Le tournoi olympique des Jeux de Paris, en 1924, est le premier véritable championnat du monde de football et la presse de l’époque n’hésite pas à le nommer ainsi. Pour la première fois depuis que le football est au programme olympique (officiellement depuis 1908), le tournoi réunit des équipes venues de plusieurs continents.
Standing ovation
C’est en 1920 qu’une équipe de football non-européenne est apparue pour la première fois aux JO, en l’occurrence l’Égypte, qui était alors sur la voie de l’indépendance (elle le sera définitivement en 1922). Quatre ans plus tard à Paris apparaissent deux équipes du continent américain, les États-Unis et l’Uruguay. La Turquie est également présente, qui représente alors le continent asiatique.
L’équipe d’Uruguay est l’une des grandes attractions de ces Jeux de Paris. Championne d’Amérique du Sud, elle a réalisé en Espagne une tournée triomphale et elle débarque à Colombes dans un costume de favorite. Dès son premier match, elle écrase la Yougoslavie 7-0. Le maigre public de Colombes (ils ne sont que 3.000 environ) est subjugué par la virtuosité des joueurs de la Celeste, ainsi qu’on appelle l’équipe pour son maillot bleu ciel. Dribbles, passes redoublées, démarquage, le tout dans une organisation des plus rationnelles donnent à leur football des allures féériques. À la fin du match, les Uruguayens viennent saluer le public qui, à la Parisienne, exécute une véritable standing ovation.
C’est une véritable découverte pour le public parisien, lequel remplit le stade Bergeyre trois jours plus tard pour assister à une nouvelle démonstration de la Celeste. Celle-ci s’impose 3-0 face aux États-Unis dans ce qui est le premier match olympique entre nations du continent américain. L’équipe d’Uruguay se qualifie pour les quarts de finale où elle doit rencontrer l’équipe hôte, la France.
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L’Auto du 1er juin 1924 (BNF, Gallica)
La France en rouge
La sélection tricolore a pour point commun d’avoir commencé son tournoi olympique par une victoire 7-0. Elle a certes été obtenu contre une faible équipe de Lettonie, mais elle a permis de mettre les joueurs en confiance. C’est à un élément près la même équipe que l’on retrouve contre l’Uruguay, le Rennais Jean Batmale remplaçant le Parisien Edouard Baumann qui avait été blessé contre les Baltes.
Plus de 30.000 spectateurs se rendent à Colombes le 1er juin 1924 pour la rencontre au sommet. Les joueurs uruguayens ne ménagent pas leur peine pour conquérir le public. Avant la rencontre, ils se présentent devant chaque tribune en brandissant les drapeaux des deux pays. À l’issue des hymnes, les Tricolores remportent le toss et choisissent de jouer la première mi-temps face au soleil.
Ce sont les hommes en rouge qui déploient les premières attaques. Les Français ont en effet adopté leur tenue de rechange puisque les Uruguayens jouent en bleu ciel. Le Marseillais Jean Boyer, après une combinaison avec Paul Nicolas, est l’auteur du premier tir, mais le gardien uruguayen Andres Mazali s’interpose brillamment.
L’enthousiasme du public parisien pour ses joueurs est rapidement contrarié lorsque Hector Scarone ouvre le score après trois minutes de jeu seulement. Les Français font toutefois jeu égal avec leurs adversaires et à la 12e minute, sur une passe de Jean Boyer, Jules Devaquez se démène et centre pour Paul Nicolas. Celui-ci exécute une reprise de volée qui ne laisse aucune chance au gardien uruguayen.
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L’Auto du 2 juin 1924 (BNF, Gallica)
Colombes découvre l’Uruguay
Le score est nul, mais la rencontre est dominée par l’équipe sud-américaine, largement supérieure dans le jeu. José Leandro Andrade, que l’on distingue aisément par sa peau noire, mène le jeu de la Celeste par ses dribbles et ses passes précises. Le public apprend également à connaitre le jeune avant-centre Pedro Petrone, l’arrière gauche et capitaine José Nasazzi et l’inter droit Hector Scarone, auteur du premier but.
A dix minutes de la pause, presque inéluctablement, Hector Scarone parvient à s’échapper et trompe Pierre Chayriguès, le gardien français, dont il est écrit qu’il a commis une erreur sur l’action. Si l’on en croit l’envoyé spécial de L’Auto, le portier français n’est pas dans son meilleur jour. Le score aurait pu s’alourdir juste avant la mi-temps, quand un tir de Pedro Petrone est repoussé par la barre transversale.
