La photo de couverture rappelle celles des Presse-Océan du début des années 1980 où le quotidien nantais osait la couleur à sa une, encore loin de la qualité que l’on connaît aujourd’hui. Jean-Paul Bertrand-Demanes, en maillot vert, capte un ballon en extension, réveillant une bouffée de nostalgie chez le supporter du FC Nantes.
« Le Grand »
Jean-Paul Bertrand-Demanes a gardé les buts du club canari durant presque deux décennies. Les gamins qui ont suivi les matchs du FCN le nez collé aux grillages des tribunes de Marcel-Saupin se souviennent de cette grande carcasse à la détente impressionnante (1,92 mètre, un géant à l’époque) qui survolait sa surface pour aller chercher un ballon aérien. Il arrivait parfois que ce ballon lui échappe et qu’il aille finalement le chercher dans les filets, et s’il recueillait quelques sifflets sur le moment, jamais les Nantais n’oubliaient sa fidélité au club, ni ses spectaculaires interventions qui pesaient autant dans les victoires que les buts de ses coéquipiers.
Le gardien nantais fut également celui de l’équipe de France lors de la Coupe du monde 1978. Jean-Paul Bertrand-Demanes n’a connu que 11 sélections chez les Tricolores mais fut du voyage en Argentine, dont il ramena le maillot de Dino Zoff et le souvenir à la fois magnifique et effrayante de l’entrée des joueurs au stade Monumental de Buenos Aires pour la rencontre contre l’Argentine.
Mais l’objet de son autobiographie, parue en octobre 2022 chez Max Milo, n’est pas de raconter ses exploits footballistiques. En 2010, à 58 ans, l’ancien gardien nantais apprend qu’il a un cancer, et que celui-ci est à un stade très avancé, le “stade 4” qui sert de titre à l’ouvrage. L’auteur précise qu’il n’existe pas de stade 5, autant dire que son pronostic vital est engagé, pour employer un fameux euphémisme médical.
Arrêt décisif
Le livre raconte donc le combat d’un homme face à la maladie. S’il emploie volontiers la métaphore de la course ou du combat de boxe, notre imaginaire voit plutôt un pénalty dont le tireur est une tumeur et que le gardien nantais doit repousser pour obtenir une prolongation. L’ancien footballeur pro ne cache pas que son statut lui a été bénéfique. Il obtient des rendez-vous médicaux dans l’heure. Et lorsqu’il lance son combat, il est dans de bonnes conditions matérielles : il ne redoute pas la fin de mois et son entreprise immobilière tourne bien sans lui (son fils a pris les commandes).
JPBD est conscient d’être un privilégié. Toutefois, il ne manque pas de fustiger l’état de délabrement dans lequel s’enfonce l’hôpital, notamment depuis la crise du Covid. L’ancien footballeur a beau avoir réussi sa vie, il n’ignore rien des difficultés de ses concitoyens ni des injustices qui les frappent chaque jour. Il dénonce notamment le salaire des enseignants, du corps médical et de ces métiers qu’il sait pourtant plus utiles que celui de footballeur.
Les 65 courts chapitres de l’ouvrage sont concentrés sur les étapes de sa lutte contre la maladie, de ses premiers examens jusqu’à la rémission en passant par l’épisode d’une trachéotomie qui l’a profondément marqué. Quand il s’autorise quelques flash-back sur sa carrière, c’est pour souligner combien celle-ci a pu l’aider dans cette épreuve. Notamment grâce au mental qu’il a acquit et cette capacité qu’ont les sportifs de haut niveau à ne jamais envisager l’échec.
Flash-back
Parmi les quelques passages sur sa carrière, au-delà des inévitables anecdotes potaches, il évoque ses débuts au FC Nantes où la concurrence avec le gardien en place (Jean-Michel Fouché) lui fait comprendre que rien n’est acquit et que la compétition démarre à l’entraînement entre coéquipiers. Il raconte ses amitiés avec l’original Paul Courtin et l’emblématique Henri Michel. Il parle peu de ses entraîneurs (seul Arribas est cité) mais il donne son point de vue sur le jeu à la Nantaise, insistant sur le fait que le collectif était plus important que la performance individuelle. Il ose même écrire que c’est l’équipe qui rendait le joueur bon et non l’inverse. Et argumente son propos en citant le peu de réussite de ses coéquipiers de l’époque quand ils rejoignaient un autre club.
Sa carrière en équipe de France n’a pas été au-delà de la Coupe du monde 1978, qu’il termina sur une civière après avoir brutalement percuté son poteau. Curieusement, il dit regretter de n’avoir pas été appelé pour la Coupe du monde 1982, alors qu’il n’avait plus été convoqué depuis quatre ans, et que le sélectionneur de l’époque n’a jamais manifesté une grande confiance à son égard.
JPBD revient également sur la relative célébrité que lui donnait son statut de footballeur, notamment dans la région nantaise. Elle lui a permis de fréquenter des célébrités d’un autre domaine, dans le sport mais aussi dans celui de la musique, dont il est passionné (le récit use et abuse de références musicales). Il a aimé passer quelques soirées en compagnie de personnalités connues, mais il n’était pas question pour autant de prendre la pose pour une photo à destination de la presse. Sa renommée se vivait sans tapage.
Iron Man
“Stade 4” reste avant tout le livre d’un homme qui a vaincu le cancer. Le ton employé est plutôt badin. L’auteur ne cherche pas à nous arracher les larmes. Il ne s’étend pas non plus sur ses drames de père qui a perdu deux de ses enfants. Il souhaite que son livre soit lu et compris par d’autres malades (les bénéfices de l’ouvrage sont versés à l’Institut de cancérologie de Nantes) comme lui-même s’est inspiré des ouvrages du cancérologue David Servan-Schreiber.
Le texte s’autorise quelques embardées, probablement suggérées par le co-auteur Bertrand Ferrier : il emploie fréquemment des listes à puces pour énoncer quelques points, utilise une police différente pour les petits mots de Paul Courtin, ajoute des ’r’ au mot ’très’ pour souligner une importance et emploie le texte barré sur le mot cancer pour montrer sa détermination.
A la suite de sa rémission, Jean-Paul Bertrand-Demanes s’est remis au triathlon et a participé à l’Iron Man de Nice, une victoire personnelle auquel il attache plus d’importance que ses titres de champion de France ou sa participation au Mundial 1978. Les personnalités qui ont vaincu de difficiles épreuves font œuvre utile quand elles destinent leur témoignage aux anonymes confrontés aux mêmes défis. C’est en tout cas la mission que s’est donné Jean-Paul Bertrand-Demanes.