L’art difficile d’annoncer sa liste

Publié le 9 novembre 2022 - Richard Coudrais

En France, l’annonce de la liste des sélectionnés pour une phase finale est devenu un exercice médiatique de haute volée. Depuis 1998, chaque sélectionneur l’appréhende à sa façon.

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Dégager une liste de vingt-six noms pour disputer de trois à sept rencontres concentrées sur un mois est une véritable épreuve avant l’épreuve. Pour faire son groupe, le sélectionneur compte généralement sur une quinzaine de joueurs avec qui il travaille depuis quelques temps, et dont il sait de chacun ce qu’il peut apporter sur le terrain et en dehors.

Il faut ensuite compléter la liste avec une poignée d’autres joueurs, un choix moins évident à faire dans un panel très large de garçons de valeurs sensiblement égales. Le sélectionneur tranche, selon ses besoins, sa sensibilité, son ressenti. Mais le plus dur reste à faire : annoncer ses choix aux Français à travers les médias.

Un fax à l’AFP

Des conférences de presse sont ainsi organisées qui permettent au sélectionneur d’énoncer sa liste aux journalistes présents. L’exercice n’a pas toujours monopolisé l’attention du pays. Même durant les flamboyantes années Hidalgo, les médias prenaient acte de la liste, commentaient le bien-fondé de tel ou tel choix, mais ne soumettaient pas le sélectionneur à une pression comparable à celle de nos jours.

Hidalgo envoyait un communiqué à la presse, ainsi qu’un télégramme aux joueurs concernés. Henri Michel, pour la Coupe du monde au Mexique, était passé par une conférence de presse, la première du genre. Mais c’est en 1998 que l’annonce des joueurs présélectionnés à la Coupe du monde est devenue l’objet d’une véritable mise en scène médiatique. Aimé Jacquet a essuyé les plâtres. Ses successeurs ont suivi la leçon.

Et on joue à 13 ?

Le 5 mai 1998, un chapiteau est dressé à la hâte à Clairefontaine pour recevoir les journalistes et installer les caméras. La chaîne LCI a proposé au sélectionneur de diffuser l’annonce de sa liste des 22 en direct. Sur l’estrade, devant une tapisserie de sponsors, Aimé Jacquet est assis à un pupitre, entouré de l’intendant Henri Émile et de ses adjoints Philippe Bergeroo et Roger Lemerre. La presse veut 22 noms, Aimé Jacquet lui en donne 28, ce qui provoquera la fameuse une ironique de L’Équipe du lendemain : “Et on joue à 13 ?”.

Le sélectionneur a encore dix-huit jours devant lui avant d’établir la liste à envoyer à la FIFA. Il a donc pris soin d’élargir son groupe pour pallier d’éventuelles blessures. La presse trépigne car elle n’a finalement qu’une demi-information. Elle parviendra toutefois à transformer cette inconnue en un feuilleton à suspens, où il faut deviner les six malheureux qui seront éjectés. C’est dans la matinée du 22 mai, la veille du jour où il doit remettre sa liste à la FIFA, que le sélectionneur, au cours d’une nouvelle conférence de presse dans les salons de Clairfontaine, donnera le nom des six exclus.

Lire l’article 5 mai 1998 : et Jacquet donna 28 noms

Lemerre au compte-goutte, Santini à contrepied

Échaudé par l’expérience de Jacquet, son successeur Roger Lemerre procèdera à l’envers pour l’Euro 2000. L’annonce de sa liste est prévue le 21 mai 2000 au cours de l’émission Télé-Foot, mais le sélectionneur a déjà commencé le compte-goutte. Il communique d’abord douze noms à l’AFP puis dix-huit au cours de l’émission dominicale. Deux autres viendront compléter la liste définitive au moment de l’envoyer à l’UEFA. La méthode désamorce habilement la polémique et permet au sélectionneur de maintenir un grand nombre d’internationaux sous pression avant l’échéance. Deux ans plus tard, pour la Coupe du monde coréo-japonaise, le sélectionneur emploie la même méthode qui lui a assuré une certaine tranquillité.

Jacques Santini, qui emmène l’équipe de France au Portugal pour l’Euro 2004, choisit une autre méthode : il prend la presse par surprise en annonçant sa liste un jour où personne ne l’attend. Ça se passe lors d’une conférence de presse qui précède le match France-Brésil du 20 mai 2004, organisé au Stade de France pour le centenaire de la FIFA. En plus de la liste des 23 noms, le sélectionneur ajoute les noms de 18 réservistes. On n’est jamais trop prudent.

La farce Domenech

En 2006, TF1 profite de son partenariat avec la FFF pour organiser l’annonce des 23 joueurs pour la Coupe du monde allemande à l’occasion du Télé-Foot du 14 mai 2006. Raymond Domenech est en direct de Clairefontaine face à un groupe de journalistes et devant les caméras.

