Dans l’ombre des géants (2/4) : Giresse et Platini

Publié le 17 mai 2020 - Bruno Colombari

L’un est le roi du jeu court, petit gabarit et tempérament effacé. L’autre est le dieu des passes longues, technique irréprochable et ego à l’avenant. Plutôt que les mettre en concurrence, Michel Hidalgo a choisi de les associer. Pour le plus grand bénéfice des deux.

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Après Roger Piantoni et Raymond Kopa, la série sur les grands joueurs de l’équipe de France qui se sont épanouis dans l’ombre d’un plus grand qu’eux se poursuit. Nous voici au début des années 80 quand, après avoir testé sans trop insister une association Platini-Giresse en 1977, Michel Hidalgo y revient faute de mieux. Et découvre la pierre philosophale.

Carrière linéaire pour l’un, en paliers pour l’autre

La carrière des deux meneurs de jeu est disjointe. Ils ont un peu moins de trois ans d’écart (Giresse est né en août 1952, Platini en juin 1955). L’un débute aux Girondins de Bordeaux à 18 ans et s’impose très vite comme titulaire au sein d’une équipe de second plan. Il y gagne deux titres de champion de France (1984 et 1985), une Coupe de France (1985). A l’été 1986, contraint et forcé, il part pour l’OM rejoindre Michel Hidalgo et y jouera les deux dernières saisons de sa carrière. Il raccroche en juin 1988, quelques semaines avant ses 36 ans. C’est un an plus tard que Platini, qui n’avait pas encore 32 ans en juin 1987 lors de son ultime match avec la Juve.

Michel Platini commence à Nancy en 1972. Il y fait ses débuts en D1 en mai 1973 et y joue six saisons, jusqu’en 1979 où, malgré des appels du pied de l’Inter et de la Juventus, il opte pour Saint-Etienne avec qui il sera champion de France (1981) mais échoue en Coupe de France (deux finales perdues en 1981 et 1982) et en Coupe d’Europe (deux éliminations en quarts de la C3 en 1980 et 1981). A Turin, il change de statut, gagne la Coupe des Coupes (1984) et la Coupe d’Europe des Champions (1985), deux championnats d’Italie (1984 et 1986), une Coupe d’Italie (1983) et trois Ballons d’Or consécutifs (1983, 1984 et 1985).

Avril 1985 : le choc Juventus-Bordeaux

En club, ils se sont régulièrement croisés en championnat lors des oppositions Bordeaux-Nancy et Bordeaux-Saint-Etienne, mais leur confrontation la plus importante a lieu en avril 1985, en demi-finale de Coupe d’Europe. A l’aller, la Juventus est souveraine avec un 3-0 très sec et un Platini magistral (deux passes décisives, un but) qui scellent la qualification. Mais au retour, Giresse et Bordeaux emballent la partie, reviennent à 2-0 et frôlent l’exploit par Tigana.


 

Ils n’ont donc joué ensemble qu’en sélection, sur une période de neuf ans qui se concentre plutôt sur moins de cinq ans, de septembre 1981 à juin 1986. Et pour cause : si Alain Giresse a commencé en équipe de France en 1974, avec Stefan Kovacs, l’arrivée de Michel Platini en mars 1976 le renvoie au statut de doublure. Pendant les cinq premières années de son mandat, Michel Hidalgo ne titularise Giresse que quatre fois, dont deux avec Platini en 1977 et deux en 1978, alors que le Nancéien est forfait.

Au printemps 1981, les bonnes prestations de Bordeaux remettent Giresse dans le coup (alors qu’il avait abandonné l’idée de revenir en sélection), mais c’est quand Platini est absent, face aux Pays-Bas et contre la Belgique, où son association avec Tigana et Genghini fait des merveilles.

34 fois ensemble en moins de cinq ans

Entre septembre 1981 (Belgique-France à Bruxelles) et juin 1986 (France-RFA à Guadalajara), Platini et Giresse jouent 34 fois ensemble en 46 matchs. Avec des stats remarquables : 22 victoires, 8 nuls et 6 défaites (en ajoutant les deux rencontres de 1977). En phase finale, le bilan est encore meilleur : 10 victoires, 4 nuls et 2 défaites. Sachant que sur les 4 nuls, deux se sont finis aux tirs au but, un gagné (Brésil 1986), l’autre perdu (RFA 1982). Ce qui donnerait donc 11 victoires, 2 nuls et 3 défaites.

