L’Histoire avec un un grand H n’a jamais été un long fleuve tranquille et la verte Irlande peut en témoigner. Pays dominé par un empire voisin, puis divisé par d’inextricables motifs d’ordre politique, son histoire footballistique accompagne celle de ses frontières et ne manque pas de complexité.
A l’Éire libre
En février 1921, la France avait reçu au Parc des Princes une équipe d’Irlande qui représentait l’Irish Football Association, l’une des quatre fédérations du football britannique. Celle-ci avait été fondée en 1880 et adhéra à la FIFA à partir de 1811. L’Irlande, à l’époque, était alors, au même titre que l’Angleterre, l’Écosse et le Pays de Galles, une des nations constitutive du Royaume Uni. Le processus d’indépendance était toutefois déjà largement enclenché.
Plusieurs fois proclamée, et plusieurs fois réprimée dans le sang, l’indépendance sera acquise en partie à la fin de l’année 1921. En partie seulement, car le traité de Londres (6 décembre 1921) prévoit que la couronne britannique conserve six comtés dans le nord de l’île, ceux qui constituent l’actuelle Irlande du Nord.
L’Irish Football Association ne gère alors plus que ces six comtés, ce qui affaiblit considérablement son équipe nationale. Celle-ci se rend en février 1928 à Montrouge, où l’équipe de France lui inflige un net 4-0. L’État libre d’Irlande a quant à lui créé sa fédération en septembre 1921 (c’est-à-dire avant le traité de Londres !). La FAIFS (Football Association of the Irish Free State) adhère à la FIFA en 1923 et son équipe nationale est constituée à l’occasion des Jeux olympiques de Paris en 1924.
Cette sélection irlandaise devra toutefois attendre 23 mai 1937 pour affronter l’équipe de France, six jours après une première rencontre à Berne remportée (1-0) contre la Suisse. Après 24 rencontres officielles, l’équipe au maillot vert présente un bilan équilibré entre victoires et défaites. Toutefois, elle n’est pas parvenue à se qualifier pour la Coupe du monde 1934 et ne semble pour tout dire pas supérieure à l’équipe de France.
D’une défaite l’autre
Reste à savoir dans quel état se trouve l’équipe de France. Son bilan depuis le début de l’année 1937 est tout simplement désastreux : elle a cumulé cinq défaites consécutives, respectivement contre l’équipe autrichienne du Wiener Sport-Club (0-1) à Saint-Ouen, contre l’Autriche (1-2) au Parc des Princes, contre la Belgique (1-3) à Bruxelles, contre l’Allemagne (0-4) à Stuttgart et contre les Anglais de Charlton Athletic (2-5) au Parc des Princes.
Même l’équipe de France B a perdu ses deux rencontres face au Luxembourg et au Maroc. Autant dire que Gaston Barreau, qui est devenu sélectionneur unique un an plus tôt, manque de certitudes. Malgré tout, il fait confiance au groupe et rappelle sept joueurs de la déroute face à Charlton : le gardien Laurent Di Lorto, les défenseurs Raoul Diagne et François Bourbotte, les attaquants Ignace Kowalczyk et Roger Courtois, et enfin deux joueurs toujours vierges de sélections, les attaquants Michel Frutuoso (23 ans) et Michel Lauri (28 ans).
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L’Auto du 23 mai 1937
Le premier est attaquant du RC Roubaix. Natif d’Oran, il a rejoint la ville aux mille cheminées en 1935 pour jouer à l’Excelsior puis au Racing. Buteur contre Charlton, il est doté d’un caractère impétueux qui lui vaut une surveillance soutenue des arbitres du championnat. Le deuxième est Michel Lauri, ou plutôt Miguel Ángel Lauri, puisqu’il est Argentin. Attaquant du club d’Estudiantes, il a connu dix sélections avec l’équipe albiceleste et a terminé à la deuxième place de la Copa América 1935. Recruté par le FC Sochaux en 1936, les origines basques de ses parents ont permis de déclencher une procédure de naturalisation. Il rejoint l’équipe de France alors qu’il n’a même pas encore son passeport.
Deux autres nouveaux joueurs sont également appelés par le sélectionneur. Georges Meuris, demi du Red Star, est Belge mais il joue dans le championnat de France depuis 1929, successivement à Lille, Montpellier, Valenciennes et Saint-Ouen. Ayant obtenu la nationalité française, il découvre l’équipe tricolore à l’âge de 30 ans, d’abord en équipe de France B pour une rencontre à Casablanca contre le Maroc (2-4). Le défenseur Abdelkader Ben Bouali enfin, âgé de 24 ans, est défenseur de l’Olympique de Marseille. Natif d’Algérie, il rejoint la métropole en 1933 pour poursuivre ses études de médecine tout en jouant à Montpellier, à Sète puis à l’OM.
