Son apport
A l’instar de Jean-Pierre Papin, qui a trois ans de plus que lui, Eric Cantona aura eu le tort de naître en 1966 [1], trop tard pour participer à la décennie Platini (1976-1987) ou trop tôt pour être de celle de Zidane (1994-2006). Son parcours en sélection est d’ailleurs presque exactement calé entre ceux des deux meilleurs joueurs français : il débute en août 1987, deux mois après l’arrêt de la carrière de Platini, et il termine en janvier 1995, cinq mois après les débuts en Bleu de Zidane, avec qui il partagera trois quart d’heure de temps de jeu.
Encore Papin a-t-il au moins joué le Mundial 1986, alors que Cantona a regardé celui de 1990 à la télévision et qu’il a commenté celui de 1994 en tribune de presse. Sa seule phase finale, l’Euro 1992, aura été un fiasco aussi bien individuel que collectif. Autant dire que sa carrière en Bleu, aussi efficace qu’ait été son association en pointe avec Papin [2], n’a pas abouti a des résultats probants. Il faut dire que l’équipe montée par Michel Platini était très défensive et construite pour le contre, jouant très souvent sans meneur de jeu axial de métier.
Nul ne sait ce qu’aurait donné Cantona en pointe avec un vrai numéro 10 derrière lui. Le plus grand regret aura été son absence à l’Euro 1996 : avec des pointes du gabarit de Patrice Loko, Christophe Dugarry et l’immense Mickaël Madar, les Bleus auraient eu grand besoin d’un attaquant de l’expérience de Canto (qui n’avait que 30 ans à l’époque). Surtout si on se souvient que la demi-finale contre la République tchèque a eu lieu à Old Trafford, où il était adulé depuis quatre ans. Mais il est vrai que sa dernière année en bleu avait été décevante.
Joueur surdoué, artiste dans l’âme, immensément orgueilleux, Cantona est entré vivant au panthéon des têtes brûlées du football aux côtés de George Best ou de Garrincha. Des comme lui, le foot français en compte très peu, malgré les efforts avant lui de Didier Six ou après lui de Nicolas Anelka, qui ne lui arrive pas à la cheville. Mais la vie de Cantona est encore plus bouillonnante que sa carrière de footballeur, et dans cette dernière, son passage à Manchester United aura bien plus marqué les esprits que sa trajectoire en Bleu.
Cantona au classement des joueurs
45 sélections pour une carrière étalée sur sept ans et demi, c’est un total correct (les Bleus ne jouaient guère plus de huit ou neuf matches par an à l’époque) sans être exceptionnel. Mais il est vrai que Cantona a été suspendu pendant un an (de l’été 1988 à l’été 1989) et que l’absence des Bleus aux phases finales de l’Euro 88 et des Mondiaux 90 et 94 l’ont privé d’une bonne quinzaine de capes supplémentaires. Il est très bien entouré au classement des joueurs, juste au-dessous de Jean Vincent et Alain Giresse, et au niveau de Raymond Kopa. Parmi les joueurs actifs, Yohan Cabaye et Blaise Matuidi le dépasseront bientôt.
Joueur | Sel | tps jeu | % tit | G | N | P | Buts | cap | |
---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|
48 | Etienne Mattler | 46 | 4170 | 100% | 21 | 6 | 19 | 0 | 14 |
49 | Jean Vincent | 46 | 4081 | 100% | 23 | 11 | 12 | 22 | 5 |
50 | Raymond Kopa | 45 | 3991 | 100% | 20 | 7 | 18 | 18 | 5 |
51 | Eric Cantona | 45 | 3954 | 100% | 25 | 13 | 7 | 20 | 10 |
52 | Basile Boli | 45 | 3560 | 89% | 23 | 12 | 10 | 1 | 0 |
53 | Bernard Lama | 44 | 3975 | 98% | 26 | 15 | 3 | 0 | 2 |
54 | Jean-Jacques Marcel | 44 | 3881 | 100% | 20 | 9 | 15 | 3 | 3 |
Classement mis à jour le 24 mai 2916 - voir le tableau complet |
Cantona au classement des buteurs
Sa moyenne de buts (0,44) est supérieure à celle de Henry (0,41) et très proche de celle de Trezeguet (0,48). Son capital de vingt buts lui permet de figurer en très bonne place au classement des buteurs, où l’on retrouve trois anciens de 1958 (Vincent, Kopa et Piantoni) ainsi que les buteurs d’avant-guerre, Jean et Paul Nicolas. Sa treizième place n’est menacée à court terme que par Olivier Giroud, qui compte six buts de moins.
Joueur | Buts | Sel | buts/ match | CF | Pe | 2 | 3+ | |
---|---|---|---|---|---|---|---|---|
10 | Jean Vincent | 22 | 46 | 0,48 | 0 | 0 | 5 | 0 |
11 | Jean Nicolas | 21 | 25 | 0,84 | 0 | 1 | 4 | 2 |
12 | Paul Nicolas | 20 | 35 | 0,57 | 0 | 0 | 2 | 2 |
13 | Eric Cantona | 20 | 45 | 0,44 | 0 | 1 | 5 | 0 |
14 | Jean Baratte | 19 | 32 | 0,59 | 0 | 3 | 4 | 0 |
15 | Roger Piantoni | 18 | 37 | 0,49 | 1 | 0 | 1 | 0 |
16 | Raymond Kopa | 18 | 45 | 0,40 | 0 | 6 | 3 | 0 |
Classement mis à jour le 24 mai 2016 - voir le tableau complet |
Son équipe préférentielle
Eric Cantona a joué avec 71 partenaires au cours de ses 45 sélections. Mais trois seulement ont disputé au moins trente matches à ses côtés : Laurent Blanc (34), Didier Deschamps (32) et Jean-Pierre Papin (31). Viennent ensuite Franck Sauzée, Basile Boli, Manuel Amoros, Bruno Martini et Bernard Casoni, tous des fidèles de la période Platini sélectionneur. Pour l’anecdote, on retrouve en bas de la liste Bixente Lizarazu (5), Youri Djorkaeff (5), Christophe Dugarry (5), Lilian Thuram (2), Zinedine Zidane (2) et Fabien Barthez (1), alors que Bernard Lama (15), Marcel Desailly (11) et Emmanuel Petit (11) complètent le groupe des onze futurs champions du monde ayant croisé la route de Cantona.