Michel Hidalgo a trouvé la formule gagnante, ajoutée aux apports essentiels de Bernard Genghini (mars 1980), Jean Tigana (mai 1980) et puis de Luis Fernandez (novembre 1982). Le cocktail prend forme en juillet 1982 lors de la Coupe du monde en Espagne avec la mise en place du fameux carré magique.

L’association Giresse-Platini est donc loin d’être neutre. Il faut se rappeler qu’entre l’automne 1978 et l’automne 1981, les Bleus patinent et Michel Hidalgo multiplie les combinaisons, notamment au milieu, sans aboutir à quoi que ce soit de probant. Platini tout seul ne pouvait pas faire franchir à l’équipe de France le plafond de verre contre laquelle elle se cognait depuis vingt ans. Tout comme Kopa en 1954, d’ailleurs.

Tableau des matchs communs entre Giresse et Platini

# Genre Date Ville Adversaire score Giresse Platini
373 Amical 23/04/1977 Genève Suisse 4-0 1 but

1 passe

374 Amical 26/06/1977 Buenos Aires Argentine 0-0
405 qCM 09/09/1981 Bruxelles Belgique 0-2
407 qCM 18/11/1981 Paris (Parc) Pays-Bas 2-0 1 but
409 Amical 23/02/1982 Paris (Parc) Italie 2-0 1 but
413 Amical 02/06/1982 Toulouse Galles 0-1
414 CM T1 16/06/1982 Bilbao* Angleterre 1-3 1 passe
415 CM T1 21/06/1982 Valladolid* Koweït 4-1 1 passe 1 but

1 passe

416 CM T1 24/06/1982 Valladolid* Tchécoslovaquie 1-1
418 CM T2 04/07/1982 Madrid* Irlande du Nord 4-1 2 buts 1 passe
419 CM 1/2 08/07/1982 Séville* Allemagne 3-3

4-5 tab

1 but

1 passe

1 but
422 Amical 06/10/1982 Paris (Parc) Hongrie 1-0
424 Amical 16/02/1983 Guimaraes Portugal 3-0 3 passes
425 Amical 23/03/1983 Paris (Parc) URSS 1-1 1 passe
428 Amical 07/09/1983 Copenhague Danemark 1-3 1 but
431 Amical 29/02/1984 Paris (Parc) Angleterre 2-0 1 passe 2 buts
434 Amical 01/06/1984 Marseille Ecosse 2-0 1 but 2 passes
435 Euro T1 12/06/1984 Paris (Parc) Danemark 1-0
436 Euro T1 16/06/1984 Nantes Belgique 5-0 1 but

2 passes

3 buts
437 Euro T1 19/06/1984 Saint-Etienne Yougoslavie 3-2 3 buts
438 Euro 1/2 23/06/1984 Marseille Portugal 3-2

prol

1 but
439 Euro fin 27/06/1984 Paris (Parc) Espagne 2-0 1 but
440 qCM 13/10/1984 Luxembourg Luxembourg 4-0 2 passes 1 but
442 qCM 08/12/1984 Paris (Parc) RDA 2-0
443 qCM 03/04/1985 Sarajevo Yougoslavie 0-0
445 Interc. 21/08/1985 Paris (Parc) Uruguay 2-0 1 passe
446 qCM 11/09/1985 Leipzig RDA 0-2
447 qCM 30/10/1985 Paris (Parc) Luxembourg 6-0 1 but 1 passe
448 qCM 16/11/1985 Paris (Parc) Yougoslavie 2-0 2 buts
449 Amical 26/02/1986 Paris (Parc) Irlande du Nord 0-0
451 CM T1 01/06/1986 Leon* Canada 1-0
452 CM T1 05/06/1986 Leon* URSS 1-1 1 passe
453 CM T1 09/06/1986 Leon* Hongrie 3-0 1 passe
454 CM 1/8 17/06/1986 Mexico* Italie 2-0 1 but
455 CM 1/4 21/06/1986 Guadalajara* Brésil 1-1