Se tromper d’Éire
16.688 spectateurs sont présents au stade de Colombes pour ce premier France-Éire de l’histoire. Un incident cocasse trouble l’avant-match avec une erreur du préposé à la diffusion des hymnes qui n’a pas trouvé le disque adéquat, ou qui a du moins confondu le Amhrán na bhFiann avec un air de fox-trot, lequel a déclenché l’hilarité des joueurs irlandais. Ceux-ci n’en prennent pas ombrage et l’incident est oublié quand l’arbitre tchécoslovaque Augustin Krist siffle le coup d’envoi.
La sélection irlandaise compte trois joueurs amateurs et huit professionnels évoluant principalement en Angleterre dans des clubs de second plan. Les Français dominent les débats mais se heurtent au fighting spirit de leurs adversaires et à un excellent gardien, Thomas Breen, évoluant au Belfast Celtic, dans le championnat d’Irlande du Nord. Breen et cinq de ses coéquipiers (Jackie Brown, Jimmy Dunne, Paddy Farrell, John Feenan et Davy Jordan) ont la particularité de jouer indifféremment pour les sélections de l’Éire et de l’Irlande du Nord. Une quarantaine de joueurs de l’époque sont dans ce cas. La FIFA mettra son holà dans les années 1950.
Si les Tricolores manquent d’efficacité, ils le doivent à une tactique obtuse. Ils envoient de long ballons aériens vers l’avant-centre Roger Courtois, lequel est marqué par un gaillard largement plus grand que lui, Charles Turner, défenseur de Southend United en deuxième division anglaise.
Les Irlandais sont confrontés à un problème similaire avec leur attaquant Jimmy Dunne qui a fort à faire avec le fougueux Georges Meuris. Mais en seconde période, l’attaquant de Southampton, ancien du grand Arsenal, a l’intelligence de se décaler sur la droite et d’entraîner son adversaire avec lui. Des espaces s’ouvrent ainsi pour l’attaquant Davy Jordan, éternel remplaçant à Wolverhampton, qui ouvre le score à la 51e minute en reprenant un centre de Willie Fallon, relayé par Paddy Farrell.
Courant d’Éire
Les Tricolores ont à peine le temps de se remettre de ce coup du sort que Jackie Brown, attaquant de Coventry, reprend de la tête un centre de Dunne et trompe Laurent Di Lorto à la 58e minute. La défaite (0-2) est amère pour les Français qui ont le sentiment d’avoir été battus par plus faibles qu’eux. L’équipe de France est entraînée dans une spirale de défaites qui ne manque pas d’inquiéter à un an de la Coupe du monde organisée dans l’hexagone.
Les quatre novices du groupe (Ben Bouali, Frutuoso, Lauri et Meuris) ne connaîtront jamais de deuxième sélection. Seul le premier nommé sera rappelé en quelques occasions mais restera sur le banc. Il fera également partie des présélectionnés de la Coupe du monde 1938, mais suivra des tribunes les rencontres auxquelles participeront Alfred Aston, Edmond Delfour, Raoul Diagne et le gardien Laurent Di Lorto, seuls rescapés de ce France-Éire 1937 premier du nom.
Éire bat France 2-0
Buts : Jordan (51’), Brown (58’).
FRANCE : Di Lorto - Ben Bouali, Diagne, Bourbotte, Meuris - Delfour, Lauri - Ignace, Courtois, Frutuoso, Aston (Sel : Gaston Barreau).
ÉIRE : Breen - O’Neill, Feenan, O’Reilly, Turner - Moulson, Brown - Jordan, Dunne, Farrell, Fallon.
Arbitre : Augustin Krist (Tchécoslovaquie).
16.688 spectateurs.
Joueur | Âge | Poste | Sél. | Club |
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Laurent Di Lorto | 28 ans | Gardien | 4/11 | FC Sochaux |
Abdelkader Ben Bouali | 24 ans | Défenseur | 1/1 | Olympique Marseille |
Raoul Diagne | 26 ans | Défenseur | 9/18 | RC Paris |
François Bourbotte | 24 ans | Défenseur | 3/17 | SC Fives |
Georges Meuris | 30 ans | Demi | 1/1 | Red Star |
Edmond Delfour (cap) | 29 ans | Demi | 36/41 | RC Paris |
Michel Lauri | 28 ans | Attaquant | 1/1 | FC Sochaux |
Ignace Kowalczyk | 23 ans | Attaquant | 4/5 | Olympique Marseille |
Roger Courtois | 24 ans | Attaquant | 14/22 | FC Sochaux |
Michel Frutuoso | 23 ans | Attaquant | 1/1 | RC Roubaix |
Alfred Aston | 25 ans | Attaquant | 13/31 | Red Star |
Banc de touche : René Llense (Sète) et Maurice Dupuis (RC Paris).