22 mars 1925 : une débâcle à Turin

Publié le 22 mars 2025 - Richard Coudrais

Le 22 mars 1925, l’équipe de France se rend à Turin avec sept novices pour prendre contre l’Italie l’une de ses plus belles raclées des années 1920.

5 minutes de lecture

Depuis la fin des Jeux olympiques de Paris, l’équipe de France a peu joué : une rencontre au Havre face à la Hongrie juste après les Jeux (défaite 0-1) et le traditionnel France-Belgique du 11 novembre à Bruxelles, également perdu (0-3). Malgré l’embellie olympique, le bilan de 1924 reste mitigé.

Afrique du Nord et Amérique du Sud

Quelques rencontres sont prévues au cours de l’année 1925, dont un déplacement périlleux en Italie le 22 mars. En janvier, les internationaux français ont été rassemblés à Cette (actuelle Sète) pour un match contre une sélection de joueurs d’Afrique du Nord, lesquels se sont imposés (2-1). Le comité de sélection ne masque pas son intérêt pour ces joueurs d’Alger, d’Oran, de Constantine, qui pourraient renforcer une équipe de France en mal de footballeurs créatifs.

La victoire de l’Uruguay aux Jeux olympiques de Paris a lancé un engouement sans précédent pour le football sud-américain. Les clubs du Brésil, d’Argentine et d’Uruguay en profitent pour faire de longues et lucratives tournées en Europe. C’est le cas des Brésiliens du Club Atlético Paulistano et des Uruguayens du Club Nacional qui débarquent en France au mois de mars 1925. La Fédération Française invite ces deux clubs à affronter l’équipe nationale durant les huit jours qui précèdent le déplacement en Italie.

Le 15 mars, l’équipe de São Paulo s’impose 7-2 au Parc des Princes, avec notamment trois buts de sa vedette Arthur Friedenreich (“une honnête sortie” de l’équipe de France, selon L’Auto du lendemain). Quatre jours plus tard, jour de la mi-Carême, le club de Montevideo est tenu en échec (0-0) malgré la présence de trois champions olympiques et non des moindres : José Andrade, Pedro Petrone et Ángel Romano.

Les sélectionneurs ont profité de ces rencontres pour intégrer quelques joueurs d’Afrique du Nord. Les attaquants André Liminana (Bel Abbès) et Charles Bardot (Philippeville), ainsi que le défenseur Albert Manzanarès (Oran) sont ainsi alignés contre le club brésilien. Bardot donne particulièrement satisfaction en inscrivant les deux buts. Il est de nouveau aligné, comme Liminana, contre les Uruguayens en compagnie de l’ailier Félix Pozo, qui joue déjà à Rouen (c’est historiquement le premier footballeur algérien à intégrer un club de la métropole).

Sept premières sélections

Le onze qui a fait jeu égal avec le Nacional est reconduit à Turin. Le capitaine Maurice Cottenet garde les buts. La défense est assurée par Urbain Wallet et Marcel Vignoli. Au milieu, l’Amiénois Maurice Thédié et le Vitriot Paul-Emile Bel entourent l’expérimenté (bien que plus jeune) Philippe Bonnardel, du Red Star. En attaque, les trois Nord-Africains sont accompagnés par le Havrais Robert Accard et le Boulonnais Louis Bloquel. Sept joueurs honorent leur première “vraie” sélection, même si tous ont déjà participé aux rencontres contre São Paulo ou Montevideo.

C’est la neuvième fois qu’Italiens et Français s’affrontent par équipe nationale interposée. Les Transalpins ont un léger avantage sur le nombre de victoires (4 contre 3) mais ont fait preuve d’une efficacité offensive plus évidente (25 buts contre 17). A Paris, lors des Jeux, la sélection italienne est tombée en quarts de finale contre la Suisse, après avoir éliminé l’Espagne et le Luxembourg.

L’équipe de France est reçue à Turin pour la troisième fois. Les deux premières rencontres avaient eu lieu avant la Grande guerre au Campo di Piazza d’Armi, stade du Torino. Celui de 1925 se déroule au Stadio di Corso Marsiglia, le nouveau stade de la Juventus, ouvert en 1922 et capable de contenir 22.000 spectateurs. C’est également la première fois que l’équipe italienne joue dans ce stade.

1-0 à la mi-temps

Quinze mille spectateurs sont présents. Le temps est agréable et le soleil brille par intermittence. D’entrée, les Italiens, plus rapides, prennent la direction des opérations et contraignent les Français à défendre. Adolfo Baloncieri et Luigi Cevenini mènent le jeu et provoquent les premières occasions. Maurice Cottenet, le gardien capitaine des Tricolores, se met en évidence, mais il est pris à défaut dès la quatrième minute sur un tir de Leopoldo Conti.

Les Français sont tout simplement écrasés par leurs adversaires. Ils parviennent parfois à créer quelques attaques, mais celles-ci échouent face à la solidité italienne. Peu avant la demi-heure, le défenseur Ottavio Barbieri est blessé et remplacé par Carlo Bigatto, dont c’est la première sélection. Deux autres italiens font également leurs débuts internationaux lors de cette rencontre : le Laziale Fulvio Bernardini et le Padouan Antonio Fayenz. La mi-temps survient sur le score de 1-0.

Les Italiens inscrivent leur deuxième but dès le début de la seconde période. Le journaliste de L’Auto l’attribue à Giovanni Moscardini, mais les archives désignent plutôt Baloncieri. Les Français contestent le but, estimant que le buteur italien était hors-jeu. L’arbitre de touche lui-même l’a signalé, mais le Viennois Heinrich Retschury a maintenu sa décision d’accorder le but.

