On aurait pu inclure dans cette étude les 18 derniers mois des mandats de Michel Platini ou de Raymond Domenech, mais on va les laisser de côté pour ne nous intéresser qu’à ceux des trois sélectionneurs français titrés en compétitions majeures (Coupe du monde ou Euro), ce qui écarte Henri Michel (qui a remporté la Coupe intercontinentale 1985, mais a été débarqué fin octobre 1988) et Jacques Santini (vainqueur de la Coupe des Confédérations 2003, mais qui n’aura été en poste que deux saisons).

Il y a, en plus du palmarès, un point commun entre les 18 derniers mois de Michel Hidalgo, Aimé Jacquet et Roger Lemerre : ils n’ont eu que des amicaux à disputer avant de terminer sur une phase finale, hormis la Coupe des Confédérations 2001. Pour 1984 et 1998, l’équipe de France était qualifiée d’office en tant que nation organisatrice, et en 2002 comme tenante du titre.

C’est évidemment une différence majeure avec la dernière ligne droite de l’ère Deschamps, qui commencera par dix matchs de compétition (en 2025) avant d’enchaîner, probablement, par trois ou quatre amicaux entre mars et juin 2026.

Comment ont été gérés ces 18 mois finaux, même si sur les trois sélectionneurs, seuls le premier (Michel Hidalgo) savait avant de les commencer qu’il n’irait pas plus loin ? Aimé Jacquet (22 matchs joués) et Roger Lemerre (21) ont été plus sollicités que Michel Hidalgo (16), le programme des Bleus étant moins chargé dans les années 1980 qu’au tournant du siècle. Mais tous trois ont gagné à peu près la même proportion de matchs, 11 pour Hidalgo (69%), 14 pour Jacquet (64%) et 12 pour Lemerre (57%). C’est d’ailleurs ce dernier qui a perdu le plus souvent, six fois, contre une seule défaite pour Hidalgo et deux pour Jacquet.

Des adversaires faciles pour Lemerre, plus durs pour Jacquet

En termes d’adversaires rencontrés avant la phase finale, ceux de 2001-2002 sont moins qualitatifs, avec le Chili, l’Algérie, l’Australie, le Mexique, le Japon, la Corée du Sud ou la Roumanie. Alors que ceux de 1997-98 sont d’un niveau supérieur, avec le Brésil, l’Italie, l’Angleterre ou l’Espagne. On rappellera que, curieusement, la France a rencontré en 1983 tous ses futurs adversaires de l’Euro : le Portugal, la Belgique, la Yougoslavie (deux fois), le Danemark et l’Espagne. Pour un bilan d’ailleurs pas terrible de deux victoires, trois nuls et une défaite…

Hidalgo démarre pianissimo en 1983 et finit en trombe

Deux victoires, quatre nuls et une défaite : le bilan de l’année 1983 est plutôt morose. On ne voit pas bien où Hidalgo veut en venir, il n’y a pas d’équipe type vraiment définie (la défense et l’attaque tournent beaucoup) et les matchs inquiètent plus qu’ils n’enthousiasment, hormis deux belles victoires au Portugal (3-0) et contre la Yougoslavie (4-0). Mais tout va changer dès que commence 1984 avec quatre victoires et autant de clean sheets en amical (dont l’Angleterre et l’Allemagne, quand même) : les Bleus sont lancés et emportent tout sur leur passage à l’Euro, même en étant menés deux fois (contre la Yougoslavie, 0-1 et le Portugal, 1-2). Finir son mandat par huit victoires d’affilée, vingt buts marqués et quatre encaissés, que demander de mieux ?

Jacquet cafouille jusqu’à la phase finale

Curieusement, comme Michel Hidalgo, c’est par une victoire en amical au Portugal qu’Aimé Jacquet entame la dernière ligne droite vers la Coupe du monde. Elle sera correcte en 1997, malgré une défaite contre l’Angleterre en juin, mais les 7 (!) matchs amicaux de 1998 vont franchement inquiéter les médias et les supporters, avec trois courtes victoires 1-0, trois nuls et une défaite en Russie. Ce n’est pas comme ça qu’on peut gagner une Coupe du monde, et d’ailleurs, ce n’est pas comme ça que les Bleus l’ont emportée. Dès que le tournoi commence, rassurés par une défense imbattable (deux buts encaissés en sept matchs, dont un pénalty sans enjeu), les coéquipiers de Deschamps haussent le niveau et gagnent six fois sur sept, seule l’Italie n’ayant pas cédé dans le jeu.

Lemerre : les fissures de 2001 annoncent les failles de 2002

Quand commence l’année 2001, les Bleus n’ont perdu que deux matchs depuis leur titre de 1998 (Russie 2-3 en juin 1999 et Pays-Bas 2-3 en juin 2000), ce qui ne les a pas empêchés de gagner l’Euro. Autant dire qu’ils sont sûrs d’eux, tellement qu’ils perdent une première fois contre l’Espagne en mars, puis une deuxième face à l’Australie en juin, et une troisième au Chili en septembre. Trois défaites la même année, ce n’était plus arrivé depuis 1992, et la suite avait été cuisante. Mais la leçon n’est pas retenue, et en 2002 les Bleus perdent encore leur dernier amical avant de partir en Asie (Belgique, 1-2), un soir de mai où ils célèbrent quasiment la deuxième étoile avant l’heure. Et au premier tour, ils ne marquent aucun but, ne gagnent donc aucun match et en perdent deux (Sénégal, 0-1 et Danemark, 0-2). Des cinq sélectionneurs titrés (en comptant Jacques Santini), Roger Lemerre sera le seul dont le contrat sera rompu.

