Le comparatif KPZ, c’est un instrument hautement scientifique qui permet de mettre en regard les stats ou le parcours d’un joueur donné (ici Antoine Griezmann) avec ceux des trois meilleurs Bleus de tous les temps, Kopa, Platini et Zidane. KPZ donc.
Le transfert de Griezmann au FC Barcelone n’est évidemment pas une suprise, tant il était attendu. Mais il est intéressant de le mettre en perspective avec ceux de Kopa entre Reims et le Real Madrid en 1956, de Platini entre Saint-Etienne et la Juventus en 1982 et de Zidane entre Bordeaux et la Juventus en 1996, et entre la Juve et le Real en 2001.
Zidane 1996 vaut 6 Kopa 1956 (ou 2 Platini 1982)
Un petit point sur le montant des transferts tout d’abord. Alors que Reims avait dû débourser 1,8 million de francs pour faire venir Kopa depuis Angers en 1951, le Real en avait sorti pas moins de 52 millions cinq ans plus tard. Précisons qu’on parle ici en anciens francs, ceux d’avant 1960, quand la monnaie française perdit deux zéros (un nouveau franc valant cent anciens francs). Le retour de Kopa à Reims, à l’été 1959, n’a en revanche rien coûté puisqu’il était en fin de contrat au Real.
Michel Platini valait un million de francs en 1979 quand Saint-Etienne l’a fait venir de Nancy. Trois ans plus tard, la Juventus a lâché 3,6 millions pour le récupérer. Zinédine Zidane, lui, a quitté Cannes pour Bordeaux contre 3 millions de francs à l’été 1992 (à 18 ans), et a rejoint la Juventus pour environ douze fois plus en 1996 (35 millions de francs). Et quand il a signé au Real en 2001, le montant du chèque est multiplié par 14 pour atteindre les 75 millions d’euros (un euro valant 6,5 francs).
Le transfert d’Antoine Griezmann à Barcelone, contre 120 millions d’euros (le montant de sa clause libératoire) est largement au-dessus, et quatre fois supérieur à celui payé par l’Atlético de Madrid à la Real Sociedad en 2014 (30 millions).
Pour essayer de comparer ce qui est comparable, j’ai converti toutes ces sommes en équivalent euros 2019, compte tenu de l’inflation. Le transfert de Kopa au Real en 56 représente l’équivalent de 1,14 million d’euros, soit ce que coûte un joueur moyen de Ligue 2 aujourd’hui. Et les 10 millions de francs de Platini 1982 valent aujourd’hui 3,6 millions d’euros, soit la moitié de la valeur du transfert de Zidane en 1996 (7,3 millions d’euros).
Ressemblances et différences
Cet énorme fossé entre les montants des transferts, conséquence logique d’un marché dérégulé depuis l’arrêt Bosman en 1995, masque pourtant des points de ressemblance entre les trajectoires des quatre internationaux français.
Zidane est ainsi la synthèse des parcours de Kopa (départ à l’étranger à 24 ans, victoire en Coupe d’Europe avec le Real) et de Platini (la Juventus comme premier club étranger, le premier titre en Bleu obtenu à la Juventus). La progression linéaire et régulière est aussi un point commun : sept ans en France avant de quitter le pays pour Kopa, dix ans pour Platini, huit pour Zidane, avec à chaque fois le passage d’un club formateur (Angers, Nancy, Cannes) à un grand club français (Reims, Saint-Etienne, Bordeaux).
Autre point commun : tous ont perdu (au moins) une finale de C1 ou Ligue des champions avant de la gagner : Kopa avec Reims en 1956, Platini avec la Juventus en 1983, Zidane avec la Juventus en 1997 et 1998 et Griezmann avec l’Atlético de Madrid en 2016.
Le parcours de Griezmann est atypique dans le sens où il a fait toute sa carrière professionnelle (et même sa formation) en Espagne, mais là aussi en gravissant les échelons : cinq ans à la Real Sociedad et cinq ans à l’Atlético Madrid avant le transfert pour Barcelone.
Côté différences, Kopa est le seul à être revenu en France (il a rejoint le Stade de Reims où il a fini sa carrière en 1967), Zidane est le seul à avoir connu quatre clubs, Platini est celui qui est parti le plus tard à l’étranger (27 ans) et qui a atteint le haut niveau mondial avant son transfert à l’étranger (juin 1982). Enfin, Griezmann est le seul à n’avoir aucun club commun avec les trois autres. Il est aussi le seul des trois à ne compter aucun titre de champion national à 28 ans.
Dans les graphes ci-dessous, j’indique le nombre d’années passées en pro dans les différents clubs, ceux situés à l’étranger étant représentés en rouge. Les logos des clubs sont ceux de la période concernée. Enfin, les sélections et les buts en équipe de France sont détaillés club par club.