Le sélectionneur se lance d’abord dans un monologue long de plus de six minutes où il passe en revue un grand nombre de banalités. Arrive enfin la liste proprement dite. Un écran annexe affiche le visage des trois gardiens, dont Domenech donne chacun des noms et précise la hiérarchie qu’il a instauré pour le poste. Tout semble fonctionner lorsque soudain, quand apparaît le visage des huit défenseurs, le sélectionneur ne cite aucun nom : “Voilà, se contente-t-il de dire. La liste, vous l’avez”. Il ajoute de vagues généralités sans préciser ses choix. Même chose pour les milieux de terrain : “On sait ce qu’ils sont capables de faire” puis les attaquants “Vous les connaissez aussi bien que moi”.

Il y a pourtant deux surprises de taille dans sa liste, qui mériteraient un commentaire : Franck Ribéry et Pascal Chimbonda, deux joueurs qui n’ont jamais été appelés jusqu’alors. Mais Raymond Domenech n’en dira mot. Thierry Gilardi, le présentateur de l’émission, est fou de rage. On le serait à moins, d’autant que dès le lendemain, le sélectionneur sera un peu plus disert sur les joueurs qu’il a choisi lorsqu’il est interviewé par sa compagne dans une vidéo tournée pour un sponsor (un opérateur de téléphonie) et réservée aux abonnés de celui-ci.


 

Au journal de 20 heures

A partir de 2008, l’annonce de la liste prend une importance à la hauteur d’une allocution présidentielle. Le 18 mai, le sélectionneur est invité au journal de 20 heures sur TF1. Face à Laurence Ferrari, Raymond Domenech prend le temps d ’annoncer chacun des joueurs, à ceci près qu’il en a convoqué trente. Comme Aimé Jacquet, il en fera disparaître quelques-uns au moment où il doit livrer sa liste définitive.

Deux ans plus tard, la liste de Raymond représente un tel enjeu qu’elle inspire même une chanson. Le 11 mai 2010, au journal de 20 heures, le sélectionneur de plus en plus contesté emploie la même méthode qu’en 2008 en annonçant pour l’Afrique du Sud trente joueurs au lieu de vingt-deux. Il prend le temps d’expliquer pourquoi il n’a pas retenu Patrick Vieira et Karim Benzema. Treize jours avant le délai de la FIFA, l’émission aura été suivie par plus de 12 millions de téléspectateurs. Peu importe les contrepieds du sélectionneur, la formule a du succès.

Pour l’Euro 2012, Laurent Blanc revient à la formule conférence de presse devant un parterre de journalistes. Le Président a choisi de faire deux annonces séparées de six jours : D’abord le 9 mai une liste des sélectionnés évoluant à l’étranger (12 noms) puis six jours plus tard une liste des joueurs provenant de Ligue 1 (13 noms). Le sélectionneur explique qu’il n’avait guère goûté, quand il était joueur, l’exclusion des six coéquipiers avant la Coupe du monde 1998. Il sera toutefois lui-même contraint d’éliminer deux joueurs pour ramener sa liste à 23 noms : Yoann Gourcuff et Mapou Yanga-Mbiwa en feront les frais.

Lire l’article Mettez-moi en une douzaine

Deschamps, bête médiatique

Didier Deschamps se plie quant à lui au rituel du 20 heures. Le 13 mai 2014, au dernier jour du délai imposé par la FIFA, Didier Deschamps est l’invité du journal du soir de TF1 présenté par Gilles Bouleau. On touche au paroxysme. Le présentateur assure le teasing d’entrée de journal : il présente le sélectionneur coiffé et cravaté, puis fait patienter son audience en passant d’abord les faits d’actualité. A mi-journal, il revient vers le sélectionneur mais continue d’attiser l’impatience des foules : on passe un sujet de deux bonnes minutes qui revient sur les éliminatoires, puis le présentateur interviewe le sélectionneur sur de multiples choses, le temps de faire écouler quatre très longues minutes.

Quand le public est à bout, le sélectionneur annonce enfin la liste des joueurs. Il clame ligne par ligne les noms de chacun en se synchronisant sur une animation vidéo où apparaissent les visages des élus. La liste est enfin connue mais le show ne s’arrête pas là. Le journaliste aborde quelques sujets contentieux, comme l’absence de certains joueurs ou la présence d’autres. Le sélectionneur se pince les lèvres puis élabore une réponse à la fois ferme et diplomatique. Son métier impose désormais d’être un communiquant aussi rompu qu’un homme politique.


 

Didier Deschamps devient un habitué de l’exercice. Après 2014, il le rééditera en 2016, en 2018 puis en 2021 avec une maîtrise de plus en plus affirmée. En bon communiquant, il désamorce habilement les questions épineuses et trouve les mots justes pour expliquer les absences de Samir Nasri, Mathieu Valbuena, Dimitri Payet ou Karim Benzema. De même que le retour inattendu de ce dernier. Du grand art.

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