Dominique Rocheteau, nos années romantiques

Publié le 14 janvier 2023 - Bruno Colombari - 2

C’est sans doute le dribbleur le plus élégant de l’histoire des Bleus. De 1975 à 1986, ailier droit puis avant-centre, Rocheteau aura tout connu avec l’équipe de France, malgré une éclipse au plus mauvais moment en 1984.

Cet article fait partie de la série Génération 6
Mise à jour d’un article initialement paru en janvier 2015
7 minutes de lecture

Son apport

Ailier droit à ses débuts, puis avant-centre décroché dans un schéma à deux pointes, Dominique Rocheteau représente la synthèse entre le 4-3-3 stéphanois des années 70 et le 4-4-2 des Bleus dans les années 80. Digne représentant de l’espèce des dribbleurs solitaires et des amoureux du beau jeu (et du respect de l’arbitrage), l’Ange vert aura fait une belle carrière internationale au sein de la génération dorée de 1955, celle de Platini, Bossis et Tigana.

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De ses débuts en sélection jusqu’à la coupe du monde 1982, à peu près, sa place se trouvait sur le côté droit d’une attaque à trois avec Bernard Lacombe en avant-centre pivot et Didier Six en ailier gauche. S’il contribue à la qualification pour le Mundial argentin en marquant le premier but contre la Bulgarie en novembre 1977, il ne brille pas spécialement en Amérique du Sud. Les années 1979 et 1980 le voient un peu disparaître de la circulation (quatre sélections en deux ans). C’est le passage au 4-4-2 lié à l’apparition du carré magique début 1982 qui lui permettra de se recentrer avec succès : ses crochets courts et ses frappes soudaines font merveille en Espagne à partir du second tour, et il est l’un des héros de Séville (où il provoque le pénalty transformé par Platini) malgré une blessure au genou.

Pourtant, il va manquer l’Euro 84 à cause du retour en grâce de Bernard Lacombe, champion de France avec Bordeaux et pivot préférentiel de Platini. Dans une attaque Lacombe-Bellone (ou Six), Rocheteau n’a plus sa place et doit se contenter de miettes contre la Belgique ou la Yougoslavie où il est remplacé à la mi-temps devant le public stéphanois. On pense alors que son temps est terminé, surtout avec l’éclosion de José Touré, de Jean-Pierre Papin ou de Yannick Stopyra quelques mois avant la coupe du monde au Mexique. Mais le premier se blesse en mars et le deuxième est trop tendre. Quant au troisième, il s’avère complémentaire au Parisien et apporte de la vivacité à une équipe où Platini et Giresse tirent la langue.

Rocheteau au classement des joueurs

S’il n’avait pas été forfait contre la RFA en 1986 à Guadalajara, Dominique Rochereau aurait fêté sa cinquantième sélection en demi-finale mondiale. Le voilà donc bloqué à 49 capes, à hauteur de Sidney Govou et derrière Frank Lebœuf, désormais sorti du top 50. C’est un total assez faible pour une carrière internationale de près de onze ans, avec un nombre de victoires plus que conséquent : parmi les joueurs à la carrière équivalente, seul Frank Lebœuf, champion du monde et d’Europe, en compte autant (31). Mais N’Golo Kanté, avec ses 37 victoires en seulement 53 sélections (en janvier 2023) a déjà fait beaucoup mieux.

Au nombre de minutes jouées, Rocheteau est nettement en dessous de Jean Djorkaeff, Alain Giresse et Jean Vincent. Et s’il a traversé l’Euro 84 sur le banc, il compte dix matches de phase finale de Coupe du monde, dont six victoires, ce qui n’est pas rien. Dans la génération actuelle, il est devancé par Lloris (20), Griezmann (19), Varane et Giroud (18), Mbappé (14) et même Dembélé (11).

Clas. Joueur Sel Tps jeu G N P Abs.Densité Année Ordre
49 Laurent Koscielny 51 4250 30 9 12 32 61% 2011 858
50 Joël Bats 50 4527 25 14 11 6 89% 1983 667
51 Frank Lebœuf 50 3361 31 13 6 43 54% 1995 740
52 Dominique Rocheteau 49 3486 31 9 9 45 52% 1975 603
53 Sidney Govou 49 2244 27 13 9 58 46% 2002 787
54 Jean Djorkaeff 48 4276 20 10 18 8 86% 1964 512
55 Yohan Cabaye 48 2834 29 10 9 32 60% 2010 848

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Voir le classement des joueurs à la coupe du monde