En absence d’un quelconque enjeu (hormis, on l’a dit, la Coupe des Confédérations 2001, jouée avec une moitié de champions d’Europe et 8 néophytes), c’est plutôt la rotation des joueurs qui est intéressante à observer.

Hidalgo : 35 joueurs dont 9 nouveaux

Michel Hidalgo utilise 35 joueurs en 16 matchs. Parmi eux, il en fait débuter 9, dont trois seront champions d’Europe : Yvon Le Roux, Joël Bats et Jean-François Domergue, tous trois titulaires en finale. Les six autres sont William Ayache et Philippe Vercruysse, qu’on retrouvera au Mexique en 1986, et José Touré, Jean-Claude Lemoult, Jean-Christophe Thouvenel et Jean-Louis Zanon, tous champions olympiques en août 1984 à Los Angeles.

Douze joueurs vont terminer leur carrière internationale au cours de ces 18 derniers mois : Philippe Bergeroo, Bernard Lacombe et Didier Six le feront au terme de l’Euro, mais Jean-Pierre Tempet, Loïc Amisse, les déj cités Zanon et Lemoult et les mondialistes de 1982 Philippe Mahut, Alain Couriol, Gérard Soler et Marius Trésor n’iront pas jusque là.

Sur les 16 matchs entre début 1983 et juillet 1984, Hidalgo a majoritairement utilisé Luis Fernandez (16 fois), Maxime Bossis (13), Patrick Battiston, Joël Bats, Yvon Le Roux, Manuel Amoros, Alain Giresse et Jean Tigana (12), soit l’ossature, avec Platini, des champions d’Europe.

Jacquet : 37 joueurs dont 12 nouveaux

En 1997 et sur les sept premiers mois de 1998, Aimé Jacquet en utilise à peu près autant (37), mais il en fait débuter 12, dont 7 seront champions du monde : Patrick Vieira, Lionel Charbonnier, Stéphane Guivarc’h, Thierry Henry, Alain Boghossian, Bernard Diomède et David Trezeguet. Parmi les cinq autres, trois seront dans la charrette de la liste élargie de mai 1998 : Ibrahim Ba, Lionel Letizi et Nicolas Anelka. Patrick Blondeau et Lilian Laslandes n’y figureront pas.

Sur les 10 joueurs qui ont terminé leur carrière internationale lors de ces 18 mois, il y a deux champions du monde (Charbonnier et Diomède), deux débutants déjà cités (Blondeau et Ba) et six autres : Franck Gava, Bruno N’Gotty, Nicolas Ouédec, Pierre Laigle, Patrice Loko et Marc Keller.

Aimé Jacquet va évidemment privilégier ses cadres comme Youri Djorkaeff et Lilian Thuram (20 fois), Marcel Desailly, Didier Deschamps et Zinédine Zidane (19).

Lemerre : 37 joueurs dont 10 nouveaux

Roger Lemerre aura finalement été le plus conservateur. Certes, entre début 2001 et fin juin 2002 il utilise 37 joueurs, mais dans le lot il n’y a que 10 nouveaux, et encore, nombre d’entre eux seront appelés pour la Coupe des Confédérations en juin 2001. Ils ne sont que trois à être appelés à la Coupe du monde 2002 : Mickael Silvestre, Grégory Coupet et Djibril Cissé. Les 7 autres feront une carrière météorique en bleu, dont 5 n’iront pas plus loin : Frédéric Née, Zoumana Camara, Jérémie Bréchet, Nicolas Gillet et Eric Carrière. Olivier Dacourt et Mickaël Landreau seront rappelés par la suite.

Les rangs des finissants sont beaucoup plus fournis, puisqu’on en compte 15. Aux 5 débutants déjà cités s’ajoutent 6 champions du monde 1998 (Alain Boghossian, Vincent Candela, Frank Lebœuf, Christian Karembeu, Christophe Dugarry et Youri Djorkaeff, tous convoqués en Corée du Sud sauf Karembeu), les 4 autres étant Christophe Robert, Sabri Lamouchi, Lionel Letizi et Philippe Christanval.

Qu’en conclure pour Didier Deschamps ? Comme son nombre de matchs restants devrait être proche de ceux de Jacquet et Lemerre (entre 20 et 22, mais seulement 12 en cas d’élimination en barrages de la Coupe du monde en mars 2026), il devrait lancer une dizaine de nouveaux. Il y en a eu 3 en 2024 et 7 en 2023, mais 10 en 2022, ce qui en fait 20 sur les trois dernières années pleines. Ramené à une année et demie, on arrive bien à dix environ.

Quant aux matchs, il devrait en gagner autour de 13, sauf s’il finit aussi bien qu’Hidalgo, ce qui le mènerait plutôt à 15, avec 2 ou 3 défaites. Mieux vaudrait qu’elles arrivent plutôt entre mars 2025 et début juin 2026 !