Les Français, bien qu’inférieurs, n’ont pas été ridicules et dès le début de la seconde période, ils s’installent dans le camp adverse. A la 58e minute, Paul Nicolas n’est pas loin d’égaliser sur un centre de Jules Devaquez. Le ballon, repoussé par le capitaine José Nasazzi, parvient à Pedro Petrone. Le jeune avant-centre uruguayen s’échappe, dribble les défenseurs français et arrive seul devant Chayriguès. Le gardien français plonge dans les pieds de l’attaquant uruguayen mais ne peut empêcher le troisième but. Comble de malchance, le gardien français se blesse sur l’action et doit poursuivre le match diminué.
A 3-1, le match baisse d’intensité et les Uruguayens se contentent de contrôler la rencontre sans chercher à humilier leurs adversaires. La Celeste fait alors à nouveau la démonstration de son jeu collectif, faisant circuler le ballon devant des joueurs français qui s’époumonent à courir après. Le public se montre admiratif du talent sud-américain, mais s’en prend à Andrade lorsque celui-ci commet une faute.
Une allure de déroute
Pris à partie par le public, le meneur de jeu uruguayen répond de la plus belle des manières en donnant un ballon à Pedro Petrone qui marque le quatrième but. Nous sommes à la 85e minute et ce but met fin aux illusions tricolores. Une minute plus tard, l’attaquant Angel Romano ajoute un cinquième but qui donne au score une allure de déroute pour les Français. Paul Nicolas tente une ultime frappe, mais Andres Mazali s’interpose. L’arbitre danois Per Andersen siffle alors la fin de la rencontre.
Le nombreux public de Colombes se lève pour applaudir les deux équipes, qui ont fourni un grand spectacle. Le lendemain, L’Auto titre à sa une que les Français ont été battus “par les plus redoutables adversaires qu’ils aient jamais rencontrés”. La suite de la rencontre ne manquera pas de remous : Boyer, Crut et Parachini sont sanctionnés pour avoir fait le mur pendant la préparation du match et d’avoir plus globalement déclenché des disputes entre joueurs à l’hôtel où résidait l’équipe. Les trois hommes écopent d’un an de suspension, une sanction qui marque la fin de la carrière internationale du Sétois Antoine Parachini.
Quant aux Uruguayens, il poursuivent leur parcours jusqu’à la victoire en finale contre la Suisse (3-0) et deviennent les premiers non-Européens à remporter la médaille d’or du football. Cette victoire est symbolisée par la première des quatre étoiles présentes de nos jours sur le maillot uruguayen.
URUGUAY bat FRANCE 5-1
Buts : Scarone (3’ et 35’), Petrone (59’ et 85’), Romano (86’) pour l’Uruguay, Nicolas (12’) pour la France.
URUGUAY : Mazali - Nasazzi, Arispe, Zibecchi - Ghierra, Naya, Andrade - Scarone, Petrone, Cea, Romano.
FRANCE : Chayriguès - Gravier, Domergue, Parachini - Batmale, Bonnardel - Dewaquez, Boyer, Nicolas, Crut, Dubly.
Arbitre : Per Andersen (Danemark), assisté de MM. Herites (Tchécoslovaquie) et Van Zwieteren (Pays-Bas)
30.000 spectateurs
Joueur | Age | Poste | Sel. | Club |
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Pierre Chayriguès | 32 ans | Gardien | 20/21 | Red Star |
Ernest Gravier | 26 ans | Défenseur | 10/11 | FC Sète |
Marcel Domergue | 23 ans | Défenseur | 6/20 | FC Sète |
Antoine Parachini | 27 ans | Milieu | 3/3 | FC Sète |
Jean Batmale | 29 ans | Milieu | 5/6 | Stade rennais |
Philippe Bonnardel | 25 ans | Milieu | 18/23 | Red Star |
Jules Dewaquez | 25 ans | Attaquant | 21/41 | Olympique Paris |
Jean Boyer | 23 ans | Attaquant | 12/15 | Olympique Marseille |
Paul Nicolas | 25 ans | Attaquant | 17/35 | Red Star |
Edouard Crut | 23 ans | Attaquant | 2/8 | Olympique Marseille |
Raymond Dubly | 31 ans | Attaquant | 29/31 | RC Roubaix |