Rocheteau au classement des buteurs

Chassé du top 20 par Olivier Giroud, Antoine Griezmann, Karim Benzema,et Kylian Mbappé, Rocheteau, avec ses 15 buts, a tout de même fait mieux que Robert Pirès et Nicolas Anelka, lesquels comptent respectivement trente et vingt sélections de plus que lui. S’il n’a pas tiré de pénalty, Rocheteau a tout de même réussi un triplé contre le Luxembourg en 1985 et deux doublés, dont l’un contre l’Irlande du Nord en 1982. Il a aussi réussi 12 passes décisives, dont 4 lors du Mondial 1986. Il compte d’ailleurs dix matches de phase finale de Coupe du monde, avec quatre buts marqués, ce qui n’est pas rien : il est le huitième meilleur buteur des Bleus dans la compétition derrière Giroud et Mbappé et à égalité avec Kopa et Griezmann.


 

# Joueur Buts Sél b/m CF Pe 2 3+ tmps jeumn/butordre
21 Laurent Blanc 16 97 0,16 0 0 1 0 8227 514 699
22 Eugène Maës 15 11 1,36 0 0 1 2 990 66 78
23 Hervé Revelli 15 30 0,50 0 0 1 2 2526 168 529
24 Dominique Rocheteau 15 49 0,31 2 0 2 1 3486 232 603
25 Émile Veinante 14 24 0,58 0 0 4 0 2160 154 226
26 Nicolas Anelka 14 69 0,20 0 0 1 0 4249 304 763
27 Robert Pirès 14 79 0,18 0 1 0 0 4175 298 746

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Son équipe préférentielle

En onze années, Rocheteau a connu 77 coéquipiers, de quoi faire sept équipes différentes. Et, comme on pouvait s’y attendre, c’est avec Maxime Bossis (38 matches) et Michel Platini (33), ses deux partenaires de la génération 1955, qu’il a le plus souvent joué. Les suivants sont presque tous des anciens de Séville, comme Giresse, Trésor, Battiston, Tigana, Six, Janvion et Amoros. Fernandez et Bats sont plus loin. Les gardiens sont d’ailleurs pas moins de neuf à avoir joué avec Rocheteau : outre Bats, il y a Dropsy (9), Baratelli (8), Ettore (4), Rey (4), Tempet (3), Castaneda (2), Bertrand-Demandes (2) et Bergeroo (1) !

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Si on regarde maintenant les attaquants avec lesquels il a le plus joué, on retourne Didier Six (26 fois), Bernard Lacombe (16), Bruno Bellone (12), Yannick Stopyra (9) et José Touré (6). C’est la preuve qu’il ne se dégage pas de schéma-type en attaque, le passage du 4-3-3 au 4-4-2 ayant brouillé les cartes devant le carré magique, dans lequel Platini occupait le plus souvent un poste de quasi avant-centre.

Ses sélectionneurs

S’il a peu joué avec Stefan Kovacs, c’est pourtant ce dernier qui l’a lancé à vingt ans et huit mois contre l’Islande en septembre 1975. C’est avec Michel Hidalgo qu’il jouera le plus, et qu’il connaîtra un deuxième sommet de sa carrière à Séville, six ans après Glasgow (où il ne joua que les sept dernières minutes face au Bayern avec les Verts). Mais c’est avec Henri Michel qu’il aura les meilleurs résultats : dix matches, sept victoires et une seule défaite (contre la RDA en septembre 1985) pour cinq buts marqués.

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Son premier match : 3 septembre 1975, France-Islande

L’histoire retiendra que c’est à Nantes, alors l’adversaire le plus résolu des Verts dans l’hexagone, que Rocheteau débutera sa carrière internationale. L’adversaire est modeste, les chances de qualification pour la coupe d’Europe des Nations aussi, et la victoire (3-0) n’y changera rien. Il n’empêche. Avec un Jean-Marc Guillou brillant en meneur de jeu (deux buts), Dominique Rocheteau est la révélation du match. C’est d’ailleurs lui qui offre le dernier but à Marc Berdoll à trois minutes de la fin.


 

Son match référence : 4 juillet 1982, France-Irlande du Nord

C’est là qu’il gagne sa place pour Séville. Après un début de coupe du monde timide, Rocheteau remplace Lacombe au bout d’un quart d’heure contre l’Autriche et prend une place de titulaire face à l’Irlande du Nord à Madrid, grâce au passage au 4-4-2 imposé par le retour de Platini et les bonnes performances du trio Genghini-Tigana-Giresse. Le meneur bordelais ouvre le score à la 33e minute sur une passe de Rocheteau pour Platini qui centre en retrait. Rocheteau est trop avancé mais derrière lui Giresse a le temps de contrôler et de frapper.

