Les premiers Bleus : Adrien Filez, le dernier des pionniers

Publié le 16 juin 2023 - Pierre Cazal

Mort à 80 ans en 1965, Adrien Filez a été le dernier survivant de la toute première équipe de France A, celle de 1904, qu’il avait intégré à seulement 18 ans et 8 mois, ce qui fait de lui le premier benjamin des Bleus.

Cet article fait partie de la série Les premiers Bleus
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Qu’est-ce qu’une chronobiographie ?

Augustin Hector Adrien Filez (le prénom usuel n’étant que le troisième, ce qui n’était pas rare antan) est né le 27 août 1885 à Tourcoing, au 109 de la rue de la Latte, qu’il n’a quitté qu’à l’âge de 75 ans pour finir sa vie chez sa fille à Forest-sur-Marque, le 15 octobre 1965 : il était alors le dernier survivant de l’équipe qui, en 1904, a inauguré la série des matchs de l’équipe de France, face à la Belgique, et n’avait pas encore 19 ans alors !

C’était aussi le premier, et le seul provincial, car le Havrais Wilkes avait déclaré forfait, en raison des difficultés soulevées par la longueur et la durée du déplacement à Bruxelles à l’époque, pour un amateur intégral. Le problème se posait moins pour Filez, à la fois parce que Lille et Bruxelles étaient reliés par un train direct, et que Filez, dont le père était marchand de vins, travaillait en famille (il a repris l’affaire au décès de son père).

Cinquième choix pour le match historique de 1904

Pour autant, Filez n’avait pas été le premier choix de la « Commission d’Association » chargée de sélectionner les joueurs, présidée par Clément Robert-Guérin, qui allait fonder la FIFA à la fin du même mois de mai 1904.

Loin s’en faut, même ! Le premier choix avait été Géo Delolme, né en Angleterre, mais il n’avait pas encore opté pour la nationalité française et on s’en aperçut tardivement ; à sa place, on opta pour le Roubaisien Emile Sartorius, déplacé à gauche, curieusement, le 14 avril, mais les dirigeants roubaisiens s’y sont opposés, privilégiant les intérêts de leur club : l’équipe de France n’est pas une priorité, puisqu’elle n’existe pas !

La CA se rabat alors sur l’ailier de Levallois Jean Crenne, le 23 avril, mais il se blesse (dommage pour lui, il ne sera jamais international) ! On songe alors à Georges Bayrou, qui n’est nullement un ailier, mais il n’est pas disponible pour un long déplacement !

Dernière solution envisagée, pour qu’il y ait 11 joueurs sur le terrain, Charles Bilot, qui, comme on le sait, est un arrière… Lui, au moins, est disponible, ainsi que son frère Georges, donc on les emmène tous deux, alors qu’ils ne faisaient pas partie des plans initialement !

  • L’US Tourcoing le 1er mai 1910. Adrien Filez est le deuxième assis en partant de la droite, avec un foulard blanc autour du cou (agence Rol, BNF Gallica)

Boycotté pendant une mi-temps par les Parisiens

Et Filez, là-dedans ? Ce sont les délégués du Nord, Maurice Dubrulle et Léon Jourdain, qui ont avancé son nom et l’ont escorté jusqu’à Bruxelles le matin même du match (alors que le reste des autres joueurs était parti de Paris en train de nuit avec Robert-Guérin), où il a fait connaisance avec ses partenaires… sur le terrain ! C’est Robert-Guérin qui a décidé de le titulariser en dépit des oppositions, et notamment celle des joueurs parisiens qui préféraient rester entre eux, sans doute parce que Filez était un véritable ailier, et pas Bilot.

Résultat : Filez fut boycotté pendant une mi-temps, personne ne lui passa la balle, le jeu se déployant à droite, avec la paire Mesnier-Royet. Robert-Guérin dut élever le ton à la pause, de sorte que Filez put démontrer ses indiscutables qualités en de trop rares occasions ensuite, cependant. Mais il prit sa part dans le glorieux match nul (3-3) ramené de Bruxelles, quasi miraculeux au vu des replâtrages d’urgence opérés dans l’équipe.

Car Filez était athlétique (1,72 mètre, soit 10 cm de plus que la moyenne), dynamique, brillant, même ; on relève cette appréciation, en 1910 : « c’est l’homme capable d’amener son club aux plus beaux succès ». Les comptes-rendus qu’on peut trouver disent tous la même chose : il déboule en force sur son aile, n’hésite pas à tirer, et il a un shoot lourd, il est décisif. Lors de la finale du championnat de France gagnée 7-2 par l’US Tourcoing face aux Suisses du Stade Helvétique de Marseille, il joue inter gauche aux côtés de Jules Dubly et marque deux buts.