4-3 tab

1 but
456 CM 1/2 25/06/1986 Guadalajara* Allemagne 0-2

Seulement 12 des 36 matchs communs n’ont vu aucune passe ou aucun but de Giresse ou de Platini (dont 4 nuls et 4 défaites). Mieux même, il est arrivé 6 fois que l’un soit passeur décisif de l’autre :
 Giresse pour Platini contre le Koweït en 1982, l’Angleterre et la Belgique en 1984 et le Luxembourg en 1985
 Platini pour Giresse contre l’Irlande du Nord en 1982 et l’Ecosse en 1984.

Au total, Giresse a marqué 6 buts et délivré 10 passes décisives avec Platini à ses côtés, lequel a marqué 21 buts et donné 11 passes décisives associé au Bordelais. Soit un cumul de 27 buts et 21 passes en 36 matchs. Si ce n’est pas de l’efficacité...

Plus régulier que Platini en phase finale

Alain Giresse a lui aussi bénéficié de la présence, à ses côtés, d’un Jean Tigana qu’il connaissait par coeur à Bordeaux, et d’un Platini très mobile, jouant parfois très bas (devant la défense) pour remonter les ballons, ou très haut (quasiment en pointe) pour conclure devant le but. Dans ce cas, c’est Giresse qui prenait le jeu à son compte, avec ses dribbles courts, ses appuis bas et ses somptueuses passes en cloche qui survolaient les défenses adverses.

Et alors que Platini a eu la malchance de jouer deux phases finales diminué par des blessures (en 1982 et 1986), Giresse n’était jamais meilleur que dans ces moments-là. Sa Coupe du monde en Espagne a été exceptionnelle, notamment lors des trois derniers matchs qu’il a joués (Autriche, Irlande du Nord et RFA), et son Euro 1984 magnifique, avec deux prestations géniales contre la Belgique (un but, deux passes décisives pour Fernandez et Platini) et le Portugal (où il se crée plusieurs occasions franches en deuxième mi-temps). Mais ses prestations sont éclipsées par celles de Platini qui fait sauter les compteurs.

En juin 1986, à bientôt 34 ans, Giresse souffre de la chaleur et du manque d’oxygène au Mexique, mais ça ne l’empêche pas de briller encore lors des quatre premiers matchs, notamment face à l’URSS où il sert magnifiquement Fernandez pour le but du 1-1, et contre l’Italie en huitième. On le voit moins face au Brésil, remplacé avant la prolongation par Ferreri, et contre la RFA, où Vercruysse le supplée à vingt minutes de la fin.

Une association brillante mais tardive

Alors que Piantoni et Kopa avaient 26 ans lors de la Coupe du monde 1958, Giresse et Platini sont plus âgés lors du Mondial 1982 : près de 30 ans pour le premier, 27 pour le second. Et donc 32 et 29 lors de l’Euro 1984 et 34 et 31 pour la Coupe du monde 1986. C’est beaucoup, surtout à l’époque, où passé la trentaine les carrières s’arrêtaient vite. Celle de Giresse est donc particulièrement longue (comme celle de Zidane, par exemple) mais il est dommage qu’il ait été associé à Platini si tard, alors que l’expérience positive de Suisse-France en avril 1977 aurait pu être renouvelée lors de la Coupe du monde 1978. Il paie sans doute son enracinement aux Girondins de Bordeaux qui l’a privé d’une exposition médiatique plus importante dans les années 70. Mais peut-on reprocher à un tel joueur d’avoir été fidèle, presque jusqu’à la fin, à un seul club ?

En bonus, ce résumé très complet de France-Koweït 1982 avec les cinq buts du match (4-1) dont celui de Platini servi par Giresse, mais aussi les cinq buts annulés (4-1 encore) dont un de Six (servi par Giresse), un — le plus célèbre — de Giresse (trouvé par Platini), un de Bossis (servi toujours par Giresse) et un d’Amoros (le seul des quatre qui n’était pas valable). Autrement dit, le Bordelais aurait pu finir ce match avec un but et trois passes décisives...


 

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Hommage à Pierre Cazal