Des cinq précédentes demi-finales de Coupe du monde jouées par la France, j’en ai vécu quatre. La première, celle de 1958, est antérieure à mon histoire, mais je l’ai vue il y a quelques années, comme on découvre un classique du cinéma, à distance, sans la passion du moment, mais avec tendresse et respect.
La plus forte : Séville 1982 (RFA-France)
Il y a donc eu celle de Séville, la plus belle de toutes, évidemment, de celles dont on ne se remet jamais vraiment. Jusqu’à cet été 1982, mes premières émotions liées au foot venaient plutôt de Saint-Etienne et de l’épopée européenne de 1976, et plus récemment du beau parcours de l’automne 1980 en Coupe UEFA. Mais ces émotions venaient de matchs à sens unique, de renversements de situation en aller-retour, avec deux semaines d’intervalle pour faire monter la pression.
Après l’élimination surprise, coup sur coup, de l’Argentine et du Brésil par l’Italie, et alors que la RFA n’avait pas montré grand chose (défaite contre l’Algérie, nul contre l’Angleterre), commençait à grandir l’idée que le coup était jouable. Et il l’était, et comment ! Il aura fallu beaucoup de réussite aux coéquipiers de Kaltz pour tenir jusqu’en prolongations tant la domination française en deuxième mi-temps, occultée depuis par l’attentat de Schumacher sur Battiston, avait été totale.
Avec le recul, et après revisionnage, c’est sans doute là que les Bleus ont perdu, pour n’avoir pas plié un match qui était à leur portée et à cause d’un mauvais choix de Michel Hidalgo (pas de milieux remplaçants sur le banc). En prolongations, les deux buts de Trésor et Giresse ont donné le change (pendant dix petites minutes), mais le trop plein d’émotions, de stress et de fatigue ont fait perdre aux Français la lucidité nécessaire pour tenir le score. Quand ils l’ont fait, les Allemands étaient déjà revenus à 3-3.
La plus frustrante : Guadalajara 1986 (France-RFA)
En 1986, le RFA-France joué quatre jours après le sommet du jeu contre le Brésil à Guadalajara était celui de trop. Trop de tension nerveuse, trop de stress, trop d’épuisement d’avoir joué à un rythme infernal pendant deux heures sous le soleil brûlant du Mexique, à 1500 mètres d’altitude. Pour les trentenaires que sont Battiston, Bossis, Tigana, Platini, Giresse et Rocheteau (forfait), c’est tout simplement trop dur. D’autant que sur une erreur de main de Bats, Andreas Brehme marque dès la 9e minute.
La pelouse du Jalisco, détrempé par de grosses pluies la veille, est très lourde, l’ambiance est morne dans un stade rempli aux deux tiers seulement et les coups pleuvent sur des organismes déjà épuisés. Les Bleus poussent, se battent, attaquent, mais il manque de la lucidité et de la fraîcheur dans le dernier geste. Et plutôt que faire entrer Papin, Henri Michel choisit Vercruysse et Xuereb à la place de Giresse et Bellone. Mauvais choix. Rudi Völler peut aller planter un deuxième but en guise de condoléances (0-2). Mais il y avait eu l’Euro 84 deux ans plus tôt, c’était une fin de cycle. On ne se doutait pas, alors, que le tunnel allait durer dix ans.
La plus réactive : Saint-Denis 1998 (France-Croatie)
Douze ans plus tard, alors que la revanche au carré était dans toutes les têtes et que les Bleus se sont amusés à se faire peur face au Paraguay et à l’Italie, l’Allemagne est sortie par la Croatie en quart de finale à Lyon. C’est une surprise au moins aussi grande que le scénario de Brésil-Belgique 2018, qui change la donne de la demi-finale : l’équipe de France est désormais désormais favorite, il n’y a plus de revanche qui tienne, il faut aller au bout. Mais en face, les Croates de Suker, Asanovic, Boban ou Vlaovic n’ont rien à perdre, dominent la première mi-temps et punissent les Bleus dès le retour des vestiaires par un but de Suker.
C’est le premier encaissé par l’équipe de France en match à élimination directe depuis douze ans, et il agit comme un électrochoc. La suite, parfaitement improbable, c’est le doublé de Thuram (un Pavard au carré, si vous préférez), le genre de coup de folie qui ne peut que ravir un ancien arrière droit comme moi. Et l’expulsion de Blanc qui le prive de finale, pour une claque assénée à Bilic dans la surface croate. Et un dernier quart d’heure en apnée alors que les vagues croates déferlent sur la cage de Barthez : à 2-2 à dix contre onze avec une prolongation à suivre, l’affaire serait très mal engagée. Mais ces Bleus-là sont fait d’acier trempé, et personne ne peut leur faire lâcher prise.
La plus fermée : Munich 2006 (France-Portugal)
Décriée au premier tour, l’équipe de France a frappé fort en huitième contre les ambitieux espagnols (3-1) et surtout en quart contre les grands favoris brésiliens (1-0). Il reste encore à écarter les Portugais de Figo, Deco, Pauleta et le jeune Cristiano Ronaldo, qui va faire du Neymar avant l’heure (mention roulades). Une faute sur Henry à la demi-heure de jeu offre un pénalty à Zidane, que celui-ci transforme. Mais pour le reste, les Bleus sont bousculés et défendent chèrement leur maigre avance. Avec un 4-2-3-1 où Thierry Henry est abandonné devant, et un carré axial Thuram-Gallas-Makélélé-Vieira redoutable, cette équipe tient plus lieu du brise-glace que du catamaran.
Mais elle a au-dessus de la tête une épée de Damoclès, puisque sept Français sont sous la menace d’une suspension en finale en cas de carton jaune (les titulaires Makélélé, Vieira, Ribéry, Zidane, Sagnol et Thuram, plus le remplaçant Louis Saha). Finalement, l’essentiel est acquis, à savoir une victoire étriquée, et seul Saha écope d’un avertissement deux minutes après son entrée en jeu, qui le privera du match contre l’Italie à Berlin. Un match qui ne s’annonce pas des plus ouverts, et qui tiendra parfaitement ses promesses.