre le Canada, alors que le projet initial était un amical à Téhéran contre l’Iran, à la suite de celui de mai 1978 à Toulouse. Pour ne pas pénaliser les trois clubs qui jouaient pour le titre de champion de France (Strasbourg, Nantes et Saint-Etienne), Hidalgo a donc choisi de prendre trois joueurs de chaque. Les Stéphanois Janvion, Larios et Lacombe sont donc retenus, mais Lopez pense être appelé après la blessure de Specht. Après tout, il était capitaine à Bratislava en l’absence de Trésor. Finalement, Hidalgo appelle Battiston, et Lopez se fâche, menaçant de renoncer à la sélection. Il jouera encore 20 fois en équipe de France jusqu’en 1982, mais à partir de septembre 1979, c’est Platini qui sera capitaine.
Le match contre les USA a été une victoire confortable (6-0). Que retenez-vous de ce match ?
La sélection des Etats-Unis était beaucoup plus faible en 1979 qu’elle ne l’est aujourd’hui. Les clubs professionnels comptaient une grande majorité de joueurs européens, ce qui bloquait la progression des Américains. L’équipe nationale est donc composée de joueurs peu expérimentés et parfois très jeunes. De plus, le terrain du Giants Stadium, à East Rutherford (New Jersey) n’est pas une pelouse naturelle. C’est de l’Astroturf, semblable au revêtement des courts de tennis en synthétique. On pourrait croire que les Bleus seraient gênés par cette surface inhabituelle, mais pas du tout. A la mi-temps, il y a déjà 4-0, dont un triplé de Lacombe, bien aidé par les bourdes du défenseur Don Droege. La victoire finale (6-0) est la plus large de l’équipe de France à l’extérieur depuis 1904, un record qui tombera à Chypre en 1980. C’est aussi sur ce match que le gardien André Rey (entré à la mi-temps), le défenseur et futur sélectionneur Raymond Domenech, le milieu Roger Jouve et l’attaquant Marc Berdoll ont connu leur dernière sélection. A ce jour, c’est le seul match de l’équipe de France joué aux Etats-Unis.
Quel bilan faites-vous de la saison en général ?
Décevant car la défaite de Bratislava, le match qu’il ne fallait surtout pas perdre, rendait quasiment impossible la qualification pour le premier Euro en Italie en 1980. La dynamique enclenchée depuis 1976 marquait son premier temps d’arrêt, et on avait pu mesurer à quel point l’équipe de France était dépendante de Michel Platini, même si celui-ci était présent contre la Tchécoslovaquie.
Michel Hidalgo donnait l’impression de tâtonner, en essayant finalement peu de joueurs sans en trouver aucun de convaincant : Larios, Piasecki, Pleimelding, Specht, Pécout, c’est quand même très peu. Seul le premier ira à la Coupe du monde 1982, mais il ne jouera que le premier et le dernier match. Aucun de ces cinq-là n’a atteint les 20 sélections. C’est une saison perdue, au terme de laquelle l’équipe de France ne donne pas l’impression d’avoir avancé. Or, en mai 1979, la prochaine Coupe est encore loin, et à ce moment-là, on ne peut pas savoir si Michel Hidalgo sera encore en poste, ni si Platini reprendra sa progression entamée avant sa blessure.
Vos commentaires
# Le 23 mai 2022 à 19:05, par Nhi Tran Quang En réponse à : Dialogue avec Soccer Nostalgia : Michel Hidalgo, saison 4 (1978-79)
Quand commencent les éliminatoires de l’euro 80, en terme de résultats la Suède était une équipe bien meilleure que la France du fait qu’elle restait sur 3 participations de suite (dont une au 2ème tour en 74) en phase finale de coupe du monde entre 1970 & 78, entretemps la France ne s’était qualifié que 1 seule x en 78. Concernant la Tchécoslovaquie c’était les champions en titre même si leur dernière participation en coupe du monde à l’époque remonte à 1970. Sur les 4 participants, la France s’est trouvé dans un groupe où il y avait 2 adversaires à battre au vue de leur resultats dans les années 70 & non un seul, même si à la fin la qualif s’est + jouée entre la France & la Tchécoslovaquie. Concernant le règlement de départage de l’époque, même si la France aurait fait le plein de pts contre le Suède et se serait retrouvé à égalité de pts avec la Tchécoslovaquie, ce serait quand même la Tchécoslovaquie qui se serait qualifié car le 1er critère de départage de l’époque aurait été la différence de but (au moins +7 pour la France vs +13 pour la Tchécoslovaquie) et en confrontation directe ça ne changerait rien non plus (victoire de la France à Paris 2-1 vs victoire tchécoslovaque à Bratislava 2-0)