La deuxième période commence à peine quand, servi par Trésor, Rocheteau récupère le ballon près de la touche, élimine un adversaire et part droit au but sur cinquante mètres, entre dans la surface et bat Jennings d’une frappe sèche du gauche. Le match est plié, mais à la 68e, une faute sur Giresse est sanctionnée d’un coup-franc. Six le joue court, Rocheteau récupère, élimine deux adversaires d’un double contact et termine d’un pointu du droit au premier poteau. 3-0. Touché au genou, il laisse sa place à Couriol, mais il a largement contribué (avec Giresse, qui conclut le score d’une tête sous la barre) à la qualification des Bleus pour une demi-finale mondiale qui s’annonce historique.


 

Son dernier match : 21 juin 1986, France-Brésil

Quel dommage qu’il n’ait pas pu jouer le France-RFA à la pointe de l’attaque française ! Contre le Brésil, Rocheteau et Stopyra ont mis au supplice la défense adverse, même s’ils n’ont pas marqué. L’attaquant du PSG ne le sait pas encore, mais il dispute là son dernier match avec les Bleus. C’est lui qui débloque la situation à la 41e minute lorsqu’à la suite d’une superbe combinaison Tigana-Giresse-Amoros-Giresse côté droit, il centre en première intention. Son tir est dévié par Edinho, arrive dans les six mètres, Stopyra plonge et heurte le gardien Carlos, le ballon passe entre les deux et arrive au second poteau où Platini a suivi. C’est le dernier but de Platoche en bleu, la dernière passe décisive de Rocheteau.

Ce dernier aura une dernière balle de but au bout du pied à la 94e : Tigana gratte un ballon dans le rond central, sert Ferreri qui remet à Rocheteau. A 45 mètres des cages adverses, celui-ci tente l’impossible : une percée plein axe. Il élimine un premier brésilien, passe entre deux autres d’une feinte de corps, entre dans la surface en déséquilibre et frappe au moment où Julio Cesar le tacle. Le ballon revient sur Stopyra qui tire et Edinho dévie encore. Il valait mieux : le gardien Carlos ne savait plus où était le ballon. Cinq minutes plus tard, il cède sa place à Bruno Bellone. C’est fini.


 

Et après ?

La reconversion de Rocheteau n’a pas été une longue ligne droite. Après sa retraite de joueur en 1990, il est successivement agent de joueurs, puis acteur (il tourne notamment avec Maurice Pialat), président fantoche de la commission d’éthique de la FFF et enfin dirigeant à Saint-Etienne, poste qu’il a occupé avec sérieux entre 2010 et 2018. Ce n’est d’ailleurs pas pour rien si les résultats des Verts (et leur politique salariale notamment) ont suivi une courbe ascendante pendant cette période, avant de s’effondrer depuis.

Tous ses matches

Dans ce tableau que vous pouvez trier colonne par colonne, la colonne « où » indique si les matches ont lieu à domicile (D), à l’extérieur (E) ou sur terrain neutre (N) ; les adversaires en bleu représentent les victoires, en gris les nuls et en rouge les défaites ; « bm » indique les buts marqués ; « tps » désigne le temps de jeu pour chaque match, l’astérisque avant la durée signale une entrée en jeu en tant que remplaçant. Enfin, « sel » indique le sélectionneur : « hM » pour Henri Michel, « mH » pour Michel Hidalgo et « sK » pour Stefan Kovacs.