Il aura moins de réussite en équipe de France, où il garde sa place en 1905 et en 1906 (une victoire contre les Suisses 2-1, mais deux lourdes défaites contre les Belges, 0-7 et 0-5). Ensuite, il y a le service militaire, qui pose souvent des problèmes de permission et éloigne les joueurs de la sélection.

On fit appel à lui une dernière fois en 1908 pour le tournoi olympique de Londres, au sein d’une attaque entièrement nordiste, mais face à des Danois d’une autre classe (0-9). Ce ne fut d’ailleurs pas la pire humiliation, car Filez eut le malheur de participer au navrant 0-20 d’Ipswich en 1910, auquel il a déjà été fait souvent allusion !

A l’aile gauche, il dépend du collectif

Ne pas en déduire en surtout, qu’Adrien Filez (qui a souvent joué avec son frère Henri) n’avait pas la classe : le problème de l’équipe de France, alors, était son jeu collectif ou plutôt son absence de jeu collectif, et non la qualité intrinsèque des joueurs, dont certains étaient brillants. Trop d’équipes pratiquaient ce qu’on appelle aujourd’hui du « hourrah-football », à base de grands coups de botte à l’aveugle et de courses échevelées, les joueurs se plaçaient n’importe comment et ne se couvraient pas, ne se repliaient pas.

De sorte que, opposées à des équipes pas forcément plus talentueuses, mais mieux organisées et mieux entraînées, les buts s’entassaient et aucune balle exploitable ne parvenait aux avants, qui ne faisaient il est vrai guère d’efforts pour aller les chercher ! Ailier gauche, Filez était tributaire des services de ses demis et sa réussite dépendait de son entente avec son inter.

Deux paquets de cigarettes et un litre de vin par jour

En 1963, Gilles Gauthey a rencontré Adrien Filez chez lui, à Forest, et en a brossé un portrait savoureux, le décrivant, à 78 ans (âge considéré alors comme plus avancé qu’aujourd’hui) comme « étonnamment vert, prompt à la réplique et à l’astuce », ne cachant pas qu’il avait toujours fumé deux paquets par jour et bu son litre de vin quotidien (il faut dire qu’il en faisait commerce, y compris d’une sous-marque du champagne Germain — président du Stade de Reims alors — dénommé Zelfi, Filez à l’envers !).

Autant, sinon plus, que le football, Filez avait aimé et pratiqué le tir à l’arc, rapporte-t-il. Bref, un véritable amateur à l’ancienne, ne se privant pas des plaisirs de la vie et tenant le football pour un loisir, rien de plus, sans être accablé (et parfois mis plus bas que terre) par les défaites, les pires y compris. Pas de supporters excités pour lyncher les joueurs…

  • Le Miroir des Sports du 7 avril 1921 (BNF Gallica)

Formé au Lycée de Tourcoing, dans l’équipe de la Jeune France animée par le professeur Beltette, Adrien Filez avait débuté en équipe première en 1902, et fit preuve d’une belle longévité, ainsi que d’une belle santé. En 1916, affecté dans l’artillerie, il évolue dans l’équipe parisienne de l’AS Française, où l’on salue « la bonne rentrée d’A. Filez, en passe de redevenir le grand Filez, international ».

En novembre 1918, il sera même annoncé pour mort par la presse, avant un démenti six jours plus tard ! Il recevra la Croix de Guerre, sera fait chevalier de la Légion d’Honneur (pour faits militaires, en 1932, et non pour des exploits sportifs, comme aujourd’hui). En février 1920, Filez est encore capable de marquer deux buts en championnat du Nord face à l’US Dunkerque avec « une mention spéciale au vétéran Adrien Filez qui fut le meilleur homme sur le terrain », dit la presse, et il ne raccrochera définitivement les crampons qu’en 1925, à 40 ans !

Premier international du football nordiste, qui en a fourni beaucoup à l’équipe de France, Adrien Filez mérite un coup de chapeau (même si personne n’en porte plus !).

Les 5 matchs d’Adrien Filez avec l’équipe de France A

Sel.GenreDateLieuAdversaireScoreTps JeuNotes
1 Amical 01/05/1904 Bruxelles Belgique 3-3 90 benjamin des Bleus
2 Amical 12/02/1905 Paris Suisse 1-0 90 première victoire
3 Amical 07/05/1905 Bruxelles Belgique 0-7 90 première défaite
4 Amical 22/04/1906 Saint-Cloud Belgique 0-5 90
5 JO 19/10/1908 Londres Danemark 0-9 90 premier match en compétition

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