Comme s’il en pleuvait

Cinq minutes plus tard, un tir de Virgilio Levratto est freiné par Cottenet. Alors que l’Italien tombe, le ballon est dégagé sur la ligne par Bel. Il rebondit sur le corps de l’Italien au sol et entre dans la cage. C’est le troisième but. A l’heure de jeu, Baloncieri s’échappe, dribble, frappe et marque, face à un Cottenet désemparé. Cinq minutes plus tard, Moscardini marque à son tour.

A 5-0, les Français sont débordés. Certains se plaignent de blessures, d’autres cèdent au découragement ou tentent un remaniement : Accard passe à l’aile droite et Liminana se retrouve au centre. Bloquel passe inter droit et Bardot inter gauche. Cela ne perturbe guère les Italiens qui ajoutent un sixième but par Moscardini, à moins que ce soit Levratto comme l’indique le journaliste de L’Auto. Là aussi, les Français estiment que le buteur était en position de hors-jeu.

C’est finalement Levratto qui marque un dernier but dans les cinq dernières minutes. Les Italiens demandent la possibilité d’un deuxième remplacement, ce à quoi l’arbitre s’oppose. Le match se termine sur le score de 7-0.

La consternation

C’est la consternation dans le camp tricolore. La plupart des joueurs ont baissé les bras en seconde période, laissant les Italiens, certes largement supérieurs, jouer à leur guise. Seuls Bonnardel, Vignoli et Liminana trouvent grâce aux yeux de la presse française. Le gardien Cottenet a été très bon en première période mais les critiques se sont abattues sur son comportement en seconde mi-temps, où il se montra avare d’efforts pour repousser les tirs italiens.

L'Auto, 23 mars 1925 (BNF/Gallica)
L’Auto, 23 mars 1925 (BNF/Gallica)

Pour Maurice Thédié, Paul-Emile Bel et Félix Pozo, cette première sélection est déjà la dernière. L’aventure internationale s’arrête aussi pour Louis Bloquel (2 sélections). Marcel Vignoli et André Liminana n’auront droit qu’à une deuxième sélection. Les carrières de Robert Accard et Charles Bardot resteront relativement courtes (6 sélections chacun).

Philippe Bonnardel, dont c’est la vingtième apparition, s’approche sans le savoir de la fin de sa carrière internationale malgré ses vingt-six ans. Seuls deux joueurs de cette rencontre poursuivront significativement l’aventure en bleu, le gardien capitaine Maurice Cottenet, malgré les critiques, et le robuste défenseur Urbain Wallet qui jouera jusqu’aux Jeux olympiques d’Amsterdam, en 1928.

Après le désastre de Turin, la presse réclame sans attendre le retour des Devaquez, Boyer, Chayriguès, Domergue, Nicolas, Bard et autres Dubly que les sélectionneurs tiennent manifestement à l’écart. Une urgence, puisque que deux adversaires de valeur sont au programme des Tricolores : l’Autriche le 19 avril à Pershing et l’Angleterre le 21 mai à Colombes.

Le Miroir des Sports, 25 mars 1925 (BNF/Gallica)
Le Miroir des Sports, 25 mars 1925 (BNF/Gallica)
Turin, Stadio di Corso Marsiglia, 22 mars 1925
Italie bat France 7-0
Buts : Conti (4’), Baloncieri (47’), Levratto (52’), Baloncieri (59’), Moscardini (65’), Moscardini (78’), Levratto (88’).
FRANCE : Cottenet - Wallet, Vignoli - Thédié, Bel, Bonnardel - Liminana, Accard, Bardot, Bloquel, Pozo.
ITALIE : Combi - Caligaris, De Vecchi - Barbieri (Bigatto), Bernardini, Fayenz - Conti, Baloncieri, Moscardini, Cevenini III, Levratto.
Arbitre : Heinrich Retschury (Autriche)
15.000 spectateurs
JoueurÂgePosteSél./totalClub
Maurice Cottenet (cap.) 30 ans Gardien 8/18 Olympique de Paris
Urbain Wallet 26 ans Arrière 1/21 Amiens AC
Marcel Vignoli 27 ans Arrière 1/2 Olympique de Paris
Maurice Thédié 29 ans Demi 1/1 Amiens AC
Paul-Emile Bel 29 ans Demi 1/1 CA Vitry
Philippe Bonnardel 26 ans Demi 20/23 Red Star
André Liminana 26 ans Avant 1/2 SC Bel Abbès
Robert Accard 28 ans Avant 4/6 Le Havre AC
Charles Bardot 21 ans Avant 1/6 RC Philippeville
Louis Bloquel 24 ans Avant 2/2 US Boulogne
Félix Pozo 26 ans Avant 1/1 FC Rouen

Remplaçants : Louis Vandeputte (gardien), Jacques Canthelou (arrière), Michel Dupoix (demi) et Lucien Cordon (avant)

pour finir...

La rédaction de cet article a nécessité la consultation des sites RSSSF, Gallica, FFF, Wikipédia,
la lecture des ouvrages « La fabuleuse histoire du football » de Jacques Thibert et Jean-Phlippe Rethacker (Nathan, 1990), « L’intégrale de l’équipe de France de football » de Pierre Cazal, Jean-Michel Cazal et Michel Oreggia (First édition, 1998), « Les 1000 joueurs de l’équipe de France » de Jérôme Bergot (Talent Sport, 2021), « Sélectionneur des Bleus » de Pierre Cazal (Mareuil, 2021),
« Le Dico des Bleus » de Matthieu Delahais, Bruno Colombari et Alain Dautel (Marabout, 2017-2018-2022).

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