Le Real ne lâchait pas Kopa
Kopa a évidemment progressé lors de ses trois années au Real. Comment pourrait-il en être autrement au milieu de joueurs du niveau de Gento, Puskas et Di Stéfano ? Même s’il est exilé sur l’aile droite, il fait profiter l’équipe de France de ses progrès. Mais pas tout de suite : il manque 13 matchs entre mars 1956 et avril 1958. A l’époque, rien n’oblige les clubs à libérer leurs internationaux.
Il participe heureusement à la Coupe du monde en Suède où il explose tous les compteurs, finissant meilleur joueur de la compétition et Ballon d’or 1958 en décembre. Mais en trois ans passés en Espagne, il ne joue que sept fois, dont six à la Coupe du monde 1958. Son retour à Reims sera plus prolifique en club (155 matchs joués en championnat, 27 buts) qu’en sélection (14 capes, 1 but).
A la Juve, Platini est devenu pragmatique
Le passage de Platini à la Juve a entraîné une hausse nette non pas de son niveau de jeu, mais de son sens tactique. Il a gagné en pragmatisme, en gestion du jeu et en obsession de la victoire. Entre l’été 1982 et avril 1987, il joue 34 fois en sélection pour 20 buts marqués dont 11 en phase finale. Et 12 passes décisives. Il porte l’équipe de France, l’incarne et la sublime.
S’il avait été transféré à la Juve en 1981 plutôt qu’en 1982, il aurait certainement bien mieux géré le remplacement de Battiston par Lopez à Séville contre la RFA : il a dit récemment qu’il s’en voulait de ne pas avoir demandé à Janvion, qui jouait stoppeur, de monter d’un cran en laissant sa place à Lopez derrière. A l’Euro 1984, il plane littéralement, mais il est blessé (tendon d’Achille) en 1986 et joue la Coupe du monde au Mexique sous infiltrations, le moral dans les chaussettes. Suffisant pour éliminer l’Italie et le Brésil (malgré un tir au but non cadré), mais trop juste contre la RFA en demi.
Zizou le Turinois a tout gagné avec les Bleus
Quand il quitte la France pour l’Italie à l’été 1996, Zinédine Zidane est encore une promesse. Son superbe parcours avec Bordeaux en coupe UEFA n’a pas eu de suite à l’Euro anglais. Avec la Juventus où il retrouve Didier Deschamps, il va franchir des paliers décisifs : finaliste de la Ligue des champions en 1997 et en 1998, il apprend à gérer les matchs au plus haut niveau. Contre l’Italie en quart de finale de la Coupe du monde, cette expérience lui sera précieuse, même si c’est face au Brésil en finale qu’il fera enfin un match plein. En 2000, alors qu’il va entamer sa dernière saison à Turin, il réalise un Euro très brillant, hormis sans doute la finale où il est étroitement surveillé par le milieu italien.
Paradoxalement, ses cinq ans à Madrid vont épouser la pente descendante de son impact en équipe de France : blessé à la Coupe du monde 2002 (quelques jours après avoir gagné sa seule Ligue des champions avec le Real), efficace au premier tour de l’Euro 2004, mais impuissant face à la Grèce en quart de finale, le tournoi de ses adieux au football en 2006 prend des allures de montagnes russes ! d’abord nerveux (contre la Suisse et la Corée du Sud), puis suspendu (Togo), puis génial (Espagne et Brésil), puis décisif (Portugal) et enfin risque-tout (contre l’Italie).
Griezmann à Barcelone pour la Ligue des Champions et le Ballon d’or
S’il a fait ses débuts en sélection, en 2014, grâce à ses bonnes prestations avec la Real Sociedad, Antoine Griezmann a touché le plus haut niveau lors de son passage à l’Atlético de Madrid, avec une finale de l’Euro (et un titre de meilleur buteur) puis une Coupe du monde remportée (meilleur joueur de la finale).
S’il va à Barcelone, c’est moins pour progresser en sélection (à 28 ans, il a sans doute atteint l’apogée de ses capacités) que pour gagner des titres en club, la Liga et la Ligue des Champions par exemple. Et éventuellement, le Ballon d’or. Pas cette année, c’est certain, mais en 2020 peut-être, surtout s’il remporte l’Euro avec les Bleus. Car c’est bien grâce à l’équipe de France que Kopa (1958), Platini (1983, 1984 et 1985) et Zidane (1998) ont été couronnés, alors qu’ils jouaient dans le meilleur club européen (voire au monde) du moment. Le natif de Mâcon sait ce qui lui reste à faire.