Etablir son équipe préférentielle n’a pas été simple, compte-tenu du grand nombre de joueurs défensifs parmi ceux qui ont le plus joué avec lui. Ce schéma est celui le plus souvent utilisé par Platini en 1991, avec une défense à 5, deux milieux récupérateur, un axial et deux pointes. Il existe bien entendu d’autres variantes, notamment un 4-4-2 avec deux milieux offensifs excentrés derrière le duo Papin-Cantona.
Ses sélectionneurs
Lancé par Henri Michel à l’été 1987, Cantona aura connu quatre sélectionneurs en huit ans. Suspendu un an de sélection nationale après avoir traité Michel de sac à merde en août 1988, il s’est épanoui avec Michel Platini entre 1989 et 1992 (avec qui il marquera 11 buts), il a fait un bon parcours avec Gérard Houllier (7 buts en 9 matches), hormis bien sûr le désastreux automne 1993, et Aimé Jacquet (avec qui il est invaincu) a fait de lui son capitaine jusqu’à sa suspension fatale de l’hiver 1995. A noter que sur 45 matches, Cantona a été titulaire… 45 fois, n’étant remplacé que trois fois. Même Michel Platini n’a pas fait mieux (remplaçant deux fois, remplacé huit fois). Pour un attaquant, c’est exceptionnel.
Son premier match : 12 août 1987, RFA-France
Canto a un peu plus de vingt-et-un ans quand il est appelé la première fois par Henri Michel, grâce à ses bonnes prestations avec Auxerre et avec les Espoirs. A ce moment-là, les Bleus sont éliminés de l’Euro 88 et le sélectionneur cherche des successeurs à la génération Platini (voir la vidéo de l’Ina). Aux côtés de Papin, Cantona se distingue par un but peu avant la mi-temps alors que la RFA mène déjà 2-0, sur une ouverture de José Touré. Ses bons débuts n’auront cependant pas vraiment de suite, car il ne marquera plus lors de ses quatre matches suivants de la saison, avant sa suspension d’un an en août 1988.
Son match référence : 28 avril 1993, France-Suède
Difficile de trouver trace d’un très grand match de Cantona avec les Bleus, où il a alterné de bonnes prestations avec des quelconques. Au printemps 1993 cependant, les Bleus reçoivent la Suède et Cantona doit se passer de Papin, forfait, avec qui il aligne les buts depuis plus de trois ans. Une victoire et la coupe du monde américaine se rapprocherait fortement. L’affaire est mal partie avec un but de Dahlin sur une boulette de Boli. Mais juste avant la mi-temps, Ginola provoque un pénalty généreux que Cantona demande à tirer. Il le transforme et relance les Bleus. En deuxième mi-temps, c’est lui qui pousse, se crée des occasions et finit par en transformer une à huit minutes du terme sur une passe d’Angloma. Dans les vestiaires après la rencontre, il se moque ouvertement des journalistes : « Il fait chaud ici, vous ne trouvez pas ? »
Son dernier match : 18 janvier 1995, Pays-Bas-France
La première fois qu’il a porté le brassard en sélection, c’était contre la Bulgarie au Parc, quand Papin est sorti à la 69e. Aimé Jacquet en fait donc le capitaine dès le début de l’année 1994. Il ne le quittera plus. Quand commence l’année 1995 avec un Pays-Bas-France amical à Utrecht, Cantona semble bien parti pour accompagner la nouvelle génération jusqu’à l’Euro. Il joue désormais en milieu de terrain, mais peine à trouver sa place au milieu d’une ossature nantaise (Karembeu, Ferri, Pedros, Loko, Ouedec). La France ne montre pas grand chose devant mais l’emporte finalement (1-0). C’est aussi le dernier match de Papin chez les Bleus. Une semaine plus tard, à Crystal Palace, Cantona se jette les pieds en avant sur un supporter qui l’insultait et écope de sept mois de suspension. Aimé Jacquet ne fera plus appel à lui. Fin de l’histoire.
Et après ?
Cantona n’a pas attendu la fin de sa carrière de joueur pour débuter au cinéma avec Etienne Chatiliez dans Le bonheur est dans le pré (1995), un titre qui lui va bien. Il compte depuis une quinzaine de films, dont L’Outremangeur de Thierry Binisti (2003) et surtout Looking for Eric (2009) de Ken Loach, dans lequel il joue son propre rôle. Il a aussi exposé des tableaux (depuis 1988), des photos, fait du théâtre et favorisé l’émergence du beach soccer, en tant notamment que sélectionneur national. Il devient champion du monde de cette catégorie en 2005. A l’automne 2010, il lance un appel à un retrait massif des dépôts bancaires, avant de se mobiliser début 2012 pour le logement avec la fondation Abbé-Pierre pendant la campagne des présidentielles. Il a aussi été directeur sportif du Cosmos New York en 2011 et 2012.