#dategenreadversaireres.bmtpssel
49 21/06/1986 CM N Brésil 1-1 0 99 hM
48 17/06/1986 CM N Italie 2-0 0 90 hM
47 09/06/1986 CM N Hongrie 3-0 1 *29 hM
46 01/06/1986 CM N Canada 1-0 0 70 hM
45 26/03/1986 Amical D Argentine 2-0 0 *66 hM
44 26/02/1986 Amical D Irlande du Nord 0-0 0 90 hM
43 16/11/1985 qCM D Yougoslavie 2-0 0 76 hM
42 30/10/1985 qCM D Luxembourg 6-0 3 63 hM
41 11/09/1985 qCM E RDA 0-2 0 90 hM
40 21/08/1985 Amical D Uruguay 2-0 1 90 hM
39 19/06/1984 Euro D Yougoslavie 3-2 0 45 mH
38 16/06/1984 Euro D Belgique 5-0 0 *25 mH
37 18/04/1984 Amical D Allemagne 1-0 0 68 mH
36 28/03/1984 Amical D Autriche 1-0 1 *39 mH
35 29/02/1984 Amical D Angleterre 2-0 0 *7 mH
34 12/11/1983 Amical E Yougoslavie 0-0 0 46 mH
33 05/10/1983 Amical D Espagne 1-1 1 90 mH
32 07/09/1983 Amical E Danemark 1-3 0 90 mH
31 23/04/1983 Amical D Yougoslavie 4-0 2 90 mH
30 23/03/1983 Amical D URSS 1-1 0 *25 mH
29 16/02/1983 Amical E Portugal 3-0 0 *10 mH
28 08/07/1982 CM N Allemagne 3-3 0 120 mH
27 04/07/1982 CM N Irlande du Nord 4-1 2 83 mH
26 28/06/1982 CM N Autriche 1-0 0 *75 mH
25 16/06/1982 CM N Angleterre 1-3 0 71 mH
24 28/04/1982 Amical D Pérou 0-1 0 90 mH
23 23/02/1982 Amical D Italie 2-0 0 *26 mH
22 05/12/1981 qCM D Chypre 4-0 1 90 mH
21 18/11/1981 qCM D Pays-Bas 2-0 0 90 mH
20 29/04/1981 qCM D Belgique 3-2 0 90 mH
19 25/03/1981 qCM E Pays-Bas 0-1 0 90 mH
18 19/11/1980 Amical E Allemagne 1-4 0 60 mH
17 28/10/1980 qCM D Rep. d’Irlande 2-0 0 90 mH
16 05/09/1979 qEuro E Suède 3-1 0 55 mH
15 25/02/1979 qEuro D Luxembourg 3-0 0 90 mH
14 08/11/1978 Amical D Espagne 1-0 0 73 mH
13 07/10/1978 qEuro E Luxembourg 3-1 0 59 mH
12 10/06/1978 CM N Hongrie 3-1 1 75 mH
11 06/06/1978 CM N Argentine 1-2 0 90 mH
10 11/05/1978 Amical D Iran 2-1 0 46 mH
9 16/11/1977 qCM D Bulgarie 3-1 1 70 mH
8 08/10/1977 Amical D URSS 0-0 0 *25 mH
7 23/04/1977 Amical E Suisse 4-0 1 90 mH
6 30/03/1977 qCM E Rep. d’Irlande 0-1 0 90 mH
5 17/11/1976 qCM D Rep. d’Irlande 2-0 0 90 mH
4 01/09/1976 Amical E Danemark 1-1 0 90 mH
3 15/11/1975 qEuro D Belgique 0-0 0 90 sK
2 12/10/1975 qEuro E RDA 1-2 0 90 sK
1 02/09/1975 qEuro D Islande 3-0 0 90 sK

Vos commentaires

  • Le 2 décembre 2018 à 00:33, par Bleus 76/86 En réponse à : Dominique Rocheteau, nos années romantiques

    Quel attaquant de classe la France avait dans ces années-là avec Rocheteau !
    Il est bon de préciser que s’il ne compte que 49 sélections c’est surtout du en grande parties à cause de très nombreuses blessures. D’ailleurs il n’a joué aucune Coupe du Monde sans pépin physique :
     Arrivé en Argentine à cours de compétition et n’est du coup pas aligné lors du premier match contre l’Italie. Il jouera plutôt bien les deux matchs suivants (marquant lors du dernier)
     En 1982, il est aussi légèrement blessé lors du premier tour (Angleterre) et ne fera sa rentrée que lors du second contre l’Autriche (où il provoque le coup-franc vainqueur de Genghini) et l’Irlande du Nord durant lequel il se blesse à nouveau en marquant son second but. Il jouera toutefois la demi-finale contre la R.F.A. sous infiltration, provoquant le pénalty égalisateur.
     En 1986, il se fait une légère entorse juste avant le match contre le Canada, qu’il jouera tout de même... Henri Michel le laissera au repos par sécurité contre l’URSS pour le faire rentrer lors du dernier match contre la Hongrie où il délivre une passe décisive pour Tigana et marque le troisième but... Après avoir délivré deux passes décisive contre l’Italie et une autre contre le Brésil, il se blesse à nouveau durant ce match, ce qui lui fera manquer la demi-finale contre l’Allemagne... Et terminer ainsi sa carrière en bleu...

  • Le 2 décembre 2018 à 10:23, par Bruno Colombari En réponse à : Dominique Rocheteau, nos années romantiques

    Oui, vous avez raison de le préciser. En 1982 on voit bien qu’il est gêné par sa blessure contre la RFA (où il obtient le pénalty transformé par Platini à la 27e). Et en 1986, sans doute la France n’aurait pas perdu la demi-finale avec lui en attaque associé à Stopyra., même s’il y a eu d’autres raisons à la défaite (Giresse carbonisé, Bats, dans un mauvais jour, un coaching curieux de Michel qui fait entrer Xuereb et Vercruysse).

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